Entre ce qui est promis et ce qui est mis de côté par les « pros » de la « rex publica » (chose publique), le fossé semble aussi abyssal qu’est absurde le sous-développement du continent le plus riche de la planète. Hervé TOTIN vient remuer le couteau dans les consciences de ces âmes noires abreuvées aux torrents des fallacieuses promesses et de bouffonneries orchestrées à la tête de nos Etats. L’auteur publie en 2017 aux éditions  Plumes soleil, « Le ballet des bouffons« , une pièce théâtrale de 97 pages. L’œuvre présente, en trois tableaux (Crépuscule, Obscurité, Zénith), les clowneries de certains dirigeants africains face aux aspirations légitimes de leurs peuples.

L’œuvre s’ouvre sur les mots du Vieillard qui fait découvrir les modes d’expression des régimes pseudo-démocratiques africains : coup d’état, mensonge, répression, assassinats, détournements, etc. Avec l’entrée en scène de deux objecteurs de conscience aux noms révélateurs du contenu de leur rêve : Y’en marre  et Ballai citoyen, le lecteur se rend compte que l’espoir du peuple est subordonné aux intérêts égoïstes des « mangeurs » de la République avec à leur tête, Le Père de la Nation, octogénaire corrompu jusqu’aux viscères, dont le seul souci est de vampiriser les richesses du pays et de s’éterniser au pouvoir à travers des simulacres d’élections validées par les observateurs de la communauté internationale. Mais ce ballet de bouffons est interrompu par un énième coup d’état qui le fait passer de vie à trépas et intronise un autre personnage tout aussi fou que lui. Malédiction? Fatalisme?

Le deuxième tableau : « Obscurité » (p39-72), présente le nouveau régime providentiel sous son vrai visage. Après avoir éconduit vers la prison les anciens ministres, le nouvel homme fort, « le COLOSSE » fait une déclaration de prise de pouvoir. L’ex-première dame, est malmenée par le sergent H5N1. Face au nouveau régime, quelques activistes, Journaliste Clandestin et Printemps Arabe, entrent en action en dénonçant les exactions du régime. Quand les intérêts sont en jeu, le jeu politique revoit les enjeux. Hervé TOTIN met en lumière l’hypocrisie des puissances étrangères qui, au grand jour, promeuvent la culture démocratique, mais dans l’ombre pèsent de tout leur poids pour maintenir les régimes totalitaires. Un échange a lieu entre le Président Providentiel et trois occidentaux : « Papa m’a dit », « Faucon Messager » et « Jacart prédateur ». Le Président Providentiel fait allégeance à la puissance colonisatrice et donne des garanties pour la sauvegarde de leurs intérêts. Les occidentaux à leur tour adoubent le nouveau régime et lui prodiguent quelques conseils bien avisés : nettoyer les rues des enfants affamés pour redémarrer le tourisme, se doter d’armes de répression, s’assurer de la docilité des hommes en armes, manger des galettes en pleine rue pour se montrer proche du peuple….

Au « Zénith » (p75-97), deux députés un peu trop consciencieux se voient condamnés et réduits au silence. Le premier député, après quelques fessés et pompes militaires, acceptera de faire désormais les louanges du Président Providentiel. Quant au deuxième, son obstination lui vaudra de servir de repas aux léopards du Président.

Le Président Providentiel, en pleine orgie, se voit rappeler par ses sbires qu’il doit au plus tôt, tordre le cou au texte constitutionnel afin de concentrer éternellement tous les pouvoirs entre ses mains (p93). Mais les projets du président s’en trouvent compromis par un nouveau soulèvement militaire. Cette fois, le peuple ne voulant pas être en reste se décida de participer à ce nouveau changement de régime. Y parviendra-t-il?

Cet ouvrage, à l’instar des départs forcés du pouvoir de Robert MUGABE à plus de 90 ans et 37 ans au pouvoir, et des images choquantes de l’esclavage des noirs en Lybie, sonne comme un appel à l’éveil des consciences africaines pour qu’en Afrique, nous disions tous en cœur « plus jamais ça ». On y sent un souffle poétique césairien où la parole se fait souvenir-engagement Thomas Sankara et Patrice Lumumba, et arme de combat : « Réveillez-vous, peuple. » (P.90).C’est un concert harmonisé de plusieurs genres où le conte, la mythologie, la poésie, le chant et l’ironie se donnent la main pour promener le regard du lecteur le long de l’histoire africaine. Lire ce livre, c’est non seulement se replonger dans notre passé, mais ressusciter des miasmes de notre histoire pour panser nos plaies et repenser notre développement. Le lire, c’est aussi faire comprendre à la jeunesse désœuvrée que les louanges des bouffons déifiés ne sont pas la solution à nos maux.

 

Gildas ZINKPE

  1. Merci pour ce ballet livresque qui n’a rien d’une bouffonnerie. C’est une plume prometteuse.

    • Heureux de vous lire ici, Colbert T. DOSSA. Hervé TOTIN fera parler encore de lui.

  2. J’ai goulûment dévasté cet ouvrage qui retrace l’actualité, les personnages de la pièce sont en adequation avec leurs rôles. Merci mon frère pour ce livre, merci pour avoir rehaussé l’image de la famille.

    • Oui, TOTIN C. Ernest, Hervé TOTIN a rehaussé l’image de la famille littéraire béninoise.

  3. Belle imagination !
    Merci car elle participe beaucoup à notre éveil entant qu’africain .