« Silence des acacias »: 10 talents à célébrer.

« Silence des acacias »: 10 talents à célébrer.

Dans sa préface, Habib Dakpogan rend hommage à la patience incarnée par le coordonnateur du projet « Révéler Dix Talents » qui est d’office une école. Une école de patience, de travail ardu, de fédération de dix auteurs qui se sont révélés au bout du processus de ce projet qui démarre en Octobre 2022.

229. 229 qui est l’indicatif-pays du Bénin. 229 pages. 229…mondes différents qui se tissent et prennent leur envol. Ce qui est frappant dès les premières lignes de cet ouvrage intitulé Silence des acacias, c’est la sérénité, la paix intérieure qu’on ressent peut-être dû à tout ce dispositif pour que ce projet voit le jour. Comme si exprès, on va vers le lecteur avec douceur et générosité. Dans sa préface, Habib Dakpogan rend hommage à la patience incarnée par le coordonnateur du projet « Révéler Dix Talents » qui est d’office une école. Une école de patience, de travail ardu, de fédération de dix auteurs qui se sont révélés au bout du processus de ce projet qui démarre en Octobre 2022. C’est ainsi qu’est publié en Mai 2024 aux Éditions Savanes du Continent, le recueil de nouvelles Silence des acacias. La patience décrite et observée chez Ésaïe Corneille Anoumon soutenu par Niyi Saakibou Mayowa transparaît d’ailleurs assez bien dans son mot d’introduction où il sait et a compris qu’il a sa place à cette époque de sa génération où tout est possible quand on y croit. Dix paires de mains nous offrent leur univers d’écriture. Chaque nouvelle démarre par un dessin illustratif, reflet du contenu de l’histoire qu’on s’en va lire.

Ainsi démarre « SOS » écrite par José Pascaël Agbo dont le dessin illustratif est une télévision ancienne avec sur l’écran une main menottée. Intrigante introduction, n’est-ce pas ? L’auteur nous plonge ainsi dans le passé qui n’a jamais quitté les mémoires : la traite négrière. Sa faculté à mener l’imagination en quelques pages et aborder plusieurs interrogations qui mènent à la reconnaissance de l’histoire est une originalité. Les prétextes du rêve et de la discussion avec ses géniteurs rendent la nouvelle vivante et active. En page 33, le narrateur décrit : (…) « Ta génération nous a oubliés ! Seules quelques traditions essayent de faire mémoire à l’image du culte à la divinité Gou de Zoki Azata, le culte Tchamba et bien d’autres d’ailleurs. Nos histoires se dissolvent dans les générations qui s’évanouissent. La mémoire se fragilise, et nos âmes en souffrent encore. » Loin d’être récriminatoire, « La dispute » est la porte qui peut permettre l’élaboration d’un essai sur les réflexions de José Pascaël Agbo qui a tant à dire sur le sujet. Il ouvre le bal pour que suive sa consœur de plume Nouriath Lalèyè.

Nouriath Lalèyè ne nous dit pas adieu dans sa nouvelle « Dire adieu » mais elle donne la parole à ses personnages qui vivent d’intenses remous intérieurs. Le dessin annonciateur de « Dire adieu » est le visage de biais d’une jeune fille triste qui a le regard évasif. C’est l’histoire de Yèmi promise à un mariage forcé qui finit par s’enfuir pour rejoindre son amoureux. Destins liés ou hasard, les amoureux se retrouvent grâce au suspens élaboré par Nouriath Lalèyè. Cette nouvelle est empreinte de réflexions et de dilemme car l’autrice use de questions pour interroger chaque conscience. En page 55 où Yèmi l’héroïne du récit décide de rejoindre son amoureux Kola « (…)Il avait déjà tout prévu, son Roméo des temps modernes. Elle pleurait de soulagement. Elle pleurait de bonheur. Au bout de sa course, l’amour l’attendait. La liberté l’attendait. Elle laissait tout derrière elle. Elle ne regretterait que sa sœur. Comme elle aurait voulu lui dire au revoir ! Mais le temps pressait. La reverrait-elle jamais ? Ses larmes coulèrent de plus belle. Elle savait que plus jamais son père ne souffrirait de la voir.(…)« . Les émotions présentes dans cette nouvelle donnent de la poésie à cette narration. Découverte d’une plume qui n’a pas fini de surprendre.

Noudjiwou Carlos Allossou fait son entrée en troisième position avec un dessin de rideaux écartés qui laissent place à « Azin go la« . « Azin go la » est le titre de sa nouvelle qui se définit lors de la narration par une visite touristique qui n’est pas du tout ordinaire. Entre mystère, mythes et histoire, tous les ingrédients sont présents pour montrer la richesse et la force de nos cultures. Dans sa curiosité, Catherine une expatriée qui est l’un des personnages de cette nouvelle cherchait à comprendre, Favi lui répond :

« -Elle était la jumelle du souverain Akaba. En effet, le culte des hoxo réserve un traitement particulier à ces créatures qui ne sont pas ordinaires. Les hoxo à Abomey sont perçus comme des divinités. Le lien qui unit les hoxo est si fort à Abomey, qu’on les traité toujours de paire.(…)

Nous avons là toute une documentation écrite sur les jumeaux et par la suite sur l’avènement de la reine Tassi Hangbé. La suite des évènements démontrera pourquoi le titre « A zin go la » qui est un chant de jeux d’enfants signifiant « tu t’es bourré le ventre à force de te goinfrer ». La métaphore est bien à propos pour cette nouvelle remplie de leçons.

Ce sentiment de sérénité qui m’avait habité dès que j’eus ouvert le recueil de nouvelles « Silence des acacias » prend de plus en plus son sens quand je continue ma randonnée livresque. Darius Vikou donne raison à cela avec sa nouvelle « Le retour triomphal » qui est une ode de fierté pour le retour des vingt-six trésors royaux. C’est toute une génération en effervescence qu’on voit défiler sur ces lignes car l’histoire est têtue et ne meurt jamais. En page 93 : « Tout le monde s’était justement rassemblé cette après-midi pour fêter cet événement : la présentation des trésors royaux restitués au peuple béninois. Les gens avaient quitté les quatre coins du pays pour les accueillir. Ces trésors qu’on nous avait pris, notre patrimoine détenu aussi longtemps par des étrangers.(…)

Ce récit est une carte postale de la fibre patriotique du pays. Dans un siècle quand la postérité lira « Le retour triomphal », elle saura l’ambiance prévalue. La littérature et la science sauvegardent toute leur ampleur pour que l’intelligence humaine ne meurt jamais.

Rosalie Sognigbé aborde la question du harcèlement sexuel en milieu professionnel dans sa nouvelle « Le péché du silence« . Dans un procès où le plaidoyer est décrit avec réalisme, la narratrice sous forme de rêve donne la parole à toutes les victimes de ce délit qui met à mal l’évolution de la société. À la page 103, l’avocat du coupable fait son plaidoyer : « –Monsieur le président, mon client n’a jamais fait ce dont l’accuse mademoiselle Noudé. C’est un homme bon, un mari aimant, un patron exigeant, certes, mais convivial et qui se soucie du bien-être de ses subordonnés.(…)Mon client est innocent, il est sans doute victime d’un complot de la part de mademoiselle Noudé qui, au lieu de se concentrer sur son travail, a préféré fixer son regard sur la poche et le statut de mon client. » La justice a tout de même tranché pour que l’expression sur le visage de la jeune dame de l’illustration disparaisse à jamais. La justice a tranché pour que la peur change de camp.

« Prédateur » est le titre de la nouvelle de Aldores Fidèle Hounkpatin.C’est un récit épistolaire et poignant. Poignant comme ce poignard qui a servi à l’acte. Il y a eu meurtre. Au prime abord, l’illustration de « Prédateur » est amusante : une marionnette qui bouge grâce à des mains humaines. Mais au fur et à mesure qu’on s’introduit dans l’histoire, le suspense va crescendo. La gravité des actions ne permet pas la banalité. À la page 136  : « Il m’écoutait et je ne remarquai pas sa main qui s’était posée sur ma cuisse. J’étais totalement emportée par mes récits et par ma naïveté. Il se leva alors, prétextant la chaleur insoutenable et me dit que je pouvais prendre une douche et me reposer, parcequ’il faisait chaud.

C’était la deuxième alerte.(…)

On imagine comment l’auteur a pu se détacher pour mieux exprimer l’horreur qu’il adviendra pour Fatou, le personnage principal de cette nouvelle. La fin vous laissera coi.

« Profané » est l’œuvre d’ Ezéckiel Gbètoho Houessou. Une nouvelle qui prend l’allure d’un conte tant l’invraisemblable se mélange à la fiction pour donner vie à cette création. Le dessin qui illustre montre un vieillard entouré de jeunes enfants comme pour transmettre son récit. « Profané » donne à réfléchir sur certaines destinées. Le cultuel n’a pas le sens de l’humour car en page 147 : « Le cœur serré, les jambes flageolantes, il avait des difficultés à se lever. La représentation occulte qu’il logeait depuis longtemps poussait des cris humains dans une atroce douleur. » Cet extrait vif dépasse tout entendement et ramène l’homme à sa condition première : le dénuement total. Kougbè n’a pas eu une existence heureuse car son passé ne l’a jamais lâché.

L’ imagination florissante des dix auteurs de « Silence des acacias » n’a rien de silencieux. Ils savent fouiller dans la nature, dans l’âme, dans leurs expériences de vie pour nous produire tout genre de récits qui captivent l’attention. À partir de la page 155, nous sommes avec Habib Freddy Yénoukounmè Tiko avec sa nouvelle « À la barre ». Sa signature désinvolte, ironique orchestrée exprès parle des femmes, discute de femmes. « (…)Quand une femme tient quelqu’un, elle l’étreint jusqu’à la moelle. Toutefois, il y a des femmes au cœur tendre et mieux, maternel. » à la page 164. Cette tragédie qui amène Fifamè en prison, elle la raconte tout doucement avec émotion car son sort est scellé, à moins qu’il y ait un miracle à l’horizon. Comme Aldores Fidèle Hounkpatin, Darius Vikou, ou Noudjiwou Carlos Allossou, Habib Freddy Yenoukounmè Tiko donne une place prépondérante à la femme dans sa nouvelle.

« Je te goûterai un jour » donne une touche particulière au harcèlement sexuel en milieu professionnel. Cette nouvelle écrite par Christy Mellissa Badou est un autre visage à ce phénomène. Il est question de punir les auteurs, ceux qui abusent de leur pouvoir pour arriver à leurs fins. À la page 190 : « J’étais prise au piège. Je n’avais aucune possibilité de donner mon consentement ; je devais juste céder à son offre pour garder mon emploi. Je n’avais aucune issue. » Ces bouts de phrases sont de grands appels à l’aide et chaque talent a su donner son engagement dans cette lutte.

La nouvelle « Destin poignardé » aurait pu s’intituler « Gertrude » tout simplement. Tant l’auteur Géovani De-Souza avec l’humour subtil a décrit son passage dans cette société où le narrateur est un technicien de surface. Comme une biographie, Gertrude fait la pluie et le beau temps au point de bouleverser à la page 228 le narrateur : « Ma bien-aimée Gertrude, ô, ma crush ! La seule que je déifie… Je ne fais que penser à elle depuis son départ. Beauté des dieux … ». La vie des femmes est un renouvellement permanent et ce n’est pas les hommes de ce recueil de nouvelles qui démentiront cela.

Il y a de la diversité, de l’union, de la solidarité dans cette œuvre littéraire. Ces dix talents ne sont pas des symboles de demain. Ils ont déjà conquis aujourd’hui grâce à leur témérité. Ils ont tous en partage cet amour pour la littérature car ils savent créer le vert pâturage dans un désert.

Place à la lecture !

Myrtille Akofa HAHO

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