‘’Xala’’ , Sembene : « Un titre-image au reflet télescopique »

‘’Xala’’ , Sembene : « Un titre-image au reflet télescopique »

Sembène est connu pour des titres évocateurs, puisés du terroir africain, qu’il donne souvent à ses œuvres. Des titres-symboles qui suggèrent beaucoup plus qu’ils n’en disent eux-mêmes. Des titres qui révèlent le fond des œuvres et qui définissent le sens total de ces dernières et des aspects de la pensée analogue qui schématisent les actions des agents du roman. Xala est donc de ces œuvres de Sembène. Xala, qui selon l’auteur, se prononce ‘’hâla ‘’.

Xala est le cinquième roman de Sembène Ousmane, un roman publié en 1973 et qui, à sa publication, suscita de nombreuses polémiques dans le rang de son lectorat. Ordurier et horrible pour les puristes religieux, provocateur et poignant pour les arrivistes et riches, insultant et préjudiciable pour les bourgeois africains, mais réchauffant et réconfortant pour les prolétaires. Ecrivain engagé, Ousmane est très critique et sévère envers le colonialisme. Après l’indépendance de la plupart des pays africains, il publie ce livre dans lequel il dézingue les néo-colonialistes et les bourgeois africains nés après l’indépendance. El Hadj, un enseignant mais aussi un syndicaliste qui fut renvoyé du corps des enseignants, pût, grâce à des activités malhonnêtes, comme exploiter des pauvres, les piller, se faire un nom dans sa communauté. Devenu un homme puissant, riche, craint, il a deux femmes et onze enfants. Il menait une vie de débauche, et malgré sa cinquantaine, prouvait et étalait sa virilité partout, surtout dans les caleçons des jeunes filles. Il décida de prendre une troisième femme. Une jeune fille, belle et « qui a la saveur d’un fruit« . Le mariage connut son épilogue. Vint la nuit des noces. La jeune fille était là, étalée de tout son long sur le lit, avec sa peau éclatante et toute sa beauté. Mais El Hadj ne pût  la dépuceler. Pourquoi ? Il avait le xala. Son désarroi sera terrifiant. « J’ai le Xala… Je n’ai pas bandé. Pourtant en sortant de la douche, j’étais raide. Mais dès que je me suis approché. Rien. Zéro ». El Hadj était donc victime du Xala. Un sort qu’on lui a jeté pour lui prendre sa virilité, ce qui faisait sa masculinité. Et nous savons qu’en Afrique, il n’y a rien de plus honteux pour un homme qui n’arrive pas à satisfaire ses femmes la nuit. L’opprobre couvrit la réputation de El Hadj. Ses activités commencèrent à péricliter. Il était devenu comme un écervelé. Car il existait juste, il n’était pas. Sa deuxième n’arrivait plus à supporter de rester avec un homme qui ne la satisfaisait plus, et décida de le quitter.  Il consulta tous les docteurs de grande renommée. Rien. La science prouva son incapacité, son impuissance à résoudre ce problème qui n’a sa solution que dans les ombres des puissances occultes. El Hadj décida alors de consulter tous les féticheurs, les charlatans, les aruspices. Mais rien n’y fit. Il était toujours impuissant. Il était la cause de son propre problème : son passé. Son passé le rattrapait. Il avait brimé des gens dans le passé, des pauvres, des indigents, des mendiants. L’auteur prouve à travers ce livre que tout se paie vraiment ici-bas, et que chaque acte a tôt ou tard une conséquence. Pour lui retirer le sort, il devra se déshabiller et recevoir sur son corps les crachats des lépreux, laper leurs plaies. C’étaient des gens qu’il avait, à cause de sa fortune, brimés de par le passé, maltraités, humiliés. Mais arrivera-t-il à recouvrer sa virilité avec ce qui s’offre à lui comme moyen ? Xala est un livre très ambigu, qui mérite d’être lu plusieurs fois pour découvrir tout ce qu’il renferme comme richesse et vertu. Un livre qui en dit plus que son titre et où chacun pourra tirer ses propres leçons. La plus grande leçon est l’humilité. Que la richesse ou le pouvoir ne pousse l’homme à brimer son prochain. La nature remet toujours à chacun selon son mérite. C’est très vrai. Le livre a suscité de polémique aussi parce que l’auteur a montré à travers le portrait des lépreux, des brimés qui se sont mis ensemble pour détruire leur malfaiteur, qu’il n’y a que la force commune pour vaincre son ennemi et que les opprimés ont maintenant un moyen pour se défendre et se venger de leurs bourreaux. Le livre a été adapté au cinéma en 1975. Hâla, en wolof, est un livre puissant, profond, vertueux, écrit dans un style fluide, accessible à tous. Prenez, lisez, et sachez que la nature a des yeux et des oreilles. L’amour et le service valent mieux que l’argent et le pouvoir. Les premiers sont éternels et générateurs de grâces, les derniers sont fugaces et entrainent à l’abime.

Martial Blaise AKPO

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