« Le rêve étranglé » Eustache Prudencio

« Le rêve étranglé » Eustache Prudencio
 Introduction
« Et si l’Afrique refusait le développement ?« , s’interrogeait déjà Axelle Kabou, compte tenu de certains comportements des Africains. Serions-nous nés pour vivre dans la misère et nous en vouloir mutuellement ? Comme pour répondre à ces questions, Eustache Prudencio commet un recueil de  nouvelles qu’il baptise, « Le rêve étranglé ». L’oeuvre est parue aux Editions du Flamboyant à Cotonou, en 1998.
De l’auteur
Eustache Prudencio est un écrivain-journaliste béninois né le 5 septembre 1922 à Bopa et décédé le 21 mai 2001 à Cotonou. Auteur de plusieurs ouvrages dont des recueils de poèmes, il était aussi père de 15 enfants.
Il a écrit notamment « Vade Mecum des instituteurs », « Vents du lac » (Poème) et « Ombres et soleil » ainsi que de nombreuses nouvelles. Il a animé des stages à Dakar en 1951 et en 1953 et publié en 1967 un document : « Pédagogie vivante : vers l’Ecole moderne africaine techniques Frein » dans lequel il s’adresse à ses collègues africains : « les idées que nous avançons, loin de vous endoctriner ou d’être des panacées, vous permettront, du moins nous l’espérons, de réfléchir sur les problèmes pédagogiques qui se posent aux pays pauvres, et d’apporter votre contribution à la conception d’un nouvel humanisme… ». Instituteur de formation, il a été respectivement chef du service de presse et de la documentation à la présidence de la République sous le régime révolutionnaire du Feu Président Mathieu Kérékou et ambassadeur du Bénin au Nigéria et au Cameroun. Il a également été animateur des émissions « Plaisir de lire » sur les antennes de la radio nationale et du « Mot le plus long » à la télévision béninoise. L’écrivain poète a été récipiendaire de plusieurs distinctions honorifiques et autres prix et a notamment obtenu le diplôme d’honneur de poésie de l’Académie des Jeux Floraux Méditerranéens de la Société des Arts et Lettres de la Côte d’Azur.
– 1989 : Grand prix de littérature ID de Côte d’Ivoire (pour Les Enfants de Mandela).
– Officier de l’Ordre du Mérite culturel de Côte d’Ivoire.
– Inspecteur de l’Enseignement moyen-général en retraite
– Ancien Ambassadeur de la République Populaire du Bénin
– Écrivain poète
– Officier de l’Ordre National du Bénin
– Palmes Académiques du Sénégal et de la France d’Outre-Mer
– Officier de l’ordre de l’Étoile équatoriale du Gabon
– Diplôme d’honneur de Poésie de l’Académie des Arts et Lettres de Nice, Côte d’Azur
– Premier Prix du mérite en littérature du 20e anniversaire de la Loterie Nationale du Bénin
– Parrain Perpétuel de l’Association des écrivains et Critiques littéraires du Bénin.
Du livre
« Le rêve est un recueil de dix nouvelles plus un bonus. Nous faisons ici le point de chaque nouvelle.
« Le rêve étranglé »  (pp. 9-21)
Komlangan abandonne sa vie d’avant faite de jouissances et de parties de jambe en l’air avec les filles. Il tombe amoureux de Kokoè, une jeune doctoresse. Mais elle refuse de l’épouser, préférant leur vie simple et remplie de liberté. D’ailleurs, compte tenue de son passé, personne ne le prenait au sérieux au point de croire à sa sincérité de mariage, sauf ses parents qui se réjouissent pour lui. Kokoè avoue à Komlangan qu’elle a une fille de trois ans. En visite à Lomé chez sa famille, elle dit à Komlangan que sa fille était sa sœur, parce que l’auteur était le père de Komlangan, qu’il avait connu pendant sa jeunesse. Déçu, Komlangan décide de devenir moine au Monastère de Parakou, abandonnant tout.
Personnages
Komlangan : aimant particulièrement les femmes, elle les collectionne en dépensant son argent. Déçu une fois qu’il décide d’être sérieux et de se marier, il préfère aller au monastère en passant le reste de sa vie.
Kokoè : Femme médecin très belle et promise à Komlangan, elle préfère une relation libre. Elle apprend à son ami que sa fille est sa petite sœur.
Moi, dans l’enfer du nord  (pp. 26-33)
Guillaume, nanti, élevé dans les bonnes grâces de l’argent et de la fortune, doit aller faire son stage au nord avant sa soutenance. Il bat des mains et des pieds pour qu’on lui change de lieu. La mauvaise image du nord le hante.  Mais rien n’y fit. Une fois au nord, il se rend compte qu’on diabolise trop le nord et que c’était un bonheur pur d’y vivre. Il y prit goût et demande même à y travailler après son stage.
Personnages 
Guillaume : Enfant gâté qui a tout à sa disposition, est envoyé au nord pour son stage. Refusant au départ, il finit par aimer et s’y plaire.
Alassane Yaro : ami d’enfance de Guillaume, il laide à rendre la vie au nord très douce.
Au secours (pp. 35-47)
Pour une supposée maladie inguérissable de Ménusu juste après son mariage, son mari Kossi ainsi que son beau-père ont mis toutes leur fortune au service de la médecine moderne puis, traditionnelle, mais sans succès. Les prières avec toutes les autres religions ont été aussi mises à contributions. Toujours rien. C’est Fiao, le frère de la malade qui réussit à la guérir juste en lui remontant le moral, parce que la maladie était psychologique. En effet, Ménusu ne digère pas son union avec son mari Kossi qui est un polygame.
Personnages
Ménusu : femme dotée dune psychologie faible et qui est tombée malade parce quelle ne supporte pas épouser un homme déjà marié. Mais une simple parole la guérit.
Kossi : époux de Ménusu, un polygame malheureux.
Le mandat (pp. 49-60)
Yéssoufou « fauché, appauvri, tel un rat d’église » (p.37), il se rappela qu’il avait un mandat (un rappel de 150.000f à prendre). Mais c’était la croix et la bannière pour signer le chèque, malgré toutes les portes auxquelles il a frappées. Ils refusèrent tous de signer son mandat parce qu’il na pas voulu déposer quelque chose en échange avant.
Personnages
Yessoufou : Malheureux avec son mandat mais intègre, il frappa à toutes les portes pour rentrer en possession de son argent, mais hélas.
Le chef de la section solde : homme corrompu et irresponsable, préfère passer son temps avec les femmes au bureau que de faire le travail pour lequel l’état le paye.
En première classe (pp. 61-72)
Pour une histoire de première classe ou de 2è classe dans un train, les employés de chemin de fer mènent la vie dure aux voyageurs en prenant des tarifs supplémentaires. Un jour, ils tombent sur Goumissi, un homme d’affaire qui décide d’arrêter cette pagaille. Mais cela cela n’est pas au goût des contrôleurs et employés du chemin de fer.
Personnages
Goumissi : homme d’affaire qui déteste à mort la corruption et épris de justice.
Le chef de train et le contrôleur : hommes corrompus
Ma Peugeot 205 ( pp.73-82)
Kosiba, la femme de Kuéssi, se prive de tout pour offrir à son mari qu’elle trouve très pauvre, une voiture Peugeot 205. Celui-ci en effet avait refusé de voler l’Etat comme le font ses collègues. Il en est d’ailleurs très fier. Kosiba, travaillant aussi dans l’administration publique, et se donne le luxe d’aller au service comme bon lui semble et préfère vaquer à son commerce. Elle réussit néanmoins à acquérir la voiture, mais ne sachant pas conduire, fait un accident.
Personnages
Kosiba : femme de Kuèsi, désireuse d’avoir une voiture Peugeot 205
Kuèsi : instituteur pauvre et mari de Kosiba, mais intègre, qui refuse de s’enrichir au détriment de l’Etat.
Que ta volonté soit faite (pp. 83-94)
Joseph passait pour le plus grand des fidèles qui ne commet pas de péchés, qui communie au corps du Christ tous les jours et qui voue un culte absolu à Dieu. Pour les paroissiens, c’est un béni de Dieu et le ciel lui est déjà réservé, car il est un exemple à suivre. Mais derrière ce visage apparemment saint, se cache un menteur. En effet, pour sa femme, c’est un homme fidèle. Mais après un accident de circulation incompréhensible, le vrai visage de Joseph s’affiche lors de son enterrement, puisque c’est le jour-là que sa femme, Alice, se rend compte que non seulement, son mari a plusieurs femmes, mais aussi et surtout beaucoup d’enfants. Elle se fâche, menace de partir de la maison, encore qu’il y avait le veuvage à respecter, un veuvage constitué des « ignominies désobligeantes, déshonorantes, inhumaines » (p.93).
Personnages
Joseph TOGBE: homme à double visage. Après sa mort accidentelle, on découvre son vrai visage : un polygame et menteur.
Mme Alice TOGBE : femme de Joseph. Mais apprenant la double vie de son mari défunt, elle décide de quitter le foyer et de tout abandonner. Elle est contre la manière dont le veuvage se fait.
Alphonse : Beau-frère de Alice, il est professeur d’Université. Il est contre certaines pratiques traditionnelles du veuvage qui selon lui, doivent être « mieux comprises ou purement et simplement abandonnées » (p.94)
Au cœur de la sécheresse (pp.95-107)  
Rokhaya s’insurge contre l’inaction des autorités devant l’avancée du désert qui met à mal la vie de la population. Elle ne comprend pas surtout comment les cadres d’un pays qui ont été formés à coup de millions de francs pour ces genres de situations restent dans des bureaux pour se faire de l’argent plutôt que d’aller aider la population sur le terrain. Son oncle Oumar promet de  l’aider en étudiant le problème.
Personnages 
Rokhaya : femme intellectuelle et fille du vieux Kéita, qui ne comprend pas pourquoi et comment les dirigeants de son pays sont incapables d’aider la population, mais préfèrent se remplir les poches.
Abdoulaye Kéita : père de Rokyaya. A cause de la faim et de la sécheresse, il est devenu avare et mesquin : « Le père Kéita se saisit vivement du bol providentiel et le cèle prestement dans sa case, pour ne pas avoir à le partager avec l’intrus. On dirait que la sécheresse a déteint sur le coeur des gens d’ici » (p.99).
Oumar : neveu de Abdoulaye Kéita. Il promet de toucher les autorités pour régler ce problème d’avancée du désert .
C’est complet (pp.109-121)
Diamantino Ramos, un métisse (de père portugais et de mère sénégalaise) vient à Nice pour ses vacances. Il découvre le racisme sous toutes ses formes. En effet, il avait réservé depuis plus de trois mois à l’avance, sa chambre d’hôtel et avait eu la confirmation. Mais à son arrivée, dès qu’ils ont su qu’il n’était pas Blanc, on lui refusa l’accès à l’hôtel prétextant que « c’était déjà complet ». Malgré tous les papiers justifiant la réservation, rien n’y fit. Enervé, il écourta ses vacances et rentra au Sénégal le lendemain même.
Personnages
Diamantono Ramos : agent sénégalais qui est allé subir le racisme en France
La réceptionniste de l’hôtel, Ruth : raciste jusqu’aux os, elle refuse de donner une chambre à Diamantino, pourtant réservée depuis trois mois à l’avance.
J- ça ira (pp.123-136)
Komlan, durant son temps de service, n’a pas réussi à économiser pour sa retraite, contrairement à ses amis qui ont construit et vivent aisément. Ayant mis son argent « dans les femmes », il doit aujourd’hui trois mois de loyer et des factures d’électricité et d’eau. Difficilement, il vit au jour le jour, et ne fait que chanter devant toute situation, « ça ira ». Aucun bienfait n’étant jamais perdu, il se voit proposer un partenariat avec un ami allemand qu’il avait aidé il y a plusieurs années déjà. Ce dernier lui donne une avance d’un million de franc pour la recherche de terrain cultivable et les déplacements. Il en profite pour régler ses dettes et se faire du sang neuf. Arrivera-t-il à éloigner de lui les vieux démons, maintenant qu’il a de l’argent ?
Personnages
Komlan : homme un peu responsable, qui a passé sa vie entre les cuisses des femmes oubliant l’essentiel : assurer sa retraite.
Wolfgang Baumann : ami allemand de Komlan. C’est lui qui décide de faire affaire avec lui dans la culture du tabac.
Ballade en balade : « Et les vagues se dressent puis s’écrasent » pp.137-142
Le narrateur, dans sa promenade, un après-midi, se rendit à la plage de Xwlakodji vers lHôtel Aléjo-PLM. Tout au long de la côte, les hommes se battent contre l’avancée de la mer qui a détruit beaucoup d’habitations.
Quelques thèmes
La corruption : c’est un fléau terrible qui s’observe dans les administrations publiques et constitue un frein au développement des pays africains.  Les agents se permettent d’abandonner soit leur poste, soit de venir au service quand ils le veulent, soit encore, quand ils sont là, de vaquer à leurs
propres affaires. C’est le cas de Kosaba, qui se fait sermonner par son mari : « mais aller au service tous les jours à 10 heures, avec trois heures de retard, pour en sortir à 12 heures au lieu de 14 heures, et te volatiliser après dans la nature, c’est extrêmement dangereux, ma chérie ! Réfléchis donc ! Ta journée continue est scandaleusement trop courte ! » (p.74). Ce comportement ne peut qu’apporter des préjudices à la population, qui ne comprend pas comment l’Etat continue de payer ces gens-là qui ne font pas leur travail. Yessoufou en a eu pour son compte : « Ah ! vous êtes là ? C’est regrettable. Je ne puis rien pour vous, car le chef m’a confié une affaire d’une extrême urgence. Revenez demain. Espérons qu’aucun autre problème ne vienne perturber mon programme » (p.57)
La tradition : elle n’est du tout pas présentée sous ses beaux jours. En effet, certaines valeurs culturelles dont le veuvage sont une humiliation pour la femme. En témoigne ce que doit subir Alice après la mort de son mari : « Que d’interdits pendant le délai de trois mois de viduité !  Alice devra rester assise sur une natte, les jambes allongées toute la journée ; elle ne modifiera cette position que pour se coucher ou aller aux toilettes ; dans ce deuxième cas, qui ne peut intervenir que la nuit, il lui faudra mettre un coussinet spécial sur la tête ; interdiction absolue de serrer la main à un homme quel qu’il soit, de rire, de faire de la cuisine ; les pleurs matinaux sont obligatoires, ainsi que les coups de fouet de son propre fils ; l’agenouillement quotidien sur des coques de noix de palme écrasées ; du petit piment pilé sera jeté sur de la braise ardente en face d’elle : si elle éternuait, la preuve serait faite de sa complicité dans la mort de son mari ; elle ne devra regarder aucun objet en cuivre, ni porter le moindre bijou : boucles d’oreilles, bracelets, chaînettes, pendentifs, etc. ; le jet d’urine dans la figure chaque après-midi ; elle devra se rendre tous les matins dès l’aube à la plage pour se baigner dans l’eau de mer, sans se retourner ni à l’aller, ni au retour » (p.90)
Le racisme : c’est l’un des fléaux les plus répandus actuellement dans le monde. Le Noir est considéré comme un sous-homme qui ne doit avoir les mêmes faveurs que les autres races. Diamantono Ramos, malgré le fait qu’il ait réservé trois mois à l’avance, a vu sa demande refusée le jour-même où il doit intégrer sa chambre. Le lieutenant Démbélé, le mari de la française Flora, un ancien combattant, qui a aidé la France contre les nazis, avait été  sauvagement assassiné parce que la population ne comprenait pas pourquoi et comment il pouvait sortir avec une blanche : « Mais un soir, alors que nous nous promenions bras dessus, bras dessous, Rue Saint Féréol, « ils » l’ont abattu dune salve de chevrotines en pleine nuque. Une lâcheté !… Ah ! les racistes. Ils ne pouvaient supporter de voir un Noir donner le bras à une Blanche. Les prouesses du héros ? Bernique ! ils ne voyaient que la fameuse pureté, l’intolérable supériorité de notre race », (p.112).
Conclusion
Chaque jour que le bon Dieu fait, le monde devient de plus en plus malade de ses propres habitants. Le racisme persiste : malheureusement, le mouvement de la Négro Renaissance à Harlem City à New York n’a pas réussi à trouver une solution. Les Claude Mckay, Langston Hughes, Jean Toomer, Countee Cullen, Edgar Edouard du Bois etc.,  n’ont pas vu leurs luttes aboutir.  Aujourd’hui encore, on qualifie le Noir de « homme de couleur », comme si les autres races sont sans couleur. Cette conception de supériorité du Blanc sur le Noir est d’une bassesse intolérable de ces hommes dits intelligents. Et pourtant, André Gide, un auteur français mettait les siens en garde en 1948 dans son livre « Voyage au Congo », cité par « Le Figaro » : « Moins le Blanc est intelligent, plus le noir lui parait bête ». Malheureusement encore aujourd’hui, ils sont nombreux dans le monde ces Blancs qui sont moins intelligents. Le continent africain, avec ses valeurs s’enlise aussi dans des pratiques peu recommandables : la sorcellerie, les différentes religions importées et celles traditionnelles, le fanatisme, la corruption, les détournements de deniers publics. Trop de maux pour lui permettre de décoller véritablement.
Au-delà du « rêve étranglé », c’est toute l’Afrique qui est étranglée par certaines de ses pratiques, qui ne permettent pas vraiment de la présenter sous ses beaux jours. Vivement une grande prise de conscience de nos décideurs et des enfants du continent. La survie de ce continent en dépend.
Kouassi Claude OBOE

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