«Tous les jours seront 14 février pour toi et moi » (1/3) Junior GBETO

«Tous les jours seront 14 février pour toi et moi » (1/3) Junior GBETO

« Elle n’était pas la plus belle de mes conquêtes, loin s’en faut », commençait-il avec cet air si solennel, celui qu’arborent les mourants qui dictent leurs dernières volontés. De temps en temps, il soupirait mais ne détachait pas ses yeux, rougis sans doute par l’insomnie, de la bouteille de whisky qui gisait sur la table et dont il semblait scruter chacune des molécules. «  Non !, poursuivit-il, rien à voir avec Estelle et ses rondeurs de Vénus hottentote. Rien à voir avec Cindy, Charbelle ni Marguerite et sa poitrine arrogante. Rien! mais rien! Bordel ! »

Et comme pour m’en convaincre, il glissa la main dans la poche arrière de son pantalon, en sortit son portable, l’ouvrit et me fit apprécier une dizaine de photos éparpillées dans sa galerie. Je le reconnus sur plusieurs des photos et remarquai à ses côtés sur la plupart des photos une jeune femme qui devait avoir dans la vingtaine. Teint café, nez aquilin, petites joues, lèvres pulpeuses. Plutôt belle, belle d’une beauté candide et sage. Rien d’arrogant dans ses traits, rien de fatal comme les aime Pierrot. Elle n’avait en effet rien de ces femmes « inaccessibles » que mon ami se mettait au défi de se taper l’une après l’autre. Elle m’avait tout l’air de ces femmes qui ne demandent qu’à aimer et être aimées, qui ont horreur de papillonner et qui ne rêvent que de se caser et de faire les beaux jours de leur homme, fût-il prince charmant ou manant. »

Il se versa une énième rasade de Jack Daniel’s et continua son récital mélancolique :

– « Je l’avais rencontrée par hasard au détour d’un chemin, et comme je ne peux m’empêcher d’en voir défiler une sans l’apostropher, je voulus savoir comment elle s’appelait, si elle habitait dans les parages et lui fis dicter non sans mal son numéro de téléphone. J’attendis que passât une semaine avant de commencer à lui servir comme à mes précédentes victimes sa dose de boniments. Mais cette fois, c’était différent. Au fil du chapelet de textos qu’on s’échangeait, je découvris en elle une âme sensible qui ne supporterait pas qu’on la froisse. Mieux, je commençai à m’éprendre de cette fille sans même pouvoir me l’expliquer. Ce n’était plus qu’un « plan-cul ». C’était désormais plus que ça. Je commençais à voir en elle l’âme-sœur, la future mère de mes enfants, celle avec qui je passerais le restant de mes jours. On chattait sur WhatsApp depuis seulement trois mois elle et moi. Un soir, mû par je ne sais toujours pas quel ange ou démon, je me surpris à écrire les mots fatals, ceux-là même que je n’avais auparavant jamais dits à aucune femme. Les mots-chaînes, les mots-liens, les mots-épanchement du cœur, les mots du non-retour : «  Je t’aime ». Commençait alors notre longue, mielleuse et hélas ! , dit-il entre deux sanglots, acide, amère et tragique histoire d’amour. Ah Diane ! Diane ! Diane ! », murmura-t-il, le regard hagard, braqué sur une cible invisible, perdue dans le vide, les yeux embués de larmes.

Diane ! C’était donc ça son nom. J’avais connu Estelle et Cindy. Et j’avoue, cette Cindy j’aurais aimé me la faire. Mais il m’avait devancé sur le coup, l’enfoiré. Diane et les autres par contre, je ne les connaissais pas. Il reprit sans ma laisser placer un seul mot:

– « N’en déplaise aux jaloux ! On marchait bras dessus, bras dessous. On s’enlaçait dans tous les coins de rue. Les gens nous dévisageaient, envieux et jaloux. Ils nous assassinaient du regard, ces célibataires endurcis en chaleur et ces mégères qui n’avaient pas droit à autant de romance de la part de leur partenaire. Il ne se passait pas de jours sans qu’on ne se vît. Je rentrais du boulot un peu plus tôt qu’elle. Et dès que j’étais sorti, je m’empressais de me rendre à l’agence de mannequinat où elle travaillait. Le trajet pour y aller était long de quatre kilomètres. Mais la voir, m’enivrer de son parfum exquis, la câliner et l’embrasser après une épuisante journée de travail à l’huilerie, rien ne me faisait plus plaisir que cela. Ensemble on rentrait. Je la déposais chez elle avant de poursuivre la route jusqu’à chez moi. Parfois nous faisions escale dans quelque restaurant ou fastfood de la place où nous nous plaisions à déguster de petits plats savoureux. Ses parents étaient au courant de notre relation et n’avaient rien contre. C’étaient de braves gens, ils m’aimaient bien, quoique je trouvasse sa mère un peu suspicieuse. La nuit quand chacun était rentré chez soi, on s’échangeait des pages et des pages de textos. On se racontait notre journée, on se confiait nos petits secrets, on se disait mille « je t’aime », on s’envoyait dix mille roses jusqu’à ce que l’un de nous s’assoupît. Souvent c’était elle. Car quand bien même je tombasse parfois de sommeil, je puisais la force de lui dire combien elle était jolie, combien ses lèvres me manquaient , combien je mourais d’envie de l’embrasser, combien j’aurais souhaité qu’elle fût là à mes côtés, combien elle comptait pour moi, combien je… Oh non » s’interrompit-il en pouffant d’un rire explosif qu’il étouffa aussitôt après avant de reprendre, en plongeant son regard dans le mien comme pour me dévisager ou me défier ou encore pour m’obliger à croire en lui: « Je reconnais ce regard incrédule, Jordi. Je t’assure que je ne bonimentais pas pour la manger à ma sauce. Pas avec elle. C’était du sérieux, frère. Toutes ces paroles venaient du cœur. »

Et je l’ai cru. Ses mots et tout ce qu’il disait sonnaient si vrai :

 

–  « Je lui disais tout ça, enchaîna-t-il , et je lui envoyais un gros cœur rouge, symbole de mon incommensurable amour pour elle. Horhorhor, dit-il en rigolant à nouveau et comme s’il en était lui-même étonné, j’étais amoureux, Jordi. Tu te rends compte ? Fou amoureux diantre ! Cette fois j’avais trouvé l’amour, le véritable. J’en étais convaincu. Et pas question de le brader, pas question de le laisser s’échapper. Les jours passèrent, puis vint un jeudi de juillet. Diane fêtait ses vingt-cinq ans. Ses parents avaient organisé une petite fête en son honneur. Petite fête grandiose, belle et mémorable. Mémorable fête, c’était le premier anniversaire qu’on fêtait tous les deux ensemble. C’était par la même occasion l’anniversaire de ma maman. Mémorable fête, une surprise des plus folles m’y attendait. Musique sage, entraînante sans être endiablée, cliquetis distincts, rires par endroits, ce soir-là l’ambiance était plutôt sobre. Je ne te cache pas que ça n’avait rien à voir avec les ambiances explosives des shows où on aimait bien traîner les weekends. J’étais tout sage. Je ne connaissais pas tous ceux qui étaient présents et donc je devais me tenir à carreaux et faire bonne impression à tout le monde. Je distribuais des rires cadeaux, rigolais aux blagues les plus nulles. À vrai dire ce n’était pas trop mon monde. Je me sentais un peu à l’étroit. Mais que veux-tu, frère ? Là où était Diane, là aussi était mon bonheur. Rien ne me faisait plus plaisir que de la savoir à seulement quelques centimètres de moi. On mangea et but puis arriva le moment de souffler les bougies. À la surprise générale, Diane ne souffla que vingt-cinq bougies dans un vacarme d’applaudissements et de hourras. Soudain, roulements de tambour, chuuuuu. Mademoiselle a un discours pour nous. Voilà qui résoudra peut-être l’énigme :

 

–  « Mesdames, mesdemoiselles et messieurs, commença-t-elle de sa fine voix, en illuminant la soirée d’un sourire éblouissant. Titi, Carl, Lucette, Kwèchi, Tristan, Christopher Tundé, merci à tous d’être venus. Vous n’aviez pas le choix de toute façon, ajouta-t-elle en faisant péter de rire tout le monde ». Tout le monde sauf moi bien sûr. Diane avait quand même mentionné pas mal de noms et aucune référence au mien. Ce n’est certainement pas là le genre de chose qui m’éclate. Non ! Ça je ne pus le tolérer. Peut-être n’avais-je finalement aucune importance à ses yeux. Peut-être bien que l’un des enfoirés dont elle avait mentionné les noms était son amant. Elle a des explications à me donner, celle-là. Je ne me priverais certainement pas de lui en faire la remarque. Pas question que je laisse passer cela. Et mademoiselle poursuivit son allocution. « Merci d’être venus, chacun avec sa gentillesse, sa tendresse, sa courtoisie et surtout ses cadeaux. Nouveaux éclats de rire et sourires. Vous n’avez pas idée de combien je suis émue que vous soyez venus si nombreux faire de mes vingt-cinq ans un moment inoubliable. Papa, maman. Vingt-cinq ans ! Vingt-cinq ans à souffrir mes caprices, vingt-cinq ans à m’élever, me vêtir, me nourrir, m’orienter sur le chemin de la vie. Vous dirai-je jamais assez merci ? Certainement pas », se répondit-elle avant de se ruer en larmes dans les bras de ses parents, devant une assistance tout aussi émue qu’elle. Deux minutes d’émotions et d’applaudissements puis retour au discours. « Infini merci à vous, Infini merci à vous tous invités, Infini merci à mes frères et sœurs pour ces merveilleuses années et pour les nombreuses autres qu’il plaira au Ciel de nous offrir encore. Je suis la reine de cette soirée, vous êtes mon royaume. Mon roi est grand. Mon roi est fort, il est aimant. C’est mon roi à moi. Mon roi à moi, c’est…. » Et là, nouveaux roulements de tambour. L’ambiance avait jusque là été bon enfant. Mais là ouf !, salope ambiance en cours, frère. Montée d’adrénaline alors qu’elle commençait à indexer les hommes de l’assemblée en dessinant un demi-cercle. Un homme, deux, trois, quatre, cinq, six. On n’était désormais plus que deux. Moi-même et un autre homme qui semblait tutoyer la cinquantaine. Je me surpris à jeter à l’homme en question un regard de feu. En même temps, j’étranglais des yeux la Diane. J’étais furieux. Mon cœur battait une  folle chamade. Honte de ma vie. C’est fini. Je redeviendrai le Pierrot d’antan, le bourreau, la peste de ces femelles. Des idées plus assassines les unes que les autres prenaient d’assaut ma tête. J’essayais de les réprimer avec le peu d’espoir que m’inspirait le souvenir des textos qu’on s’échangeait, des mielleux moments qu’on passait tous les deux. En même temps, ces filles d’aujourd’hui, de quoi n’étaient-elles pas capables ? Quelles folies ne feraient-elle pas pour l’argent et le luxe ? N’importe quelle fille se laisserait facilement séduire par la belle gueule de PDG de ce vieux pervers. Diane as-tu osé ? Héhéé, je te tuerais ma jolie, avant de me pendre moi-même. J’étais davantage  furieux et faillit même quitter l’assistance quand Diane, sourire à la fois goguenard et amusé aux coins des lèvres, m’enjamba de l’indexe. Ah elle m’a eu la catin, elle a bien réussi son coup la diablesse. J’avais donc raison. Son doigt s’était à peine attardé sur le « vieillard » que j’étais prêt à tout casser et m’en aller. J’étais au bout de ma vie, frère. Et là, surprise !, encore une ! Diane fit marche arrière et tendit ses deux bras vers moi, laissant tout le monde, moi-même y compris transi de stupéfaction. Je n’en croyais pas mes yeux. Tout ceci n’était donc que du cinéma. Rien que pour une blague j’étais monté sur mes grands chevaux de guerre. Je m’étais paré pour l’attentat. Je t’avoue que j’eus honte de mes pensées. Mais que veux-tu, Jordi ? Pouvais-je imaginer que tout cela n’était qu’un petit numéro digne d’être nominé aux Oscars ? Toi-même tu sais qu’avec elles, il faut s’attendre à tout. Diane m’invita à m’approcher d’elle. Et comme j’hésitais, elle me prit par la main et m’enjoignit de la rejoindre pour souffler sa dernière bougie. Je ne me le fis pas redire. Dévisagés par une impressionnante rangée de paires d’yeux curieux et étonnés, nous soufflâmes la dernière bougie, main dans la main, sous une énième salve d’applaudissements. Mais laisse-moi te dire, frère, que jusque-là je n’étais pas au bout de mes surprises. Une plus grande encore m’attendait. Celle-là, c’était la surprise de ma vie.

 

Après que nous avons soufflé la bougie, je m’éclipsai gentiment pour laisser à la seule reine de la soirée l’honneur de découper son gâteau, encouragée par de nouveaux hourras plus nourris que les précédents. Pauvre pâtisserie, pauvre cercle de délices que Diane lamina et morcela en deux temps trois mouvements. Je fus le premier servi. Et comment ?! Devine, poto. Dommage tu ne peux le deviner. Ce qui se passa ce soir-là n’avait rien de normal. » Pierrot se tut un instant, soupira un gros coup avant de poursuivre cérémonieusement, en martelant chaque mot. «  Elle s’agenouilla, tu t’imagines, frère ? Devant tous ces gens assommés d’ahurissement, elle s’agenouilla devant moi, en présentant posé sur un petit plateau en porcelaine un morceau de gâteau couvert de sucre glace. Tiens-toi tranquille, m’interrompit-il alors que je tentais désespérément d’imaginer à quoi pouvait bien ressembler sa fameuse surprise. « Ce n’était pas là le plus surprenant. Ce qui me coupa le souffle, c’est le discours qu’elle joignit à l’action. « Je suis là reine de la soirée. Pipichou, veux-tu être mon roi ce soir, demain et toujours ? » Jusque-là je ne comprenais pas à quoi rimait tout cela. Était-ce une invitation à danser ? Parce que le DJ venait de balancer à bas volume un Richard Flash irrésistible. Était-ce une nouvelle farce pour animer la soirée ?, me demandais-je tout ébaubi. Mais non, c’en n’était rien. Dès que finalement je remarquai le brillant anneau orné de cristaux qui trônait au centre du gâteau qu’elle me présentait et que dissimulaient efficacement le sucre glace et la gélatine, je compris alors que c’était bien là une demande en mariage. Diane demandait ma main devant une foule déconcertée de gens qui pour la plupart ne savaient rien de moi. Quoi de plus déconcertant frère, quoi de plus fou ?! J’avais connu des tas de surprises. Mais celle-là était de loin la plus choquante. »

 

 

Junior GBETO

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