Mam Fatim alla se coucher après le départ de ses deux trésors, gagnée par l’apathie au point de remettre à plus tard le devoir sacré de prier. Elle se demandait à quoi bon invoquer ce Dieu qui lui avait tout pris, même sa dignité et celle de sa fille. Mais vite, elle effaça ses méprises de sa tête. « Allah wakuba ». « Que la volonté du très haut se réalise, se dit-elle ». De toute façon, que pouvait-elle bien faire pour éviter à sa fille de mener cette double vie? Rien. Il faut bien faire quelque chose pour subvenir aux besoins de la famille. Et ce n’est pas son maigre salaire de servante qui le ferait. Elle aurait tout donné pour ne plus avoir honte chaque fois qu’elle se rendait à la mosquée, pour ne plus avoir à cautionner la vie que mène sa fille. Mais hélas! Les voies d’Allah ne sont pas celles des hommes.
La journée passa, tranquille, sans histoire à part quelques-unes de ses commères de voisines qui vinrent perturber sa tranquillité en lui rapportant les derniers ragots du quartier.
Quant à Latifa, ce fut un jour bien ordinaire. Le soir venu, elle rentra avec son fils. La nuit tombée, Amin endormi, elle se livra au même scénario que celui de la veille. Elle se glissa dans cette nuit noire, vêtue de sa tunique qui cachait comme à l’accoutumé sa tenue sexy. Elle rencontra à la sortie de la concession El-Hadj Iskil, l’imam du quartier qui l’interpella.
- Samalekoum, saint homme, fit Latifa.
- Malekoum salam. Où vas-tu donc seule cette nuit, femme ?
- Amin fait une petite fièvre, et je me dois de lui acheter de toute urgence de quoi le guérir. Je ne vais pas loin El-hadj.
- Puisse le Tout-Puissant veiller sur toi et accorder la guérison à ton fils. Va en paix.
Elle se hâta de s’éloigner. Il ne fallait pas qu’elle croise encore une autre connaissance. A cette heure de la nuit, les taxis ralliant la ville ne tarderaient pas à se faire rares. Mais ce soir-là, quand elle fut à « La Rose Noire », elle resta bien timorée. Elle n’avait aucune envie de souiller. Mais elle se devait de le faire, car les frais d’écolage d’Amin, la famille à nourrir, ne lui permettaient pas de raisonner ni de penser à la vertu. Comme elle n’était pas très entreprenante, ses copines s’étaient déjà offert les meilleurs clients. Elle finit par être aguichée par un homme bien en chair, un spécimen qu’elle aurait surement envoyé paître en temps normal. Il l’emmena dans une auberge malfamée où il assouvit ses bas instincts. Pendant que l’homme se satisfaisait, la femme figea son esprit sur son fils, essayant de se convaincre que c’est pour lui qu’elle acceptait subir ce supplice. Quand ce fut finit, elle s’empressa d’encaisser son dû et de s’en aller.
Latifa rentra chez elle et trouva Mam Fatim encore en éveil. La vieille lui fit part de la visite impromptue de El Hadj Iskil qui demandait avec une insistance bien particulière à avoir des nouvelles d’Amin. Elle ne comprenait pas d’où venait cette instance mais lui fit simplement savoir qu’Amin allait plus que bien. Latifa lui fit savoir sa rencontre avec le vieil Iman, et la raison qu’elle lui avait servie pour expliquer sa présence dans la rue à une heure si tardive. Elles étaient convaincues que le vieil homme se doutait à présent de quelque chose. Qu’importe ses soupçons, il n’avait aucune preuve et ne pouvait deviner ses occupations nocturnes.
Des jours passèrent et le même manège continua. Bien qu’Allah ne cautionne sûrement pas ses activités nocturnes, il lui faisait quand-même la faveur d’avoir chaque jour au moins un client et de surcroît des hommes généreux qui la traitaient comme une dame. Elle priait que cet état de grâce perdure. Cette nuit-là, elle mit beaucoup de temps à trouver un taxi pour rejoindre son lieu de travail nocturne. Quand elle entra à l’intérieur de la boîte, tous les bons gibiers étaient déjà apprivoisés. Elle savait que sa chance viendrait. Elle était perdue dans ses rêves quand soudain un homme vint l’aborder. Son haleine sentait l’alcool, ses propos étaient peu cohérents. Entre deux hoquets, il se proposa de lui offrir un verre. Elle accepta malgré elle. Après la première gorgée, l’homme qui était tout sauf un gentleman, lui proposa d’aller chez lui. Elle le suivit. Il n’habitait pas loin de « La Rose Noire ». Ils se faufilèrent à travers de sombres ruelles. Latifa en angoissée.
Ils parvinrent quand même à la demeure du monsieur. Une fois en chambre, il prit possession d’elle sans s’embarrasser des préliminaires. L’homme était si violent que Latifa ne pouvait se lever prestement. Elle rassembla ses forces réussit à se redresser. Avant de sortir de chez son bourreau, elle demanda son argent. Le bougre fit semblant d’ignorer sa requête. Quand elle lui dit de nouveau de lui payer « sa somme », comme pris d’un soudain accès de folie, l’homme se rua sur elle, lui assénant de rudes paires de gifles qui lui firent perdre l’équilibre et s’affala. Elle ne reprit ses esprits qu’au bout de plusieurs minutes. Sans mot dire, elle remercia intérieurement le ciel d’être encore vivante et se sauva.
Il y avait un bon moment que le soleil avait chassé la nuit. Latifa dissimula son visage tuméfié derrière son voile. Bien que le tissu égratignât ses blessures, elle ne pouvait le retirer. Quand elle franchit le seuil de la chambre de Mam Fatim, quel soulagement ! Elle se savait désormais en sécurité. Elle retira son voile et s’effondra aux pieds de sa mère. Elle pleura tout son malheur. Ce fut une vive douleur pour Mam Fatim qui ne put contenir ses larmes. Les deux femmes s’étreignirent et pour la première fois, elles laissaient leurs peines s’exprimer. Mam Fatim redressa son visage et ce qu’elle vit lui arracha encore quelques sanglots d’horreur. Les mains de cet animal étaient dessinées sur le visage de sa fille. Ses joues avaient doublé de volume. Elle ne parvenait même pas à ouvrir son œil droit injecté de sang. « Il paiera, il paiera ce chien » répétait sans cesse Mam Fatim.
Elle lava sa fille, lui passa des baumes sur ses blessures et la fit coucher. Pour elle, elle était restée la petite Latifa qui avait tété ses seins et tant qu’elle aura le souffle, elle prendra soin de sa fille. Chaque violence que subissait Latifa, Mam Fatim la ressentait au plus profond d’elle-même. Chaque coup de boutoir reçu par Lafitfa, était pour sa mère un coup d’épée dans sa fierté de femme musulmane. Elle pensa à son regretté mari. Si seulement il avait été là… Mais quelque part, elle en voulait surtout à sa fille. Si cette idiote n’avait pas gâché sa beauté en s’amourachant, plus jeune, de ce mécréant…. Ce « bâtard » dont elle s’était entichée et qui l’engrossa sans plus jamais demander ce qu’elle était devenue… Et comme une banane dont on avait enlevé la peau, elle ne pouvait trouver de preneur. Depuis lors, elle demeura célibataire. Sa seule chance de s’en sortir est ce métier de honte qu’elle devait exercer. Mais Mam Fatim ne perdait pas la foi ; elle savait qu’un jour Allah fera grâce…
ZINKPE Théodore Gildas Adanchédéwea