Cœur brisé 

Bonjour les amis. Voici l’intégralité de la nouvelle de la semaine du 04 au 09 Décembre 2017 sur votre blog : « Cœur brisé» de Claude KOUASSI OBOE. Bonne lecture à tous et à chacun en compagnie de http://biscotteslitteraires.com/.

 

 

Je m’appelle Décadjèvi. J’ai aujourd’hui 45 ans. Mon père, un vrai pauvre au sens plein du terme, a dit que suis né un peu avant la dernière invasion des criquets migrateurs, qui a plongé les miens dans la misère jusqu’à ce jour. Mais ma mère, une habituée aux douleurs et souffrances, soutient que c’est un peu après que les hommes aux cheveux de barbes de maïs ont éventré les forêts de nos régions en posant les rails, causant la désolation dans notre village puisque ces forêts étaient pour la plupart des lieux sacrés où on avait enterré les anciens du clan des mangeurs de margouillats dont je suis issu. De toute façon, je réalise que je suis né en temps de malheur. Les événements de la vie ne surviennent pas comme nous l’avons prévu; c’est mon grand-père qui disait cela en rotant bruyamment après son plat de haricot. Moi je crois que la vie, ce n’est pas une affaire de haricot ou de barbe blanche. Je ne sais ce que la vie a voulu faire de moi, mais voici que c’est devant un grand trou que j’ai creusé et une longue corde à la main, que, le cœur brisé, vais vous raconter mon histoire avant le…

Celle qui m’a mis dans cet état, c’est ma femme. Eh ! Les femmes? Elle s’appelle Rachelle. Je l’avais connue, il y a trente ans jour pour jour. Oh! Que le temps passe vite. Nous étions tous en classe de 3è, mais dans des collèges différents. C’était un de ces jours où notre école devrait disputer un match de football contre son collège, la finale du tournoi interscolaire. Elle faisait partie des pom-pom girls occasionnelles de son établissement. Pour être plus juste, c’était en réalité une bande de jeunes filles hilares, surexcitées et endiablées, qui criaillaient à gorge déployée, chantaient, dansaient au son des tambourins. Elles faisaient dos à l’aire de jeu et sursautaient. Elles étaient chargées d’animer et de soutenir leurs joueurs. Malgré notre défaite ce jour-là sur le score de 4 buts à 3, je lui avais plu à la fin du match, car c’était moi qui avais raté dans les arrêts de jeu, un pénalty en notre faveur qui aurait pu nous donner une prolongation. Mais à vrai dire, je l’avais certainement fait craquer à cause de ma piètre prestation ce jour-là. Qui a dit que l’amour ne naît que suite à des exploits? A la fin de la rencontre, j’étais resté inconsolable. Elle était venue vers moi pour me remonter le moral, contrairement à mes coéquipiers qui me prenaient comme le seul responsable de notre défaite. J’avais senti sa main sur mon épaule gauche, une main droite aux doigts tellement doux qu’on aurait dit qu’elle n’a jamais servi à faire quoi que ce soit.

–  Courage, jeune homme, tu auras la chance l’année prochaine, m’avait-elle dit.

Dans cette douleur, je la regardai sans prêter trop attention, mais lui répondis simplement par un simple « merci ». J’étais comme groggy. C’est une fois à la maison, après avoir évacué cet échec que je la vis s’installer dans mon cœur, ma mémoire et tous mes sens. Je n’avais même pas eu la présence d’esprit de lui demander son nom. Que je suis b…. Et pendant deux lunes toutes entières, ma petite cervelle n’a pas eu de repos. J’étais hanté par l’image de la belle jeune fille. Je la voyais partout: dans la moustiquaire, dans mon bol d’eau, dans la sauce. Une fois je l’avais confondu avec le soleil, tellement son sourire irradiait l’intérieur de mon être. Je n’arrivais plus à dormir. Mes notes avaient galopé vers moins infini (– ∞). Un soir, à la sortie du cours à dix-sept heures, je pris un zémidjan et me dirigeai vers son école, sans savoir même comment la voir, puisque non seulement je ne connais pas son emploi du temps, mais aussi son nom m’était inconnu. Je voulais faire confiance à la divine providence espérant la voir fortuitement. De toutes les façons, elles sont nombreuses, ces personnes très chanceuses qui, sans rien préparer ni demander, obtiennent ce qu’elles veulent et même ce qu’elles ne veulent pas. Pourquoi alors pas moi ? Suis-je une musaraigne, moi, pour que ma chair ne puisse s’égayer dans la sauce? De toute façon, je ne suis pas plus laid que Lègbavi, le gardien de l’école qui, malgré sa calvitie sauvage, sa gueule d’hippopotame en colère et son visage de gorille, a réussi à enceinter la fille du maire qui était pourtant favorite pour le concours miss de notre établissement. Et il ne faut pas oublier qu’elle était la protégée de Directeur et la dulcinée du comptable. Alors pourquoi pas moi? Une fois devant l’école, je me mis à l’écart observant la sortie des élèves à dix-neuf heures. Après trente minutes, mon attente fut comblée. Comme je pouvais m’y attendre, je ne la vis pas. Tous les élèves en effet étaient sortis et le gardien ferma le portail. Bredouille. Telle une andouille heureuse, je rentrai chez moi, et chose curieuse, pas trop déçu. Je savais d’avance que je ne la verrai pas, qu’il y avait moins d’une chance sur cent pour la voir. Apparemment, la chance ne m’avait pas souri. Et c’est tant mieux.

Les trois jours qui ont suivi, je refis la même chose. Même résultat. J’abandonnai donc cette course poursuite, à la recherche d’un grain de mil au bord de la mer. Et pourtant, je n’ai cessé de penser à elle, à cette belle inconnue, au visage d’ange. A la fin de l’année, j’obtins mon Brevet d’Etude du Premier Cycle et j’entrai au lycée. Le premier jour de la rentrée, comme cela se fait chez nous, beaucoup d’élèves ne vont pas à l’école, laissant à ceux qui vont le sale boulot de nettoyer les salles. C’est le jour aussi où les parents d’élèves viennent avec leurs enfants pour les inscriptions. Cela dure d’ailleurs parfois deux à trois semaines. Je faisais partie de ces nouveaux élèves pressés d’en découdre avec le second cycle. Nous y sommes allés tôt le matin, avions nettoyé nos classes et places. Je m’étais assis au beau milieu de la classe, qui comportait trois rangées composées de  six tables-bancs chacune. Durant toute la semaine, j’étais seul. Je n’avais pas la chance d’avoir dans ma salle, des amis avec qui j’avais fait la 3ème. Mais cela ne me découragea en rien, puisque je n’étais pas venu à l’école pour cela, mais plutôt pour étudier. Mes parents me tueraient si jamais ils apprenaient un jour que je m’amusais à chercher des amis. Je sais bien ce qu’ils endurent pour arriver à me paye la scolarité. Ma mère est vendeuse de beignets, et devient occasionnellement lavandière dès qu’on lui faisait signe. Mon père, alcoolique, avait élu domicile dans un » tchakpalodrom » où il ne faisait que boire et boire. On avait déjà commencé le cours de la philosophie, une nouvelle matière que nous ne comprenons pas, puisqu’après le premier cours de la première semaine, on s’était demandé à la fin, si le professeur se moquait de nous ou s’il était sérieux, tellement qu’on avait rien saisi pendant ces deux heures. En effet, il nous parlait des choses avec des noms des gens aussi bizarres que son propre cours. D’ailleurs, lui-même était bizarre, avec une coiffure des années de la colonisation, et un visage de macaque que terminait nonchalamment une barbe de Ben Laden.

Le Surveillant Général entra dans notre classe avec une nouvelle élève, et après l’avoir présentée au professeur, on lui demanda de s’installer. Dans la classe, j’étais le seul à n’avoir pas de voisin de table. Naturellement, elle vint s’installer auprès de moi. C’est quand elle s’est assise que je me rendis compte qu’il y avait une nouvelle élève. Moi qui étais seul à ma place et qui me sentais bien, j’étais dans l’obligation de partager ma place avec une autre personne. Déçu, je répondis à son salut sans lever ma tête puisque j’étais occupé à comprendre le cours de philosophie qu’on venait de recevoir. C’est après dix bonnes minutes, dix minutes inutiles que je levai ma tête pour voir le visage de cette personne qui désormais allait perturber ma tranquillité que mon cœur fit un tour. Ma respiration s’accéléra sans motif. Je restai figé et bouche bée à regarder cette créature qui me parut familière. Je ne savais pas où je l’avais rencontrée ni pourquoi ce visage me disait quelque chose. Apparemment, elle aussi était surprise de voir, et après quelques secondes d’hésitation, me lança :

  • On m’appelle Rachelle, je viens d’être transférée dans ce lycée car mes parents ont déménagé et sont non loin de l’école. Et toi, quel est ton nom ?
  • Moi, c’est Décadjèvi. Ravi de te rencontrer, lui dis-je.

Je continuais à tourner dans ma tête cette idée de l’avoir vue quelque part, mais où ? A la sortie de classe, elle me demanda mes cahiers afin qu’elle se mette à jour. Je les lui prêtai sans protocole. Durant toute la nuit, je ne dormis point. Je fermai les yeux à avoir mal aux paupières. Rien. Réfractaires au sommeil, ils scrutaient le plafond pendant que mon esprit y contemplait l’image de Rachelle qui me souriait comme dans un conte de fée. Je fis l’effort de fermer les yeux, mes oreilles se mirent à siffler des on rire métallique. Je coinçai ma tête entre mes oreillers, le parfum de ma voisine de table emplit ma chambre. Et c’est à ce moment que l’illumination me vint. C’était elle, celle qui m’avait réconforté l’année dernière au cours de la finale perdue. Mais oui, comment ai-je pu oublier ainsi ? Je me levai ; il était 3h du matin. Je fis le tour de ma chambre. Je me pinçai pour me rassurer que j’étais encore vivant. J’allai aux toilettes. Rien ne sortit. Je sautai en douche. Deux cafards m’y attendaient. Je détalai avant d’avoir eu honte de moi-même. Un chat miaula et je crus y entendre le ricanement de Rachelle. Un hibou se fit entendre dans la cour, j’eus l’impression que Rachelle m’invitait dehors pour qu’à la belle étoile, nous dansassions. Je me couchai à même le sol. Mon pouls m’affola, ma respiration m’était insupportable. Des odeurs se firent sentir dans ma chambre. J’avais l’impression d’y cohabiter avec une présence invisible qui me scrutait et me perforait du regard. Cela m’était intenable. Je sursautai et allumai. Rien. Je jetai deux œillades sauvages à la pendule. Pour la première fois, je constatai que la nuit avait refusé de laisser sa place au jour ; la pendule au salon n’allait plus très vite, on aurait dit quelqu’un faisait exprès de ralentir la chevauchée habituelle des aiguilles. Même ma montre, allait à la vitesse de la tortue ou de l’escargot. Je vis dans ma moustiquaire deux papillons qui voltigeaient et s’égayaient. Cela m’était doux et très réconfortant. Je voulus les attraper, ma main cogna l’un des clous autour duquel j’avais accroché ma moustiquaire. La douleur m’arracha deux larmes d’émotion. Ce fut une nuit de tortures poétiques et romanesques. Je ne le détestai pas du tout. N’eût été l’urine des souris ou des chauves-souris logées dans la charpente de la toiture, urine qui vint violenter la quiétude de mes commissures labiales, j’aurais passé une nuit paradisiaque malgré ma main endolorie. En me rendant à la douche pour me débarbouiller et effacer l’affront de l’urine et de sa suite d’odeurs nauséabondes, je mis le pied gauche dans le piège que j’avais même dressé pour les souris. Le gros orteil laissa gicler une marre de sang. Et dans mon fore intérieur, j’entendais la même voix, distinctement, me susurrer à l’oreille comme le jour où mon équipe perdit la finale:  » Courage, jeune homme. La chance te sourira… ». Je ne me souviens plus de quand je me suis endormi. Mais ce dont j’étais convaincu, c’est j’étais allé à l’école en retard….

C’était ma première fois. Le cours avait commencé avant que je ne rentre en classe. J’ai dû chercher des excuses imaginaires auprès du Proviseur. Mais comme je faisais partie de l’équipe de football du lycée, je n’avais pas été puni. Mais j’avais été sérieusement verbalisé. En classe, le professeur me réprimanda et m’avertit qu’il ne tolérerait plus de retard. Je ravalai ma fierté et comme un margouillat mouillé, je hochai la tête en signe d’approbation. Durant tout ce cours, je ne m’étais pas du tout concentré. Je me trouvai étrange, d’être près et si loin de cette belle créature assise à mes côtés, une créature inaccessible mais qui m’assommait volontairement ou inconsciemment de milliers de maux, les maux les plus affreux qui puissent exister au ciel, sur terre et aux enfers. J’étais comme dans des nuages, qui, sous peu, allaient s’amonceler pour laisser place à un grand orage. Je le savais. Je n’avais pas le cœur net. Qui était donc cette fille ? A dix heures, pendant la récréation je pris mon courage à deux lèvres et je l’abordai :

– J’ai l’impres…l’imp… l’impression qu’on s’était vu une fois avant cette rentrée, mais je ne sais pas où exactement. Il se pourrait que je me trompe, mais le problème est que je me trompe rarement.

– Tu ne t’en souviens pas ? Moi je le sais. L’année scolaire dernière, tu as été l’homme du tournoi en ratant un penalty sur le terrain en finale. Une finale qui a opposé ton école et la mienne. C’est nous qui avons gagné la coupe. Tu fus un des meilleurs de ton équipe, puisque c’était grâce à toi que vous avez réussi à venir jusqu’aux tirs au but. Le reste, tu le connais. J’avais aimé ton jeu. Tu courais sur le terrain comme un fou, tu dribblais tout le monde. Parfois même, tu te dribblais. Tu avais tellement fait rire les gens que certains s’en moquaient. Mais moi, je te trouvais admirable. C’est pour cette raison, à la fin, quand tu avais raté ton penalty, j’étais venue te réconforter.

– Je m’en souviens maintenant.

Je faisais comme si je ne me souvenais plus d’elle.

– Mais diable, comment ai-je pu oublier ce visage angélique en ce moment, le seul qui était venu à mon secours ?

Je la regardai devant moi, comme si c’était la première fois, et je la trouvai encore plus belle. Je la dévisageai. Elle était d’une beauté rare, sans maquillage, contrairement à ces dames qu’on dit bonne dame qui s’enlaidissent le corps à force de se cacher sous des produits chimiques et des mèches brésiliennes ou mexicaines. Elle me sourit. Mon cœur faillit sortir de ma poitrine. Déjà que ma respiration s’était accélérée, ce n’était donc pas le moment de se trémousser. Je pourrais avoir un infarctus. Je lui dis que je la trouvai jolie et qu’elle me plaisait bien, avec bien sûr un pansement au cœur, car j’avais peur d’un risque de refus. Sur place, elle ne me dit rien, mais me promit se pencher sur le cas.

Durant deux semaines, j’évitai de parler de ce sujet. Les jours passèrent, les semaines passèrent, et un jour, sans me le demander, elle vint chez moi à la maison. Enfin, chez nous, c’est-à-dire, chez mes parents. Je ne savais pas comment elle a fait, mais un mercredi soir, ma mère m’annonça que j’avais une visite. Grande fut ma surprise de voir Rachelle. Qui suis-je pour que la plus belle du lycée vienne me voir à la maison ? Je la reçus, et dans nos discussions, il ressortait qu’elle était d’accord pour qu’on sorte ensemble. Houm! sortir ensemble. Pour aller où?  voulais-je lui demander. Mais ma gorge s’irrita et une toux violente mit fin aux assauts de cette phrase qui ne sortira jamais. Et pourtant, il aurait fallu que… En tout cas, c’est vrai que nous partagions beaucoup de choses en commun : football, musique, films et séries, haine des sciences physiques et mathématiques. Mais ce que je ne comprenais pas, c’est son désir à parler rapidement à mes parents de cette relation que mon père n’envisageait pas pour mois avant la licence. Je n’étais pas d’avis que Rachelle ouvrît sa boîte à sentiments chez nous, car si mon père alcoolique l’apprenait, c’en sera fini pour moi. Et cela, elle devrait le savoir, rien qu’à voir l’ordre qui régnait chez nous, la discipline dans nos mouvements harmonisés en chorégraphie. Mais il paraît que la discipline de l’amour c’est de n’avoir pas de discipline, ni de scrupule. Et pourtant, le crépuscule de la puberté devait faire comprendre à Rachelle que les choses sérieuses ne s’ébruitent pas devant un père adorateur des bouteilles. Parler de cette affaire maintenant, c’est signer mon arrêt de mort. Cela, Rachelle le savait. Du moins, je le croyais. Mais, je ne sais plus ce qui s’est passé, et puis.

 

Nous sommes devenus de très grands amis. Et trois années plus tard, nous réussîmes à notre bac. Je fis des études juridiques alors que Rachelle devint médecin. Nous formions une famille qui fut soutenue par nos parents respectifs. Notre vie était une des meilleures, nous ne manquions de rien. Mais quelques années plus tard, je perdis mon boulot, au point où plus personne voulut de moi. Je ne savais pas que je ne devais pas appliquer la rigueur de la loi, le mis en cause était un parent du Ministre de la Défense. Avec mes relations, je ne réussis néanmoins pas à trouver une issue à ma situation. Mais cela ne dura que le temps d’un éclair. J’étais descendu au cachot du chômage. Seule Rachelle nourrissait la famille. Elle se démenait pour que nous subvenions à nos besoins quotidiens. C’était une réalité que mon égo d’homme n’acceptait pas trop, ni ne digérait. Partout où je passais, personne ne voulait me prendre dans son cabinet, ni pour quelque autre métier d’ailleurs que ce soit. Durant plusieurs années, je vivais comme un chien sans croc. J’avais honte de moi-même. Je me morfondais. Je me maudissais. Je maudissais la terre. Mais ma femme ne cessait de me dire de croire en la Providence divine, et que tôt ou tard les choses s’arrangeraient. Pour lui faire plaisir, je hochai souvent de la tête en signe d’approbation, sachant bien que je n’y croyais point. J’aimais vraiment ma femme, mais je sentais que je la faisais souffrir et lui faisais de la peine.

Un jour, j’étais assis tranquillement dans notre fauteuil au salon, quand elle vint à la maison, beaucoup plus tôt que prévu. Ce qui d’ailleurs me surprit. Je me levai ers elle, l’embrassai et m’enquis de ses nouvelles. Elle me rassura, puis me remit une enveloppe et sans aucun commentaire, disparut comme une fusée. Je restais pensif un bon moment, puis pris mon courage à deux mains. J’étais certain qu’elle ne tarderait pas à demander le divorce ou à me laisser une lettre d’adieu. L’idée de perdre ma femme après mon boulot me dévasta. Tout dépité, je me rassis. Je pris l’enveloppe, la tournai et la retournai dans tous les sens. Je contemplai mon nom calligraphié sur l’enveloppe hermétiquement fermée et qui sentait le parfum que ma femme mettait ses jours de colère et de déception. Je voyais déjà un nouveau malheur frappait à ma porte. Je pensai à ce que serait désormais ma vie sans Rachelle, si elle arrivait à me quitter. D’autres idées tristes et flippantes me traversaient l’esprit. Je courus dans notre chambre à coucher. Sa valise était ouverte, ses habits rangés sur une natte. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je revins au salon tout en sueur. Je composai son numéro. Impossible de la joindre. Je courus à la cuisine. Un calme olympien m’y accueillit. Je me rassis au salon. Je repris l’enveloppe. Je la redéposai. Quelques instants après, je la repris de nouveau. Elle me tomba des mains. Avec beaucoup d’effort, je l’ouvris mais n’eus pas le courage de lire ce qu’elle contenait. Je pris un verre d’eau pour stabiliser mon rythme cardiaque afin de prévenir un infarctus. Je respirai profondément et sortis avec délicatesse et crainte le petit billet blanc traversé de mots rageusement griffonnés par une main nerveuse. C’est l’impression que me laissait la qualité de la calligraphie qui contrastait avec celle qui était sur l’enveloppe. Mes yeux tombèrent sur les mots que voici: « M. Décadjèvi, nous vous prions de venir nous voir au cabinet d’avocat Affognon, pour affaire vous concernant. » Je ne compris pas trop. Je cherchai ma femme pour avoir une explication. Je la rappelai. Toujours injoignable. Pris de panique, je bondis dans la rue, hélai le premier taxi. J’avoue que sur la voie, pour la première fois, je constatai que le chauffeur qui me conduisait faisait exprès de rouler lentement. J’étais nerveux, sans savoir pourquoi. Une fois dans les locaux, c’était seulement une confirmation. C’était donc vrai. Je restai immobile sur mon siège, devant le Chef du cabinet d’avocat Affognon. Avais-je pleuré? Je ne m’en souviens plus. Je savais seulement que mes yeux étaient brouillés et que j’avas reniflé comme un petit garçon après sa première fessée. J’étais sans voix, revisitant notre vie à deux, Rachelle et moi, ce que nous avons vécu, ce que nous n’avons pu vivre et surtout tout ce que nous aurions pu vivre si… Ah la femme! Ah, l’amour. C’est donc ainsi que cela se passe? Je ne l’avais jamais su. Je n’avais jamais imaginé un tel dénouement. Le Chef du cabinet d’avocat Affognon dodelinait de la tête et me décocha un sourire chaleureux en signe d’encouragement pour ma nouvelle vie. Nous échangeâmes une poignée de main et il me congédia. Il devait recevoir un autre client. En me levant je bénis le ciel pour la vie reçue. Ma vie changeait à présent de couleur et de visage. Mon dossier venait d’être agréé. Je pouvais me remettre à travailler, à exercer le métier que j’aimais. Oui, je venais de trouver du travail, et tout cela, grâce à ma femme. Je la bénis sur place, passai devant le Saint Sacrement à l’église Sainte Barbe où nous célébrâmes notre mariage, pour remercier le Seigneur. Une fois à la maison, je creusai un grand trou. Cela me prit tout l’après-midi. J’apprêtai le dîner, vu que ma femme devait rentrer tard. Après le repas, je pris une corde, sous le regard intrigué de Rachelle. Je me rendis auprès du trou. Je montai sur la chaise que j’y avais posée. Le trou était fait sous le manguier, derrière le poulailler. Ma femme était toute en larme. Du haut de la chaise, la corde autour du coup, je levai les mains vers le ciel. La lune avait une mine triste. Les étoiles s’étaient figées dans le firmament. Les nuages ne bougeaient plus. Ma femme se mit à genoux à me supplier. Je pris la corde que je jetai dans le trou. C’était pour moi, une manière d’enterrer ma misère. C’était tout ce que je voulais faire en creusant ce trou. En enterrant la corde, je renouais avec une nouvelle vie. Et cela je le devais à ma femme. Quelle ne fut pas sa joie et son émotion quand je lui expliquai le symbolisme de mon acte! Elle le trouva d’ailleurs très romantique et devant le trou, nous nous étreignîmes longuement avant d’y mettre le sable. Le lendemain, elle y planta une fleur. Je trouvai cela très poétique. J’aime encore Rachelle. C’est mon échelle, ma vie, mon étoile, mon bonheur. J’avais le cœur brisé, mais elle me le remit en forme avec sa bravoure, son amour. Puisque sans elle, sans sa présence, j’aurais rejoint la rue. C’est d’ailleurs elle qui m’obligea à déposer le dossier au cabinet d’avocat Affognon. Je ne voulais plus le faire en raison des multiples refus essuyés.

Notre vie reprit de plus belle, et moi je promis de l’aimer encore plus, aujourd’hui moins que demain. Celui qui a dit que les femmes sont mauvaises changera de version le jour où il verra tout ce que Rachelle a fait dans ma vie. En tout cas, elle et moi, on s’est fait une promesse: tous les matins, je lui déclamerai un petit poème, et elle me chantera une douce berceuse tous les soirs avant que nous ne nous envolions au royaume de …. Morphée.

 

 

Kouassi Claude OBOÉ