Chapitre V.
Et sur le papier de l’homme écho ou l’homme miroir, le médecin put lire : la femme de ménage. L’univers de KODJO semblait s’illuminer. Et cette fois-ci encore, les soleils étaient présents. Trente-six soleils. La femme de ménage ? répéta l’homme à la chemise grise. Donc c’est elle qui est à lorigine du décès des patients du lit 4 et de la salle 2 ? « Oui, acquiesça le vieil homme ». Et au Dr KODJO de poursuivre : « est-elle une sorcière et était-elle en complicité avec la HAST ? ». L’homme au vélo bleu soupira : Tu découvriras le reste, toi-même. Oui, tu verras de tes propres yeux. Appelle-moi inspecteur Alain COLOMBO. Je suis parent du deuxième patient décédé dans ce lit.
– Euuh, c’est le patiennnnnt Euh DAHONOU Marcel ?
– Tout à fait. Je suis son oncle.
– Je suis désolé, monsieur. Nous avions fait de notre mieux.
Et le vieil enquêteur des séries policières continua : « Quand j’avais appris la nouvelle, il faudrait venir en appui. Et cest l’apparence que mes vieux réflexes m’avaient suggérée. Un planteur de manioc. Je crois avoir dénoué lintrigue. Dautres enquêtes m’attendent. Il est tant que je m’en aille. Bonne chance pour la suite ! »
Il se retira dans sa caverne et y sortit un trolley qui crissait sur le parquet du souterrain. Il prit la direction de l’entrée où l’attendait une berline bleue. Eh, encore du bleu ? Le docteur le voyait s’en aller avec toute l’admiration du monde. « Bonne nuit, Alain ! » lança-t-il dans le vide. « Si javais eu le pouvoir de Hiro Nakumara, je verrais autrement ce monsieur », lui chanta l’OVNI qui planait toujours dans sa tête. Le docteur l’ignora.
Le lendemain matin avant l’heure H, tous les personnels espionnaient par les fenêtres. Les uns tenant Bible ou Coran, d’autres des croix et même des gourdins. Dr KODJO avait, sur conseil de de Souza, sollicité deux snipers délégués par la puissante armée togolaise. Le SCRIC ou lancien SRI avait déployé lui aussi des éléments sur les toits, dans les allées de l’hôpital. Un hélicoptère vrombissait dans les environs. Des unités blindées sétaient camouflées dans le vert des plants de manioc. Bienvenue à Togollywood ! Les plus sceptiques des infirmiers s’apprêtaient à transporter le brancard du prochain cadavre vers la morgue.
6 h 56.
Inspiration. Expiration. Un soleil pittoresque laissait fuser deux ou trois de ses rayons à travers un essaim de nuages cotonneux. Ce jeudi n’avait rien des jeudis ordinaires du mois de mai à Lomé. Le vent ne soufflait pas. La traditionnelle senteur de maïs grillé avait elle aussi disparu. Puis, la porte de la salle en question s’ouvrit. Une ombre rentra. La femme de ménage. Mam NDIOBA, la vieille Kotokoli, lèvres rougies par la consommation excessive du cola, du service de nettoyage fit son entrée, royale, noble et laborieuse. Elle s’était munie de balais, serpillières et autres outils de travail. Comme d’habitude. Comme tous les lundis et jeudis.
6 h 57.
Inspiration. Expiration. Les membres du corps médical tapis contre fenêtres et claustras de la salle 2 retinrent tous légèrement leur souffle. Ils devinrent profondément curieux tout en consultant leur montre. Il ne restait que quelques secondes pour le moment ultime. Un, deux, trois, quatre, cinq les flux du temps coulaient.
Inspiration. Expiration. La digne descendante des guerriers de Tchaoudjo rajusta convenablement son foulard de tête et croqua encore dans une noix de cola. Toute nigaude qu’elle était. Avança avec ses outils de travail. Se dirigea vers la tête du lit de toutes les attentions. Le temps semblait s’arrêter. Les uns et les autres écarquillèrent leurs yeux afin de bien voir ce qui allait se produire. Dautres carrément s’étaient bouchés les oreilles pour être concentrés sur une seule chose à la fois.
6 h 58.
Inspiration. Expiration. Les snipers avaient un bel angle sur la vieille NDIOBA et comptèrent l’atteindre en plein coeur si jamais elle devait commettre encore un acte douteux. Elle salua la patiente qui n’est autre personne que la jolie Vanessa. « Allah te guérira, ma fille ! Crois en Allah ! »
6 h 59
Inspiration. Expiration. NDIOBA croqua de nouveau un peu de cola et s’agenouilla sur le plancher à carreaux blancs de la pièce puis débrancha machinalement l’appareil d’assistance respiratoire du lit 4, et brancha à sa place le chargeur de son vieux Nokia 3310 dans la prise.
Il eut un brouhaha derrière NDIOBA à qui elle ne comprit rien. Dans sa tête, tout allait toujours bien. Elle avait toujours chargé son téléphone portable dans cette prise entre 6 h 59 – 7 h 00 tous les lundis et jeudis. « Menottez-la », cria le médecin en charge du centre. Et les hommes de Damehane Yark, de vrais séides, se ruèrent gaillardement sur la vieille et faible et naïve et laborieuse femme de ménage. Ces hommes étaient très fiers de menotter quelqu’un et c’est un grand évènement à ajouter sur leur CV : J’ai menotté, suite à une enquête minutieuse que j’ai eu à diriger personnellement, une femme terroriste rattachée à AQMI et qui sapprêtait à commettre l’attentat du siècle.
Vanessa sortit de la couverture et jubila tel un cabri de toute la grâce de ses yeux. « Enfin ! » reprit de Souza d’un timbre jouasse qui entra lui aussi dans la salle 2.
– Laissez-moi ! On ne peut plus charger son téléphone maintenant au Togo ? Laissez-moi tranquille ! se débattit la vieille NDIOBA, menottes aux poignets.
Et l’agent commença son laïus : Madame, vous avez droit de garder le silence. Tout ce que vous allez dire pourra être retenu contre vous. Vous avez droit à un avocat. Si vous n’en avez pas les moyens, l’État se fera le plaisir de vous coller un d’office.
Kodjo AGBÉMÉLÉ
Écrivain togolais
Trop fort. J’aime tes illustrations.