PV Salle 6, Habib Dakpogan

PV Salle 6, Habib Dakpogan

« PV salle 6 » : Voici un roman au titre énigmatique gros de plusieurs interrogations qui font froncer les sourcils et vibrer les méninges. Deuxième roman d’Habib Dakpogan, l’œuvre est parue aux Editions Star (Cotonou Bénin) en 2013. Deux ans plus tard, elle remporte le Plus prestigieux prix littéraire au Bénin : « Prix Président de la République ». L’auteur en fait une fenêtre ouverte sur un univers clos, celui des personnes vivantes avec le VIH Sida. Sans tambour battant, il brise certains tabous et hisse l’homme, quel que soit son état sérologique, au sommet de ses préoccupations personnelles, au point qu’on pourrait dire que Habib est tourmenté par le sort de l’homme, et que chaque lettre, chaque mot de cette œuvre se veut une revendication de la dignité humaine entravée par des contingences existentielles. L’œuvre se veut une supplique à sauver en l’homme la petite parcelle, l’infime étincelle d’humanité qui subsiste encore au fond de lui. Elle se veut aussi une apologie du personnalisme avec à la clef le souci ardent de l’auteur de faire de la justice et de l’équité, l’amour et la fraternité le cataplasme qu’il faut aux maux de la société. En effet, comprendra-t-on jamais comment le ministre de la santé et ses suppôts puissent détourner les ressources destinées à soulager les maux des victimes du VIH ? L’auteur s’insurge contre cette hypocrisie gentille qui a cours dans les administrations des hôpitaux de son pays.

L’œuvre s’étale sur 63 nuits évoluant à reculons. « Ici le temps se compte en nuits. Ici le temps se compte à reculons », écrit  Zaki de son vrai nom Nagasaki, le héro du livre. C’est d’ailleurs son cahier journal qui constitue l’œuvre. Il y revisite sa vie ainsi que celle de ses amis affectés par le même mal et internés dans la même cellule dans un centre où la mort passait à son heure emporter l’un ou l’autre des patients. Cinq patients étaient internés dans la Salle 6 : Zaki, Coffi, Policier, Lébra et Pasteur, troupeau de chairs envahies par les virus et que l’attente de la mort faisait languir et transir d’inquiétude. Cinq boules de chairs, « cadavres ou futurs cadavres », attendant l’arrivée de Soudé, le guérisseur faiseur de miracles. Cinq amas de chair où la douleur a tari le goût de la vie et l’invasion des virus oblitéré tout espoir de guérison. Cinq consciences qui ont trouvé dans l’autodérision une arme pour lutter jusqu’au bout. Chacun d’eux raconte sa vie, son passé, ce qui l’a conduit dans cette Salle 6. Zaki, au milieu d’eux, fait office de secrétaire. Il arrache à l’oubli, du bout de son stylo que manient des doigts endoloris et secs, des franges de vie précieuses.

La vie est précieuse, l’amour aussi. Zaki en fait l’expérience avec Fao qu’il retrouve en Zoubé, la soignante. Habib dresse sur l’abîme de la déchéance corporelle occasionnée par le virus, le pont de l’amour qui seul fait communier à l’éternité. L’amour ne meurt pas. Et ne pas donner à l’amour sa vraie place, cela peut laisser un arrière-goût amer. Si Pasteur avait su que la vie éternelle n’allait pas sans le prix juste à donner à l’amour, il aurait considéré autrement ses « Sœurs en Christ,  Policier, le grand de la frontière de Hillacondji, n’aurait jamais caché à sa femme son cahier de 32 pages où étaient inscrites « 364 » filles qu’il a contaminées. Peut-être que sa vie eût été différente si Lébra, sur les chantiers de construction, avait été plus prudent. Coffi, l’ancien instituteur et directeur d’école, trempé dans la Révolution, pour se venger de Leyla qui l’a quitté, ne se serait pas découvert la vocation de coucher avec les femmes d’autrui. Mais le cas de Zaki était particulier. Il a connu une vie d’errance : de la famille à la prison (c’était la Révolution) en passant par le Koweït où il perd Fao, sa rencontre avec Tom dont il s’entiche : elle finit détenue, torturée et violée par une bande sanguinaire de douze militaires. Elle meurt suite à de « graves lésions » Plus tard, Zaki tombe malade : accès de fièvre aiguë. Résultat, il est admis dans la Salle 6.

Après avoir lu « PV Salle 6″, on en garde le délicieux goût du « revenez-y ». Habib y fait recours à l’humour pour rendre moins poignantes les tribulations de ses personnages. Ce livre nous livre derechef les qualités littéraires de l’auteur. Que ne s’y aventurent pas ceux qui ne veulent pas rire. Ici le pleurer-rire vous arrache des larmes à la fois de joie et de douleurs sans que vos yeux se fatiguent de dévorer les belles pages que l’auteur étale devant vous comme la voie qui mène au pays des merveilles du lire et du rire cathartique.

Destin Mahulolo

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