Serigne Filor : « J’appelle la jeunesse sénégalaise et africaine à faire preuve d’engagement »

Serigne Filor : « J’appelle la jeunesse sénégalaise et africaine à faire preuve d’engagement »

Biscottes Littéraires reçoit pour vous aujourd’hui un jeune écrivain sénégalais Serigne Filor  avec plein de rêve: « J’appelle la jeunesse sénégalaise et africaine à faire preuve d’engagement »

 

BL :Bonjour Serigne. C’est un plaisir de vous recevoir sur notre blog. Veuillez vous présenter.

SF :Bonjour monsieur ! C’est aussi un plaisir pour moi d’avoir cette interview avec vous. Je m’appelle Serigne Filor, je suis étudiant en 2ème année de Sciences économiques et Gestion à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Je suis né à Koungheul, un département de la région de Kaffrine et j’ai grandi à Dakar, la capitale.

BL :A quand remonte votre amour pour la littérature et comment est-il né ?

SF :C’est depuis le collège, je peux dire, en classe de 3ème. Mon amour pour la littérature est né à travers les enseignements et l’assistance de mon excellent professeur de français, M. Fall que je remercie d’ailleurs au passage. Grâce à lui, j’ai aimé tout ce qui touche à la langue française, même le rap français. Au début, j’écrivais des textes de façon désorganisée pour traduire mes pensées, je m’intéressais pas vraiment à la littérature proprement dite, ce qui pourrait être compréhensible pour quelqu’un qui a fréquenté la série scientifique (S2). Mais au fil du temps cela s’est amélioré et après mon baccalauréat, j’ai enfin décidé de faire carrière dans la littérature parallèlement à mes études.

BL :Pourquoi avez-vous choisi d’écrire ? Quel sens l’écriture a-t-elle pour vous ?

SF :J’ai choisi d’écrire parce que l’écriture est un puissant outil de communication qui peut m’aider à partager les idées que j’ai sur le monde qui nous entoure en général et en particulier sur l’Afrique. Quand j’écris, c’est pour innocenter un monde culpabilisé par les hommes et pour panser une Afrique malade, un Sénégal estropié.

BL :Comment appréciez-vous le paysage littéraire sénégalais d’aujourd’hui ?

SF :C’est un beau paysage, comme dans le passé ! En lisant les écrivains sénégalais d’aujourd’hui, vous ne pouvez qu’être fier. Déjà il y a beaucoup de jeunes comme moi qui se lancent dans l’écriture pour relever des défis multiformes, malgré le manque d’assistance et de soutien à leur égard. Les écrivains d’aujourd’hui sont talentueux. Mais je les appelle aussi à mettre véritablement leurs talents au service de la société. La plupart d’entre eux chantent l’amour ou magnifient le beau. Ce qui confère à leurs écrits un caractère atone. Je pense qu’on n’a pas urgemment besoin de cela dans un Sénégal criard.

BL :Votre premier ouvrage intitulé Le Sénégal autrement, dans une Afrique prospère se veut dénonciateur des tares d’une Afrique malade et d’un Sénégal aux carences multiples, mais aussi restaurateur d’une histoire africaine qu’on a voulu sombre et piètre. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette œuvre ?

SF :Le Sénégal ainsi que la majeure partie des pays africains sont sous-développés. D’ailleurs, des « négociateurs » se sont réunis il y a quelques années pour créer le sigle PPTE (pays pauvres et très endettés) pour y regrouper des pays comme le nôtre. Le manque, le déficit et le handicap, ils sont là depuis longtemps. Concevoir cela comme une affaire totalement fatidique, qui ressort du domaine de nos aptitudes, n’est que paresse et fainéantise et serait donc illico presto la pertinence des échecs de nos décideurs. Je pense dès lors que l’heure est totalement propice pour dénoncer ce qu’il convient d’appeler les comportements inadéquats aux contextes des sociétés africaines résultats d’une crise de valeurs qui gangrène l’Afrique tout entière, les détournements de deniers publics, les défaillances de nos systèmes… qui sont des freins au développement, à la prospérité. Une Afrique avec ces tares, ne peut connaître le meilleur, d’après moi. D’où l’intérêt, de les dénoncer et d’en proposer des solutions. L’ouvrage s’inscrit dans cette dynamique.

BL :Jeune comme vous l’êtes, n’est-ce pas se charger d’un poids écrasant que de s’atteler à vouloir sauver un Sénégal aux 60 années d’indépendance et une Afrique multimillénaire ?

SF :Peut-être, si on se réfère aux réalités de nos sociétés telles que les jeunes doivent rester derrière. Certes, la charge est lourde mais cette lourdeur n’est pas aussi appréhendée comme elle se doit. Vous savez, quand on est jeune, on est à la fleur de l’âge, on est au summum de la maturité et de la forme. Ce serait donc une parfaite légitimité pour les jeunes de tenter de sauver le Sénégal et l’Afrique. Seulement que la réalité promue veut qu’on les écarte jusqu’à ce qu’ils deviennent peut-être des sexagénaires. A mon avis, ce n’est pas aussi lourd que ça le paraît.

BL :N’est-ce pas un peu rêver plus grand que ses yeux que de s’ériger, comme vous le faites, en sauveur d’une Afrique qui depuis une éternité semble enlisée dans la boue de problèmes multiples et multiformes ?

SF :Lire le titre de mon ouvrage et demander mon âge, peuvent faire penser à cela. Je comprendrai que cela puisse paraître insensé qu’un jeune à peine atteignant la vingtaine veuille sauver une Afrique perdue dans les ténèbres il y a des années et me filer la mise de rêveur grotesque. Mais tout ça, je vous le dis, n’est que désinformation. Il y a des réalités révolues, qui n’ont d’ailleurs jamais eu leur raison d’être, à l’instar celles qui stipulent que les jeunes ne peuvent réaliser grand-chose. L’Afrique a besoin de ses jeunes pour se sauver. Et si on qualifierait les solutions que je propose pour le développement d’utopiques, le Pr Felwine Sarr nous dit que quand il y a absence d’utopie, il n’y a pas de solutions à l’horizon. Je ne me vois pas en sauveur d’Afrique mais je suis juste un fils qui essaie de répondre à l’appel de sa mère, qui essaie de satisfaire les exigences de sa mère.

BL :Vous intégrez, grâce à votre ouvrage sans cesse grandissant des penseurs pour un Sénégal et une Afrique rayonnants. La multiplication de ses écrits n’est-elle pas selon vous due à la surdité caractéristique d’une Afrique têtue voire irrécupérable qu’il faille sans cesse éduquer et rééduquer au développement ?

SF :Une Afrique têtue ? Non, je ne dirai pas. Si l’Afrique semble avoir depuis lors un destin sclérosé c’est parce qu’il y a certains qui ont travaillé à faire encrer cette pensée dans la tête des gens. C’est l’encrage du discours négatif qui est le fonds de nos problèmes, pour parler comme le Pr Felwine Sarr. L’Afrique est bien apte au développement. Vous avez parlé d’un cercle d’écrivains, qu’est-ce qu’ils pensent ces écrivains-là ? Il y a longtemps, l’imaginaire des africains a été violé. De ce fait, ils penseraient de la même manière que ceux qui dirigent les « sociétés du nord » pilleuses veulent qu’ils pensent. On peut écrire pour proposer des solutions au développement de l’Afrique, pour panser celle-ci, mais si ces écrits obéissent au vœu d’un Occident guillotineur, ces solutions deviendront d’autres problèmes. L’Afrique est bien récupérable si elle a l’air d’être perdue. Il suffirait juste que les africains viventet pensent conformément à leurs réalités sociales, sociétales, culturelles, religieuses,… Et que, particulièrement, les dirigeants africains  élaborent des politiques de développement qui répondent immédiatement aux défis de l’Afrique.

BL :Vous partez d’un diagnostic du Sénégal et de quelques pays pour généraliser le mal à toute l’Afrique. Peut-on sur cette seule base affirmer que toute l’Afrique, du nord au sud et de l’est à l’ouest, souffre aujourd’hui les mêmes maux méritant les mêmes remèdes ?

SF : Oui, en effet. Je suis parti d’un diagnostic du Sénégal. Il y a de petits décalages avec les autres pays, je l’avoue. Il y a entre autres pays africains qui ont des conditions de vie assez « normales » comme l’Afrique du Sud ou le Maroc (qui a voulu pendant une période intégrer l’union européenne),… Mais dans l’ensemble, les pays africains ont les mêmes maux : goût effréné de pouvoir des dirigeants, l’inconscience d’un peuple,… Vous pouvez remarquer cela. Et comme on le dit, l’exception vérifie la règle. Les quelques pays qui constituent une exception ne peuvent contredire cette généralisation que j’ai faite. Dans ce cadre, oui j’ai généralisé.

BL :Cet autre Sénégal et cette Afrique prospère pourraient-ils, à votre avis, voir le jour ?

SF :Oui j’y crois. En parcourant l’ouvrage, vous pourrez le remarquer. Mais tout dépend aussi de ce que le Seigneur des Cieux et de la Terre en décide.

BL : Les solutions que vous proposez sont-elles selon vous réellement efficaces et surtout réalistes et réalisables ?

SF :Oui, en effet. Je garde la parfaite conviction que ces solutions sont efficaces car, faut-il le rappeler, il faut d’abord être convaincu de la fiabilité de ses propositions pour en convaincre d’autres. Mais cela ne suffit pas. Il en reste aussi l’avis des lecteurs, les destinataires du message. Elles sont aussi réalistes et réalisables d’autant plus qu’elles ne demanderaient pas de grands moyens –financiers- par exemple. Que coûterait un citoyen de faire un examen de conscience la nuit, quand tout devient calme, pour mesurer l’impact de ses faits et gestes dans la marche de la société ? Et un gouvernant d’être sensible face aux inquiétudes du peuple ? Rien, comme vous l’auriez remarqué. En fait, ce qu’il convient de retenir, c’est que le fait que ces solutions soient réalisables ou pas est déterminé par la prise d’une chère décision de les mettre en œuvre.

BL :Quel plus ou quelle originalité votre analyse du Sénégal et de l’Afrique apporte-t-elle dans l’évolution du débat ?

SF :Elle s’écarte très largement dans le contexte du débat actuel. D’une part, nous pouvons remarquer qu’il y a un éveil des consciences qui a fait qu’une large majorité de jeunes s’engagent dans les mouvements citoyens ou dans le panafricanisme. Et ainsi remarquons-nous des jeunes qui fustigent les dirigeants africains et prônent pour une  indépendance achevée des pays africains sous-prétextes qu’ils sont des panafricanistes et que les gouvernants ne le sont pas. Ou d’un autre côté, ceux-ci accusent les citoyens de n’avoir pas été de bons consommateurs. Le débat actuel tourne autour de cela. Les analyses que je propose ne sont pas centrées sur un seul côté, elles passent au peigne fin tous les deux, pour en extirper les failles. Par exemple, elles vont au-delà de cet éveil de consciences, pour en mesurer les utilités… D’autre part, quand il s’agit de penser le développement, nous cogitons suivant les termes fournis par d’autres, (économies fortes, une industrialisation des économies…) tandis que je propose de définir notre propre développement, fixer ses objectifs et les atteindre. Et tant d’autres points que j’ai développés dans l’ouvrage qui peuvent montrer que les solutions proposées ne sont pas dans la même dynamique que celles proposées par la masse. A me lire, croyez-moi, vous pourriez penser que je revendique un cynisme ou une particularité sans précédent, ce qui n’est pas le cas.

BL : Vous semblez en désaccord avec les panafricains contemporains. Que leur reprochez-vous ?

SF :Je ne manifeste pas un désaccord avec les panafricains contemporains. Ceux-ci ont rempli leur rôle et montré la voie à cette nouvelle vague de panafricains. Ce désaccord, je l’établie avec celle-ci. Vous savez, le but du panafricanisme, c’est d’aboutir à une union des Africains et des Afro-descendants. Et à voir la façon dont ces panafricains s’attèlent à mener ce combat pour « la libération des peuples africains », je remarque qu’il y a peu de chance d’atteindre cet objectif. L’union africaine dont ils parlent est celle qui en exclurait tous les dirigeants africains. Dans tous leurs agissements, on ne peut lire que des hostilités à l’égard de nos dirigeants. C’est chose normale, du fait que ceux-ci sont coupables dans l’enlisement du continent africain. Mais est-ce normal si on tient compte de l’objectif qu’ils veulent atteindre ? Je ne pense pas. Leur intention est très noble, j’en suis ravi. Mais j’aurai été parfaitement d’accord avec eux, s’ils empruntaient d’autres façons de voir qui colleraient entièrement avec les exigences de leurs objectifs. Pourquoi ne pas essayer de s’allier avec les dirigeants par le biais de discussions, de négociations,…

BL:Le panafricanisme selon vous Serigne, qu’est-ce que c’est ? Quel type de panafricanisme préconisez-vous ?

SF :Le panafricanisme est un mouvement qui considère l’Afrique, les Africains et les Afro-descendants comme un seul ensemble dont l’objectif est d’unifier l’Afrique et de faire naître la solidarité entre les africains. Le panafricanisme que je préconise est celui qui est bâti sur la base de négociations entre africains si bien que son objectif ne peut être atteint dans une dissension ou une distorsion permanentes entre les africains rendant fragile le bouclier sur lequel doit atterrir l’obstacle de toutes ces négatives influences qui viennent d’ailleurs.

BL :A quoi est dû selon vousce rêve d’ailleurs continuellement nourri par des milliers d’étudiants sénégalais aujourd’hui ?

SF :Ce rêve est nourri par une désinformation. La plupart des étudiants rêvent de partir ailleurs non pas pour réussir dans leurs études mais ils sont convaincus que partir est inévitable. Ils ont les yeux rivés sur l’Eldorado. C’est facile de dire que l’école sénégalaise ne marche pas pour justifier cette désertion, ce n’en est pas la patente justification. Certes, les difficultés sont là. Mais ce ne sont pas véritablement ces difficultés rencontrées qui motivent leur envie de quitter.  Ils veulent partir ailleurs parce qu’on leur a fait croire que tant que leur vie n’est pas à l’image de celle que d’autres mèneraient dans les grandes mégalopoles occidentales, (pour citer encore Felwine Sarr) ils sont en train  de mener une vie au rabais. Voilà la désinformation qui nourrit sans cesse leur envie de partir, de quitter l’Afrique pendant qu’elle brûle.

BL :Quel serait en quelques mots, votre message à la jeunesse sénégalaise et africaine ?

SF :J’appelle la jeunesse sénégalaise et africaine à faire preuve d’engagement. Un temps de jeunesse doit tellement être rempli d’exploits que l’on éviterait de sombrer dans des regrets et des remords quand la vieillesse arrivera. Il faut qu’elle se voie dans les stratégies de développement tout en n’attendant pas une invitation, c’est son devoir. D’ailleurs, c’est la seule façon de faire retentir son utilité.

BL :Parlez-nous de vos projets littéraires en cours.

SF :Je suis en train de rédiger un autre ouvrage qui s’inscrit dans la même dynamique de propositions de solutions pour guérir une Afrique malade, l’Humanité moribonde.

BL : Où et comment se procurer votre livre ?

SF :Le livre sera bientôt disponible aux Editions Artige à Guédiawaye, dans la région de Dakar. Ceux qui veulent en procurer peuvent me faire signe à travers mon mail serignefilor9@gmail.com ou contacter le numéro 00221 78 470 99 66.

BL : Votre portrait chinois à présent :

– Un héros ou une héroïne

– Un personnage historique

– Un auteur

– Un animal

-Un plat

– Un hobby

– Une phobie

SF :

  • Un héros : mon père
  • Un personnage historique : Cheikh Anta DIOP
  • Un auteur : Pr Felwine SARR
  • Un animal : le tigre
  • Un plat : c’est tous les plats sénégalais, je suis un « bouffe-tout » (Rire !)
  • Un hobby : la lecture
  • Une phobie : Je ne sais même pas…

BL :Merci de vous être prêté à nos questions. Votre mot de la fin

SF :Je vous remercie de m’avoir offert cette opportunité pour éclaircir sur certains points. Le fait de donner la parole aux jeunes écrivains, est chose noble et à saluer. Je vous souhaite le meilleur et à la prochaine.

 

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