Le Pacte, Claude K BALOGOUN

Le Pacte, Claude K BALOGOUN

Introduction

Depuis Septembre 2017, un sang neuf coule aux artères du corps littéraire au Bénin. Il vient de faire son entrée dans l’univers des romanciers. Le pacte est signé et les muses s’amusent à le lui bien rendre. Claude K BALOGOUN a accouché d’un beau roman écrit dans un style simple, aéré, direct, qui scelle entre le lecteur et l’auteur un pacte de non agression et même des accords synallagmatiques : partenariat bilatéral, gagnant-gagnant. Ce roman somptueux, on n’en sort pas sans se demander : « Comment arrive-t-il à se faire proche de nous dans son récit? ».

I- Du contenu de l’œuvre

Paru aux Editions Plurielles en Septembre 2017, « Le Pacte » est un roman de 168 pages. Son auteur, Claude K BALOGOUN, s’y est mis à la manière d’un conteur qui fait cohabiter dans une osmose régie par le respect de parole donnée, le monde réel et surnaturel avec pour trait d’union, les sacrés Bokonons, vendeurs de bonheur et de prospérité subite et spectaculaire. L’histoire s’ouvre sur un couple modeste : Alain et Ayaba. Ils ont trois petites filles. Alain est entrepreneur. Il vient de perdre un marché important pour sa survie et sa carrière, simplement parce qu’il a omis de signer son dossier. Désemparé, il croise dans la rue, Hounzangbé, son beau-frère. Ce dernier l’amène chez son bokonon qui lui promet le paradis sur terre. Il ne lui revient qu’à obtempérer aux prescriptions du devin : « C’est un acte vraiment grave. Tu ne devras faire utiliser une poudre à ta femme à son insu. Mais après l’avoir utilisée, elle ne pourra plus jamais concevoir. Vos enfants à venir seront échangés contre la richesse et la paix » (P 24). Alain comprend alors qu’accéder à la richesse avec le secours des forces occultes est une lourde responsabilité, car le devin fait assortir ces prescritions d’une double condition : « (…) tu ne devras ni prendre une seconde femme, ni quitter ton actuelle épouse à qui tu devras respect et amour tout le reste de ta vie. Ces conditions ne sont pas négociables. » (P 24). Alain accepte le marché. Il devient miraculeusement riche. Mais la richesse l’aveugle et le rend sourd aux recommandations du devin. Il oublie que contrevenir aux dieux qui ont parlé par la bouche du Bokonon peut lui être fatal. Rapidement, il s’entiche d’une jeune dame : Eugénie, une bombe anatomique. Avec sa mère, elles forment une communauté de femmes fatales dont le domaine de définition se réduit aux astuces pouvant leur faire engranger le maximum d’argent possible. Elles sollicitent le secours des dieux via l’intermédiaire des devins. La mère se livre aux ministres des dieux pour avoir la puissance afin d’assurer à sa fille une emprise de fer sur ses proies. Alain succombe au charme d’Eugénie. Il dépense follement et nargue tout le monde. Dans l’euphorie de la richesse, il renie ses enfants, abandonne son foyer et s’attache à Eugénie. Il nargue tout le monde, même son bienfaiteur Hounzangbé. Son ami Tony le convainc, à une partie de beuverie, qu’il lui manque un héritier. Il s’en ouvre à Eugénie. Celle-ci tombe enceinte. L’échographie révèle que l’enfant est du sexe masculin. Il épouse officiellement la future mère de sn héritier à travers une dot dont la ville garde un souvenir mémorable. Ayaba est abandonnée, elle et ses enfants. Elle renoue avec ses études jadis entravées par sa grossesse. Elle passe les examens et soutient son Master avec brio. L’avenir lui ouvre larges ses portes. Au même moment, Alain atteint son apogée. Ses affaires se mettent à péricliter subitement. Il perd des marchés importants. Un de ses chantiers vire à la catastrophe : résultat, effondrement du bâtiment avec quatre morts. La justice l’a dans on viseur L’héritier tombe malade. Il panique et retourne voir ses féticheurs. En vain. Il ravale sa fierté et supplie Hounzangbé qui le conduit de nouveau chez le devin qui l’avait rendu riche. Il reconnait ses erreurs, mais ce qui est dit est dit: « (…) tu ne devras ni prendre une seconde femme, ni quitter ton actuelle épouse à qui tu devras respect et amour tout le reste de ta vie. Ces conditions ne sont pas négociables. » (P 24). Il faut laver cet affront fait aux dieux. Le prix à payer est assez colossal et terrible. Ainsi parla le Bokonon « Il doit sacrifier son garçon pour réparer l’outrage. Aussi, devra-t-il rejoindre son ancienne famille pour implorer son pardon. »

Dans cette œuvre, Claude K BALOGOUN met en lumière les réalités suivantes: le commerce aves les forces occultes, l’attitude juste envers la richesse.

 

II- Des thématiques abordées

1- Le commerce aves les forces occultes

C’est un fait que la richesse vient de Dieu, qu’il soit entendu comme Sè, Sègbo ou Sègbo Lissa. C’est aussi une réalité que bien des hommes forcent la main au destin pour lui arracher ce dont il a semblé les priver: la richesse. La logique du travail générateur de gain n’est dès lors qu’une sinécure. On veut gagner l’argent hic et nunc, quelles qu’en puissent être les conditions. On le voit dans Le Pacte de Claude K BALOGOUN. Les conditions étaient claires, exposées par le bokonon. Elles n’étaient guères morales, et pourtant, dans le but de « s’extirper » de la pauvreté, Alain COOVI n’eut pas froid aux yeux pour mettre un terme à la maternité de sa femme qu’il accusera plus tard de ne pouvoir lui donner un héritier. Il avait certainement oublié qu’il lui avait fait ingurgiter une poudre à son insu. De toute évidence, du jour au lendemain, il était accueilli par une richesse insolente. La prospérité lui ouvrit ses bras. Les forces occultes consultées ont répondu favorablement.

Dans le commerce avec les forces occultes, la contrepartie est toujours contraignante. Rien n’est gratuit. Et à y bien réfléchir, ce qu’on cède ou concède en devenant riche l’emporte toujours en dignité et en importance sur le bien matériel qu’il génère. A la fin, on se retrouve toujours comme à la case départ, confronté à la douloureuse réalité du serpent qui se mord par sa queue. Déshabiller Paul pour habiller Pierre n’est pas toujours signe de stabilité ontologique. Le désenchantement qui s’en suit est assez renversant. Alain a vu son âme transpercée à la fin pour des tourments inénarrables. Le colloque intérieur qu’il instaure avec lui-même à la fin en dit long: « Sacrifier mon seul et unique héritier pour qui j’ai abandonné Ayaba et les trois filles? Mon Dieu, tout ça a servi à quoi finalement. » (p 164). La sentence du bokonon était sans appel : « – Il devra le faire s’il tient à sa vie, et à la vie de toute sa famille et à sa fortune. Le sacrifice devra être fait dans les vingt-quatre heures qui viennent. Autrement, il se retrouvera en prison et c’est de là-bas qu’il apprendra tous les maux qui vont s’abattre sur les deux familles qu’il a fondées, sans exception. » (ibid).

La leçon est bien claire. Sous la plume de Claude K BALOGOUN, nous lisons : « On ne doit pas aux dieux, ils trouvent toujours le moyen de se faire payer. » (p 153.). Le sort d’Alain Coovi, à la fin n’était pas enviable. A la faveur de la nuit et de l’obscurité, il se volatilisa avec son « héritier » qu’il devra sacrifier. Les latins avaient certainement raison : »Male parta, male dilabuntur« , le bien mal acquis, disent les latins, ne profite jamais.

2- L’attitude juste envers la richesse

L’argent, dès qu’on l’érige en souverain, devient un potentat impitoyable. Il est fait pour nous servir et nous asservir. Le savoir, c’est aussi intégrer à sa vie que cette dernière n’est par réductible aux  » espèces sonnantes et trébuchantes ». L’argent ne peut remplacer la famille, l’amour, la vie, les amis. Gbessi Zolawadji (Artiste béninois, auteur compositeur, spécialisé dans le rythme Agbadja)le dit bien dans l’une de ses mélodies:

 – Ooo Amè hu ga (Oui, l’homme dépasse l’argent)

Ooo Amè hu ga (Oui, l’homme dépasse l’argent)

Mu yo ga, ga mu tƆ o (J’ai appelé l’argent, mais l’argent n’a pu me répondre)

Mu yo agbéto agbetƆ tƆ na mu lo (J’ai appelé l’homme, l’homme m’a répondu)

Ooo Amè hu ganlo a yo (l’homme dépasse l’argent)

Se servir de l’argent pour vassaliser son prochain ou le considérer comme un animal, est blâmable. L’attitude d’Alain dans Le Pacte, égale en insolence et en impertinence la folie et la mégalomanie d Onuma, le personnage principale du roman « Ma Mercedes est plus grosse que la tienne« (Nkem Nwankwo, « Ma Mercedes est plus grosse que la tienne Les Editions du Rocher/Serpent à Plumes, 1998 – 184 pages).

Alain devient sourd aux injonctions de l’oracle. Il va jusqu’à abandonner sa femme et ses enfants. Il nargue Hounzangbé, celui qui l’a aidé à rencontrer le devin qui l’a rendu riche. L’argent comme un moyen, jamais comme une fin, cela aiderait certainement à le mettre à sa juste place: aider les hommes à devenir plus frères, voler au secours des moins nantis. Le  Dalaï Lama a écrit à ce sujet: « On ne peut pas vivre sans argent, mais ce n’est pas une raison pour lui donner la première place. En le faisant, on reconnaîtrait à la femme et à la famille leur juste valeur.

 

Conclusion

Si la couverture offre un tableau bicolore (rouge et blanc), dominé par un gros nœud gordien, l’auteur à travers cette présentation invite le lecteur à se faire une idée de ce qu’un pacte est un lien qui attache vigoureusement celui qui le contracte. Alain Coovi, le personnage principal de l’œuvre pour l’avoir oublié, a compris que l’argent ne résume pas l’essentiel de la vie. Au commencement n’était pas l’agent. L’homo socialis a préexisté à l’homo economicus. Il est aussi heureux de réaliser que dans Le Pacte, Claude K BALOGOUN trace les sillons d’un féminisme responsable qui se prend en charge et ne se laisse pas emporté par les flots rageurs d’un sentimentalisme aigri ni d’une revendication égalitariste. A travers le personnage de Ayaba, est mise en exergue la bravoure de la femme africaine qui peut se passer de l’homme pour se prendre en charge et s’occuper de l’éducation de ses enfants. Ce qui est requis, c’est que s’y mettent et l’homme et la femme. Mais quand celui-là déserte le foyer, celle-ci y reste comme capitaine pour organiser la vie de la troupe.

 

Destin Mahulolo

4 comments

Merci pour ce pacte de lecture et de culture qui nous lie à BL. Chronique instructive Destin Mahulolo! Bonne suite.

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