Quand il eut prononcé ces mots, Latifa resta sans voix. Elle qui était sur la défensive tel un cobra poussé dans ses derniers retranchements, sentit tout son influx nerveux s’évaporer tout d’un coup. Il l’avait désarmée. « Rentrons » finit-elle par lui dire. Elle lui présenta sa mère et son fils. Ils restèrent à discuter un peu, se perdirent dans leur fou-rire habituel. Quelques instants après, Alaoui demanda à partir. Au moment où Alaoui franchit le portail pour prendre congé d’elle, elle lui demanda une dernière fois :
- Es-tu sûr de ta décision ?
- Plus que jamais. Je te veux à mes côtés, Latifa.
- Que le tout-puissant nous garde.
Les jours qui suivirent, ils se fréquentèrent assidûment. Par ailleurs, Latifa cessa son travail de belle de nuit. Elle commença une formation d’aide-soignante à l’hôpital où exerçait Alaoui. Bien que ses revenus aient considérablement diminué, jamais elle n’avait été aussi heureuse. En plus, Alaoui se chargeait de combler le gap pour faire face aux besoins de la famille. Ce fut une grande joie pour Mam Fatim de voir sa fille enfin épanouie et aimée d’un homme. Allah, le Miséricordieux, avait enfin entendu ses prières. Le miracle qu’elle avait de tout son cœur souhaité, se réalisait enfin. Leur sombre passé était désormais derrière elles. Au bout de quelques mois, Alaoui lui demanda sa main. Mam Fatim sans hésiter, leur accorda sa bénédiction. Ils rencontrèrent l’imam, El Hadj Iskil, qui les bénit et fixa le jour de la célébration. Sans plus tarder, ils entamèrent les préparatifs.
Ce soir-là, après un après-midi passé à faire les dernières courses de la cérémonie ; quand elle rentra, la nuit s’était déjà installée. Au moment de franchir le seuil de sa maison, elle entendit son nom. C’était la voix de El Hadj Iskil, l’imam. Elle s’approcha.
- Ma fille, commença-t-il, accompagne-moi dans ma promenade de ce soir. J’ai quelques conseils de vieil homme à te donner avant que tu ne t’engages dans cette sainte alliance qu’est le mariage.
- D’accord, El Hadj. Laissez-moi juste prévenir ma mère sinon elle s’inquiétera.
- Non, non, rétorqua-t-il. On ne sera pas long.
- Je vous suis donc El Hadj.
Avec lui, elle prit donc le chemin de la plage. Tout au long du chemin, El Hadj la gavait de recommandations sur ce que devait faire une bonne femme musulmane mariée. Ils arrivèrent à la plage qui, à cette heure, était bien déserte. Elle n’eut même pas peur, que pouvait-elle craindre de cet homme respecté et craint qu’est El-hadj Iskil? Même les esprits maléfiques devaient le craindre, tant il était pieux. Elle était perdue dans ses pensées quand soudain, elle sentit une main puissante lui saisir vivement la gorge. Que se passait-il ?
- Surtout pas un cri, sinon je te brise le cou, fille ignoble. Grogna l’imam.
- Mais El Hadj, que faites-vous ?
- Tais-toi, fille du diable, bâtarde, pute. Laisse-moi me servir comme tous les hommes de la ville avant que tu n’ailles gâcher ta beauté avec cet idiot.
Pendant qu’elle essayait de comprendre ce qui arrivait, elle sentait déjà le vent effleuré ses épaules nus, sa chemise étant déjà partie en lambeaux.… Elle réalisa enfin ce qui lui arrivait : ce vieil hypocrite abusait d’elle. Elle n’eut même pas la force de lutter, tant la soudaineté de ce cauchemar l’assomma. Quand il eut fini son acte ignoble, il la menaça :
- Et surtout que nulle part, je n’entende s’ébruiter ce qui s’est passé entre nous. Sinon tout le quartier saura la vie de pute que tu mènes, en premier ton idiot de fiancé.
Elle resta seule un moment sur la plage. Que pouvait-il lui arriver de pire ? Se faire violer la veille de son mariage. Elle dissimula son corps éhonté du mieux qu’elle pouvait sous son foulard et rentra. Elle se promit de n’en parler à personne.
Le lendemain, c’était le jour tant attendu. Cependant, elle n’avait qu’une envie : envoyer tout balader et disparaître. Mais elle ne pouvait gâcher le bonheur de Mam Fatim et de son enfant qui enfin allait avoir un père.
Par les soins de ses tantes, elle fut donc chichement habillée. Sous les you-you, toute la famille l’accompagna en procession vers la mosquée. Dire que ce serait à son bourreau de célébrer son union avec Alaoui. A sa grande surprise, elle remarquait des gens bien habillés prendre la direction contraire à celle de la mosquée. Mais cela ne l’inquiéta pas outre mesure. Arrivée devant la mosquée, elle vit Alaoui en sortir tout courroucé. Que se passait-il donc ? Quand il se rapprocha d’elle, elle lui adressa un sourire mais ce dernier ne lui accorda même pas un regard et la dépassa.
Elle vit alors apparaître l’Imam à l’entrée de la mosquée et annoncer :
- Chers frères et sœurs, honorables invités, que la paix d’Allah le Miséricordieux soit avec vous.
- Répondit l’assemblée.
- Nous sommes réunis ce jour pour unir devant le Tout Puissant et la communauté des fidèles, nos deux enfants : Alaoui et Latifa. Mais notre frère Alaoui et sa famille pour des raisons que je ne saurais exposer ici, ont décidé de surseoir à cette union. Je ne saurais en dire plus. Que la volonté de Dieu soit faite.
Latifa n’en revenait pas. Quelle honte ! Le monde s’effondrait autour d’elle. Elle eut le courage de fendre la foule curieuse qui murmurait toute sorte d’obsénité à son encontre. Elle savait que son passé au grand jour avait été dévoilé. Et le seul responsable de cette bassesse ne pouvait être que ce malheureux d’Iman. Elle réussit à l’approcher. Et soudain, tel un fauve, elle se jeta sur lui :
- Tu as brisé ma vie. Non content de m’avoir violée, tu me couvres de honte devant la ville entière. Elle fit s’abattre en même temps que ces mots, des coups d’une rare violence sur le vieil homme qui dut son salut à quelques fidèles qui s’empressèrent de la maîtriser.
- N’écoutez pas cette pute. Elle veut m’entraîner dans sa chute, moi un saint homme. Se contentait de répéter l’imam.
Latifa se calma et sortit de la mosquée. Elle dévisagea longuement la foule des curieux. Parmi ces personnes qui la maudissaient, la traitaient de putain, elle reconnut certains visages familiers. Certains avaient été ses clients mais aujourd’hui, ils lui jetaient tous la pierre. Quelle hypocrisie ? Elle remarqua Alaoui à bord d’une voiture, elle entreprit de le rejoindre. Dès que ce dernier l’aperçut, il lui cria :
- Ne t’approche pas de moi, fille de joie. Dévergondée. Il a fallu que ce soit le jour de mon mariage que je sache que ma future femme était une putain.
Ces mots la figèrent. Qu’entendait-elle ? Comment Alaoui pouvait-il dire qu’il ne savait rien de son métier ? C’était bien la triste réalité. Même lui l’avait jeté en pâture aux commérages et se tenait aux côtés de ses bourreaux. Elle se retourna. Les insultes que tous proférèrent à son endroit, lui étaient inaudibles. Sa tête tournait. Puisant au plus profond d’elle, elle réussit à rejoindre la maison. Quand elle vit Mam Fatim, elle éclata en sanglots :
- Mam, as-tu vu ce qu’ils m’ont fait ? Réussit-elle à dire.
- Va-t-en. Fille du diable. Je ne veux porter ta honte avec toi. Ne viens pas souiller davantage ma demeure. Il y a longtemps que j’aurais dû te chasser de cette maison…
- Mam… Mam. S’il te plait, ne me rejette pas, toi aussi, Mam… Que deviendrais-je ?
- Va vivre ta vie de prostituée loin de moi…
- Pas toi, Mam Fatim, ne me condamne pas à mort, maman.
ZINKPE Théodore Gildas Adanchédéwea