UN MARI TOUT NEUF !

Les marieuses vous disent que c’est le cadeau du siècle, une bénédiction divine unique et exceptionnelle, une aubaine en or que seul un idiot parfait et élégant de la pire espèce peut refuser que de tomber sur un mari américain. Un mari noir. Un mari compatriote qui est docteur aux États-Unis. Il vous veut. Il veut vous épouser.

Mais ce que les marieuses ne vous disent pas, c’est que les nuits, ce mari tout neuf peut transformer le lit conjugal en un trajet de gros porteurs en permanente activité par ses ronflements sonores, par ses grondements graves qui finissent par « une note aiguë, pareille à un sifflement obscène ». Ce qu’elles ne vous disent pas, c’est que ce que votre mari tout neuf appelle maison n’est juste un appart handicapé, handicapé de tout ameublement.

Les marieuses vous vantent un mari génial, un mari compatriote, mais omettent de vous dire qu’il a beau être noir de peau, il reste et demeure extraverti, blanc de cervelle et de mentalité, puisqu’une fois avec lui au pays de l’oncle Sam, il vous interdira de parler votre ibo, ou même votre anglais ibo, avec lui, dans la maison, en ville et partout ; de cuisiner des plats ibo parce qu’il ne veut pas être vu par les voisins comme des négros embaumant les narines de tout le quartier avec des odeurs appétissantes africaines, de porter votre nom ibo Chinaza Agatha Okafor. Lui-même ayant depuis longtemps changé son nom Ofodile Emeka Udenwa en Dave Bell, plus facilement prononçable pour et par les Américains. Étant son épouse, il vous rebaptise. Américainement, vous vous appellerez désormais, non pas Agatha Christie, mais Agatha Bell.

En gros, vous renoncez à votre identité africaine, à votre Afrique et à toutes ses « merdes ». Et quand l’heure de vous obtenir votre permis de travail vient, il vous annonce qu’en fait, il était déjà marié. Quoi !? Comment ! Mais à qui ? À une Américaine, oui, une Américaine, juste pour avoir les papiers, une Américaine qui maintenant lui fait vivre des misères, parce que la bonde ne veut plus enclencher le processus du divorce et le menace de le dénoncer au service de l’immigration…

Toi qui as été élevée par ton oncle et ta tante parce qu’ayant perdu tes parents toute petite. Maintenant aux États-Unis, toute seule, avec un mari tout neuf inconnu, tu fais quoi ?

C’était « Les Marieuses », une nouvelle de Chimamanda Ngozi Adichie, publiée dans son recueil Autour de ton cou aux Éditions Gallimard en 2013.
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Chrys Amègan. Exode* 14 : 14.

  1. Christophe,merci. Continue de nous faire découvrir l’auteure. Je finirai par acheter tout ce qu’elle a écrit grâce à toi.

    Très beau récit qui éduque et eduquera nos filles qui ont des yeux plus gros que leur tête.