S’y pique qui s’y frotte (1/5)

S’y pique qui s’y frotte (1/5)

Tout a commencé un mercredi soir. Nous étions en avril. Le crépuscule venait de s’asseoir et la nuit signalait son arrivée sous peu. Les oiseaux effectuaient leurs derniers vols de la journée et les hommes dépités par le travail journalier se convainquirent à rentrer voir les leurs et se reposer.

Mais dans l’un des cybercafés de la ville, réunis en groupuscules d’adolescents, nous semblions plus occupés que des hommes d’affaires. Certains jouaient au jeu le plus grave du moment : » la Play station » qui avait son slogan de pari propre à lui « qui perd paie« . D’autres, câblés sur les postes ordinateurs, avaient l’air inquiet de la fermeture du Cyber. Il fallait juste voir Junior suer de toutes les parties du corps pour déduire de la démence qu’inflige internet.

– La fermeture sera effective dans 5 minutes. Commencez par sortir, finit malheureusement par marteler de façon tonitruante le secrétaire du Cyber.

Les cinq minutes passées, il fallait sortir. Toute la clientèle prit donc la porte. Ce qui semblait bien mystérieux ce soir-là, ce fut le sourire de Junior amplifié ensuite par son rire de satisfaction assimilable trait pour trait aux coassements intermittents des crapauds.

Rapidement, nous nous avançâmes vers lui. Paul, André, Jude et moi. Nous étions camarades de cours:

– Qu’est-ce-qui te met ainsi en joie, après 5 heures de temps, collé à un ordinateur ? Lui lança Paul.

– Je suis entrain de gagner le gros lot.

– Hein ? Tu as joué à la loterie?, lui demandai-je, jaloux.

-Loterie ? C’est rien ça. Moi je parle des euros, dollars et tout, puis, toi tu parles de loterie où la chance ne sourit qu’aux membres administrateurs du secteur où à leurs cousins.

– Dis-nous ta joie alors ? , s’essaya André dans la conversation.

– Bon, D’accord. Faites comme si vous n’aviez rien entendu. J’ai un oncle qui m’a initié à un club de riches, de jeunes riches, appelé « owonikoko » ou le gain est facile. Vous devenez riches en très peu de temps. Vous paraissez très vite show-gars.

– Des gars qui ont chaud ? Même sans rien faire ? S’interrogeait Jude à haute voix.

– Quel niais, tu fais !  Tu es toujours aussi bête,  partout, toi. Quelle réponse veux-tu ? L’interrompit rapidement Paul. « Continue, s’il te plaît Junior. »

– Il m’a dit que si je trouvais des amis qui voudraient s’essayer aussi, que je pourrais leur en parler. Mais moi, j’empocherais vos sous d’initiation. Si vous aussi, vous y amenez d’autres, vous empocherez leurs sous d’initiation. C’est ça le réseau d’affaires. C’est grâce à ça que j’ai payé ma nouvelle moto wave 110 que vous enviez tous d’ailleurs. Sans l’aide d’aucuns parents. Tout à l’heure, j’étais sur une affaire de 30 millions. Je ne voulais pas vous en parler, en effet. Mais, on est amis et la chance vous a souri ce soir. La vie n’offre pas deux fois cette aubaine. La richesse frappe à votre porte. Ouvrez-lui les battants. Essayer la richesse, dévêtez-vous de la pauvreté.

Sur le champ, Junior avait phagocyté les  autres amis dont les yeux pétillaient de joie déjé. Ils acceptèrent d’emblée. Bizarre. Mais moi, j’émis une réticence voilée.

– Et toi, Pierre ?

-Je suis chrétien, mon frère. Ce n’est pas parce que je suis rare à l’église que je ne devrais plus suivre les principes de ma religion.

– Reste là à attendre que l’argent te vienne du ciel. J’espère que c’est ta chrétienté qui va payer votre loyer à la fin du mois, ta mère et toi ? Ou ta pension à l’école ?, se moquait Junior avec un ton sarcastique. De toute façon, moins de personne dans le réseau, plus on gagne. Moi,  je n’ai même pas besoin de tes sous d’initiation. J’ai le pognon moi, ajouta t-il, sortant sept billets violets tous neufs (10 000 francs cfa × 7).

Je respirai profondément et soliloquai intérieurement. Quel argument pouvait être plus convaincant que ça? Tous les autres étaient éberlués, pas moi. Pourquoi ?

Il leur remit chacun un billet et deux à Jude pour qu’il arrête désormais d’être niais. Le pauvre aussi, comme un niais, les prit. Il fit fi de ma présence. Moi qui avais le plus besoin d’argent.

Par quelle alchimie ai-je pu résister à de l’argent? Je ne saurais le dire. J’étais pauvre, très pauvre. Je ruminais tous les jours devenir très riche quels qu’en soient les moyens mais je ne sais pas ce qui m’a retenu et m’a poussé à parler de chrétienté ce jour-là. Toutefois, je pensai trouver la réponse à l’église.

Alors dimanche matin, je me rendis à la messe bien qu’en retard. Je pénétrerai l’église après l’évangile et m’assit pour l’homélie. Homélie surprenante !

-« Soyez sobres et prêts car le royaume de Dieu est tout proche. Les signes se font certains et l’apocalypse adviendra sous peu. Le Christ reviendra dans sa gloire honorer les élus et renverrait au diable les déchus. Tout est écrit. Croyez en Dieu et repentez-vous. Il est encore temps. Aimez le peu de fruit que vous offrent vos labeurs. Restez loin des femmes trop faciles et matérialistes. Détachez-vous des hommes imbus d’eux-mêmes et sans vergogne qui ne craignent pas Dieu. Soyez pauvres de cœur, humbles. N’aimez pas l’argent. L’argent ne peut pas tout acheter. Pour finir, je vous en supplie, n’essayer pas le gain facile car un bien mal acquis ne profite jamais. » prêcha succinctement l’abbé Georges, Curé de la paroisse Ayékopkémedji.

Les fidèles, devenus perplexes et contrastés par de telles vives admonitions essayaient une introspection. L’église devint méditative.

Moi, pensif, je méditais sereinement les mises en garde du révérend qui particulièrement m’étaient adressées. Oui, particulièrement. Si non, comment comprendre que la seule fois que le seuil de l’église me revit depuis ma première communion, qu’un prêtre pût connaître autant les dessous de mes imaginations, de mon cœur et surtout le projet de Junior qui depuis peu me taraude l’esprit ?

Mais lui, prêtre, pouvait-il comprendre que j’en avais marre de la misère, marre d’être marginalisé ? Non.

 

A suivre….

Amoni BACHOLA

 

Crédit photo : pixabay.com

5 comments

Une jeunesse qui se perd dans les méandres de la cybercriminalité. Une jeunesse en proie aux vices du gain facile. Une jeunesse produit d’un système éducatif et politique moribond et délétère. La plume apporte sa poerr à l’édifice de la conscientisation d’une autre jeunesse consciencieuse. Plus de fertilité à cette plume

Merci bien frère Chrys Amègan pour la profondeur de votre analyse. Mais avec vous, nous vaincrons la fatalité. Notre arme? la plume et la volonté de changer les choses. Paix à vous!!

Evidemment, Monsieur Marcel Padey. Vous nous avez manqué. Soyez le bienvenu chez vous!!

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