– Allô
– Allô. Bonjour. Comment vas-tu ?
– Je me porte bien. Et toi ?
– Bien également. J’ai à te dire et je pourrai attendre jusqu’à nos retrouvailles. Mais il y a un moment que je patiente. La patience, tu sais, n’est pas mon fort. J’ai donc entamé de t’écrire une lettre mais elle risquait d’être plus longue que celle de Mariama Bâ, que tu n’as jamais pu terminer. J’ai ensuite pensé t’écrire en vers sur les feuilles vertes, ces feuilles de papier avec lesquelles nous nous amusons souvent à décorer nos chambres, celles qui nous servent de feuille de brouillon en composition sur lesquelles les lettres d’amour pour toi non plus de secret. Pourtant je n’ai pas pu aller loin dans mes vers car je n’écris qu’en prose. J’ai décidé alors de t’écrire un article, là encore je n’arrivais pas aux bouts de mes idées. J’ai donc estimé qu’il serait mieux de t’écrire tout simplement, sans style, sans forme pour que tu me comprennes depuis que je ne me comprends plus.
J’ai connu encore l’échec. Mon coeur était trop lourd pour que je le décharge sur des feuilles de papier. J’ai enfin décidé de t’appeler pour te faire écouter cette voix que tu aimes, sur laquelle le temps n’a pas d’emprise, qui devient plus douce quand elle te parle, celle-là qui te fait dire que je suis coquine, que tu aimes mais que tu traites d’enfantine. J’ai décidé de t’appeler au téléphone pour aller plus vite, pour vider ma tête et mon coeur en un peu de mots grâce à ces réseaux GSM qui ne se font pas prier pour nous arnaquer avec toujours de nouveaux services. Ces services qui nous prennent par jour, par semaine, par mois, nos maigres sous, ces sous qui, si on analyse bien, peuvent nous servir de fonds pour le début de nos entreprises. Mais nous épargnons de notre argent et plus encore de notre temps sans bénéfice fixe et sans objectif fixe. En tout cas, pour toi et moi. Alors j’irai à l’essentiel.
– Allô, je t’appelle pour te dire que depuis des jours, mes yeux ont refusé d’embrasser le sommeil, que Morphée ne s’invite plus dans ma couche, que je connais des tourments depuis ce jour à moi où un an sur mon âge s’est ajouté. J’ai arrêté de rêver.
Si aujourd’hui, je viens à toi, c’est parce que je te trouve assez grand pour te parler sans farce. Je viens te parler de la vie. De cette vie dont nous avons toujours parlé, de cette vie où nous n’avons trouvé que des roses en chemin. Notre voyage a commencé par un pas, bientôt au pied tu auras mal, tu demanderas de secours mais ton bras restera tendu, et tu couleras des larmes. En ce moment, tu comprendras. Tu comprendras que la jeunesse n’est pas si douce quand on veut poser de bonnes bases solides pour l’avenir.
Te rappelles-tu de Atchorvivi ? Oui bien sûr. Il y a bien des années que tu l’as perdu de vue. Hier, nous étions à son enterrement hélas ! Atchorvivi est mort de sa folie des grandeurs. Il a été abattu au cours d’un braquage, qu’il a lui-même orchestré.
Je devrais faire partie de ce braquage si nos chemins ne sont pas séparés plus tôt, si je ne m’étais pas repentis à temps. Atchorvivi alors que nous étions encore ensemble, était obsédé par l’idée que je le trompais, jour et nuit il m’assaillait de questions sur ma fidélité à son endroit. Quoi que je dise, il était campé sur sa position: une belle fille ne peut pas être fidèle dans cette capitale où l’argent règne plus que tout autre chose et pour lors il n’a rien pour m’entretenir, ce qui pour lui était inconcevable. C’est son devoir me répétait-il sans cesse. Il a même voulu qu’on fasse un pacte de sang, lui le fervent chrétien, le choriste adoré des jeunes filles de notre paroisse qui ne mettait plus les pieds à l’église depuis le lendemain de notre arrivée dans la capitale. J’ai respectueusement refusé cette idée. Ce fut le début de nos ennuis. Notre Atchorvivi était méconnaissable, le brillant garçon avec qui tu appréciais jouer au scrabble a perdu le goût pour les études, il a simplement altéré dans le mauvais sens.
Il est passé du côté obscur, ses nouvelles coupes de cheveux en disaient long sur sa nouvelle personne. Il avait l’air d’un méchant garçon, ceux-là qu’on voit les soirs fumer dans les coins sombres de nos quartiers. Celui en qui notre mère a trouvé mon âme-soeur, le gendre parfait, il faut dire qu’elle s’est trompée. Le brillant garçon dont père ne cessait de vanter les mérites.
Te rappelles-tu ?
Il nous énervait tellement mais c’était une saine concurrence. On pensait qu’il suffisait d’être parmi les trois premiers en classe, pour être parmi les riches personnes de ce pays, là encore, c’était un leurre. Je sais que c’est ce que tu continues de penser, je ne te décourage pas. Ce brillant garçon comme papa l’aimait l’appeler a déserté la fac deux mois après que nous avons commencé nos études en droit. Avec ses nouveaux amis, ils ne trouvaient pas agréable qu’on nous entasse des heures dans ces salles à attendre, à nous faire perdre du temps alors nous ne sommes pas sûrs d’être tous employés dans un pays comme le nôtre. Nous étions nombreux et je trouvais qu’il avait bien raison. Deux mois, juste deux mois, ce fut son séjour sur le campus après qu’il a lu « Père riche et père pauvre » de Robert T. Kiyosaki. Il ne manquait pas de citer des phrases du livre pour me prouver que je risque de finir ma vie pauvre si je continue de penser à gagner un salaire, que ma vie serait monotone, ainsi de suite. Je ne lui trouvais pas tort mais je n’avais pas la force de risquer, alors je souriais.
Atchorvivi ne voulait pas finir comme le commun des mortels, pauvre, il lui fallait investir dans ces nouvelles monnaies virtuelles, les crypto monnaies. Il n’y avait pas de temps à perdre. Où trouver de l’argent alors que ses « bros » s’impatientaient ? Dans ce business on ne perd pas du temps. N’a-t-il pas lui-même lu ?
C’est ainsi qu’il me demanda de l’aider à investir si je l’aimais vraiment comme je le prétendais. Il me suffisait de l’accompagner chez son oncle radin pour lui soutirer de l’argent pour des documents en fac. Il n’hésitera pas s’il nous voyait ensemble et pour lui prouver mon amour et mon courage, comme mission, j’entrerais dans la turne de la femme de son oncle et m’emparer de tous ces bijoux de valeur.
A suivre….
Léa de SOUZA OVIDIO
Etudiante en 4ème année de Philosophie à l’ENS