La situation du Noir en Afrique subsaharienne dans les années 1950 n’était pas du tout reluisante à cause de la colonisation qui battait toujours son plein. La plupart des écrivains, à la suite de la génération de ceux de la Négritude mettaient les Noirs à l’honneur avec une littérature engagée. A travers leurs écrits, ils dénonçaient les abus du système colonial et exigeaient une indépendance de l’Afrique. Dans un tel contexte marqué par les luttes anticolonialistes, voilà Camara Laye qui apparaît avec une œuvre toute particulière où le ton n’était pas à la dénonciation. Des voix se sont alors levées pour critiquer et l’œuvre et l’auteur.
Mais de quoi parle en réalité Camara Laye dans son « enfant noir« ?

En tout cas, moi j’étais encore sur les bancs du cours primaire quand j’entendais parler de « L’enfant noir » de Camara Laye, à travers les textes des dictées quotidiennes, ou les épreuves d’Etude de texte. Mais ce n’est seulement quelques années plus tard que j’ai lu entièrement ce livre. Je l’ai trouvé fascinant, présentant une Afrique aux mille couleurs. Camara Laye nous présente son enfance, sa vie scolaire, ses amis, et surtout sa famille. Paru aux éditions Plon en 1953 à Paris, « L’enfant noir » est un livre de souvenirs. L’auteur y peint ce monde merveilleux d’une Afrique traditionnelle avec toutes ces valeurs. En effet, la vie était faite de simplicité, de bonté et de secrets. Laye est un jeune garçon qui vivait avec ses parents à Kouroussa, un village de la Haute-Guinée. Son père, forgeron et orfèvre, lui enseignait les techniques de son art. Malgré cela, il allait à l’école française pour apprendre. Un jour, il découvre le totem de la famille qui n’est qu’un serpent. C’est à ce serpent que le père de Camara Laye est redevable de ses dons de divination : « C’est à ce serpent que je dois tout, dit-il, et c’est lui aussi qui m’avertit de tout. Ainsi, je ne m’étonne point, à mon réveil, de voir tel ou tel attendant devant l’atelier, je sais que tel ou tel sera là…tout m’a été dictée au cours de la nuit », « Ce serpent, ajouta mère, est le génie de ton père », p.15. L’auteur nous plonge ainsi dans le monde des croyances africaines, où chaque famille idolâtrie un animal et fait de lui un protecteur. L’autre côté mystérieux ou magique que l’auteur présente de son enfance est le pouvoir qu’il donne à sa mère. En effet, la femme traditionnelle n’est pas seulement celle qu’on peut qualifier de « mère pondeuse qui doit s’occuper de son mari et de ses enfants ». Ici, la mère de Laye est une femme très forte, dotée d’une humanité et fidélité hors paires. En témoignent les propos de sa mère quand l’auteur nous rappelle avoir vu sa mère contraindre un cheval rétif à se lever et à entrer dans son enclos : « Elle s’avança, et levant la main, dit solennellement : S’il est vrai que depuis que je suis née, jamais je n’ai connu d’hommes avant mon mariage, s’il est vrai encore que depuis mon mariage, je n’ai connu d’autres hommes que mon mari, cheval lève-toi. Et tous nous vîmes le cheval se dresser aussitôt et suivre docilement son maître », pp. 74-75. Ce qui frappe aussi dans ce livre, c’est le thème de l’éducation. Qu’elle soit reçue des anciens ou de l’école française, il y a toujours la sanction qui accompagne l’acte. Ce contexte de suivi était un facteur favorable pour Laye qui s’était appliqué correctement à l’école. Après l’obtention de son Certificat d’Aptitude Professionnelle, Laye se voit s’offrir la possibilité de continuer ses études au collège Poiret de Conakry. Une décision qui provoqua un déchirement entre sa famille et lui : « J’allai dire au revoir aux vieilles gens de notre concession et des concessions voisines, et j’avais le coeur gros », p.158. « L’enfant noir » montre à quel point l’enfant n’est pas une propriété privée de ses parents mais le joyau de toute la communauté. Que ce livre ait apparu dans un contexte plutôt tourné vers la dénonciation du système colonial, il demeure un classique de la littérature africaine. Chacun a sa manière de mener la lutte. Chapeau à Camara Laye pour ce beau livre dans lequel chacun trouvera forcément une partie de son enfance.

Kouassi Claude OBOE