« Ouf!! Comment a-t-il fait pour écrire ça? » Telle est la question qu’on se pose, après la lecture de ce chef-d’œuvre de 274 pages, paru aux Editions Riveneuve, (Paris 2008). Gaston ZOSSOU s’y affirme une fois de plus comme un écrivain avéré. Oui, une fois de plus, il a mis sa plume au service de ses aspirations, et l’inspiration le lui a bien rendu. En effet, Crabe de métal pur, puisqu’il faut l’appeler par son nom, est traversé par un souffle d’authenticité et une volonté profonde de la part de l’auteur de s’enraciner davantage dans son limon originel : la terre de ses aïeux. Mais en même temps, on réalise dès le départ, l’insécurité, du moins l’inconfort dans lequel il a mis et Aklo (le personnage principal) et le lecteur. Cet inconfort transparaît dans les alanguissements intimes qui font saigner l’âme du brave Aklo dont le coeur bat pour Abla, la coqueluche du village. Un amour à sens unique a-t-il un lendemain? Tout au long de l’œuvre, le lecteur tenu en haleine de bout en bout, se demande quel sort l’avenir réserve à Aklo. Homme d’un courage exceptionnel (cf. la vipère tuée; l’incendie maîtrisé etc.), il ne put malheureusement résister à la nécessité de s’exiler suite à l’affaire du « bain nocturne ». Il n’était qu’un témoin innocent perçu sous l’angle du démon à abattre.

Aklo fait la douloureuse expérience de l’injustice et du poids de la tradition qui peut être horrible quand elle n’est pas ordonnée à sa finalité principielle. La vie ne lui laisse pas le choix. Il n’a plus qu’à espérer une main secourable comme celle de Sinha, une main affable et compatissante différente de celle de Goudjeman qui est prêt à répandre au sol le sang de sa victime. Sinha jouera un rôle prépondérant dans l’insertion sociale d’Aklo. La croisée des chemins, désormais devenue un concept cauchemardesque pour lui, ne cessait de le hanter, même dans son nouveau lieu de travail : le salon de coiffure. Là où règne en maitre l’esprit de la tondeuse, ce fameux crabe de métal pur.

Quand souffla le vent de la précarité qui n’épargna guère la corporation des coiffeurs à laquelle Aklo était désormais agrégé, Klobo commit un crime pour satisfaire sa faim. Aklo dut en endosser la responsabilité. En échos à Alpha Blondy qui affirmait dans l’un de ses chants : « les ennemis de l’Afrique, ce sont les Africains », Gaston Zossou persiste et signe que les pratiques occultes constituent, entre autres, d’énormes freins au développement de l’Afrique. Mais à côté de ce tableau sombre de l’Afrique, l’auteur, à travers les retrouvailles entre Aklo et Abla, professe sa foi en la puissance indomptable de l’Amour. En témoigne cet extrait du dialogue final des deux amoureux, un dialogue empreint de poésie et de charme:

– Je ne suis qu’une femme, artisane de vie au mépris du danger, servante dévouée dans le flanc d’un homme.

– Je jure par tous les dieux que je resterai fidèle à mon serment et que tu seras ma seule compagne jusqu’à la tombe

– Homme, bien ou mal, sois mon maître à jamais. (P. 273)

On est sidéré qu’autour du binôme Aklo-Abla, l’auteur ait pu bâtir une histoire d’amour qu’il insère dans une histoire plus grande, celle de ce qu’on peut oser se permettre d’appeler « les choses de l’ombre ». Certes, cette idylle est restée aussi un secret tenu caché, mais la récurrence des pratiques occultes que l’auteur s’emploie à dézinguer sans coup férir, nous fait croire que cette œuvre est avant tout un cri de Gaston Zossou, un appel à la conversion. Tel un prophète, il crie au désert de nos cœurs et nous invite à éviter de tordre le cou à la tradition en faisant d’elle un alibi pou nos appétits sorciers. L’auteur réclame ainsi l’érosion des rochers antiques : bizutages abusifs, sorcellerie méchante, chômage peine de mort et l’injustice Tout ceci a été enveloppé dans un style soutenu, délicat, travaillé et accessible. Il a su présenter les faits narrés et les sentiments des personnages de telle sorte que le lecteur se voit dans la peau des actants.

En fermant ce livre, on ressort avec la ferme conviction que « notre savoir-faire et notre outillage doivent être pour nous des choses sacrées ». (quatrième de couverture).

Je recommande vivement ce livre à tout chercheur d’Afriques, et à tout africain avide d’en savoir davantage sur les manipulations dont sont parfois victimes les panthéons Noirs. Ce serait aussi intéressant de le lire car on y rencontre des personnages superbes qui nous font regarder en face, la bête et l’ange qui sommeillent en chacun de nous, et nous mettent en face de nous mêmes : « L’art antique de la lutte est semblable à la vie elle-même. On est seul dans l’arène. » (P.15)

Cyriaque ADJAHO

 

 

  1. Cette chronique sur le crabe de métal pur de Gaston ZOSSOU est très intéressante et provoque une curiosité en moi d’avoir connaissance de l’ouvrage même… J’aime

    • merci altesse pour votre passage. Notre but est atteint avec .lisez donc l’oeuvre vous en sortirez édifié. Revenez nous pour d’autres lectures miam miam !

      • T’inquiète, Adebayo Cyriaque ADJAHO. Monsieur Mensah nous revient bientôt avec de beaux partages de lecture.

    • Merci, Cher Mensah, pour votre précieuse intervention. N’hésitez pas à partager avec nous les fruits de vos lectures. Merci de nous revenir très bientôt

  2. L’univers des écrivains demeure un mystère doré. En témoigne, cet ouvrage que nous découvrons à travers la chronique de Cyriaque Adjaho. Bonne dégustation !

  3. En effet, Myrtille. C’est aussi intéressant le regard lucide et rigoureux que Gaston ZOSSOU porte sur la tradition dans cette oeuvre. Peut-on que Cyriaque nous exposera davantage ce qui se cache vraiment au coeur de cette « guerre des choses dans l’ombre »