Akɔwé était bien habitué de ce refrain qui ne le gêna guère et ne fit qu’accroître sa joie. Ayant entendu le refrain, il se mit à balancer son bras droit vers la direction du bus qui n’était qu’à mille décimètres de lui. Ce geste stoppeur ou alerteur n’échappa guère au racoleur qui ne cessait de chanter à son patron chauffeur :
- Arrêt, arrêt…
Sans se soucier de mettre le clignotant, ce patron chauffeur ralentit sèchement dans un crissement des ferrailles rouillées et serra le côté droit sur l’indignation des conducteurs de moto qui, étant derrière le bus et étant surpris par ce brusque ralentissement lâchaient le guidon droit de leur moto, et assénaient des coups à la carrosserie en honorant le chauffeur des injures inspirées :
- « Le cul de ta maman »
- « Le rectum de ton papa »
- « Espèce de chauffard, où as-tu appris à rouler ? »
- « Qui t’a donné ton permis ? Je devrais te le déchirer et t’offrir une autre séance d’auto-école. Indonjon… »
- « Akobanon ! Tu roules pour les enfers, n’est-ce pas ? Tu n’auras la peau de personne. Sorcier moderne ! »
- « Chauffard, cafard, saoulard ! Ce beau matin et le voilà déjà saoulé. Chers passagers, vous devriez sortir de ce bus, véritable canal et transition vers la mort. Le gouvernement, en plus de gendarmer les conducteurs sans casque et sans plaque d’immatriculation, devrait aussi se pencher sur votre cas, chauffards!.
Quel salamalec matinal !
- Eya Eya ! Rentre dans la chambre ! Rentre dans la chambre pour qu’on démarre, tonna le racoleur.
Le jeune racoleur lui trouva une place dans la troisième rangée à côté d’une dame géante dotée d’une marmaille bien fournie de trois enfants qui la gênaient. Le chauffeur avait digéré sa dose matinale d’injures.Il redémarra son bus à la carrosserie blanche trahie à quelques endroits soudés récemment. Les rétroviseurs étaient fissurés et dessinaient une toile d’araignée. Le pare-brise du devant également. Certaines vitres latérales n’existaient carrément plus. Cela réjouissait quelques clients qui bénéficiaient d’une ventilation constante. Les pneus étaient devenus lisses avec le temps comme le dos d’un nouveau-né et ils présentaient des difformités qui portaient à croire qu’ils ne tarderaient pas à s’éclater.Cinq minutes sont passées après le redémarrage du bus de Cocotomey. Le racoleur chantait toujours son refrain dans la même position :
- Tokpa, Tokpa ! Tokpa, Tokpa !…Son patron l’accompagnait avec l’instrumental klaxon pi pi pi pi.
Akɔwé n’était pas dans une position confortable. Sa chemise risquait des taches. Le chauffeur ne s’en souciait guère. Cure-dent à la bouche, yeux non débarrassés des crasses nocturnes, chemise mal boutonnée laissant à découvert sa poitrine à la pilosité mal taillée, cheveux en bataille, nez en l’air, il conduisait sans trouble. Le bras gauche déposé sur le bord de sa vitre latérale gauche, la main droite tournant le volant, il crachait par la vitre la salive bouchée de détritus du cure-dent sur le macadam. Akɔwé n’étant qu’un locataire occasionnel de ce bus, ne pouvait broncher.
Les tierces évoluaient au fur et à mesure que les pneus tournaient. Le racoleur n’avait perdu aucun grain de son zèle :
- Tokpa, Tokpa ! Tokpa, Tokpa !…
La circulation grossissait. Le soleil trônait dans le ciel. La température s’élevait. Dans le bus, il restait six places à combler. Le bus évoluait toujours sur l’axe inter-état Togo-Bénin en direction de Cotonou. Quelques tours de pneus après le Carrefour dédié au porc : « Aglouza-carrefour », le racoleur fit à son patron :
- Arrêt ! Arrêt !
Stationnement subit sans clignotant ; « stationnement interdit » violé. Sans que le chauffeur ait complètement freiné, l’apprenti sauta du bus dans un dynamisme hors-pair. Il ne craignit aucun danger. Il se dirigea vers sa cliente – c’était une dame – la déchargea de son panier rempli de marchandises.
- Combien dois-je payer pour mon bagage ? s’enquit-elle.
- 200 francs, belle-mère !
- Deux… combien ? Son visage changea de tenue et se vêtit d’une surprise courroucée. Elle se décontracta en lui ajoutant : j’ai gagné à la loterie on t’a dit ? Si tu ne veux pas prendre 100 francs, merci de me recharger de mon bagage.
Fabroni Bill YOCLOUNON
Hum!!!. Belle carte postale d’une portion de la vie sur les routes du Bénin.
Cotonou et ses merveilles. délires
Une vraie description. Et tout ce beau monde aime cette vie tout en couleurs
oui, cette ville en cool heur