Né en 1965 au Bénin, Moudjib Djinadou, est titulaire d’un diplôme de l’Institut du Développement de Marseille. « Mais que font donc les dieux de la neige ? » est son deuxième roman publié en 1993 chez Harmattan. Une question s’impose au sortir de ce livre :  » Mais qu’est-ce qui peut pousser cet auteur à écrire une histoire contre la puissance colonisatrice, une histoire que peut-être personne ne voudrait raconter? » Au moment où on parle de mondialisation, de village planétaire, où nous n’avons qu’une seule civilisation, la civilisation mondiale, voilà que  Moudjib Djinadou opère une rétrospection et choisit délibérément d’aller à l’encontre de l’histoire. Il fait œuvre de génie en inventant lui-même sa propre histoire, pour tordre le cou à l’histoire, telle qu’elle nous a été racontée et transmise. N’est-ce pas au nom de la « civilisation » que la France est venue coloniser des pays africains, après que ces derniers ont subi l’esclavage, la traite négrière ? L’auteur s’inscrit ici dans une dynamique de déconstruction. Et déjà dans le premier chapitre, il donne le ton : « Depuis longtemps déjà, le roi d’Abomey avait eu écho de ces contrées lointaines où rien n’était ni ne se produisait comme chez eux. Les gens y avaient la peau complètement déteinte, les cheveux lisses aux couleurs plus ou moins insolites, les yeux aux nuances étranges, bref tout en eux était singulier ; ils parlaient un langage différent et pratiquaient des religions distinctes des rituels ordinaires. Tout cela était fort curieux, et, bien sûr, pour les souverains noirs avides de conquêtes et de pouvoir, tout à fait intéressant à savoir ».p.6. C’est donc le royaume d’Abomey qui va coloniser la France, non pas sur un coup de tête, mais après une étude minutieuse prévue par l’auteur : confier aux oracles, devins et autres féticheurs, la noble mission de civiliser les Français. Le but recherché par Abomey, c’est de leur imposer ses pratiques, sa vision et sa puissance civilisatrice. A la vérité, considérés comme des païens, les Français sont sommés de sortir de l’obscurantisme, du paganisme, de leur vie primitive, où ils ne connaissent que force et sauvagerie. Dans la nouvelle civilisation où le rocambolesque bouscule les lignes du réel et du concret, il n’y a plus d’église. Au christianisme, se substituent allègrement les religions traditionnelles aboméennes. C’est ainsi que Gaspard, le fils de Durand, précédemment prêtre, sera rebaptisé Doulan, pour devenir finalement un des principaux collaborateurs du Fâ. Dans cette nouvelle civilisation, le pain se fait maintenant avec la farine de mil et non le blé. Tout part d’Abomey et tout revient à Abomey. Etre en compagnie des noirs, s’habiller comme eux, se marier avec eux ou être leurs domestiques, est un privilège. C’est un honneur pour les Français de servir les Dahoméens. Ces derniers en abusent. Pour les français dévoués, on leur la récompense est exceptionnel : un voyage à Abomey, histoire d’inciter les récalcitrants à changer de comportement. L’histoire est en marche, mais de travers. La science occulte aboméenne a été instaurée et apprise aux enfants blancs. La France est dirigée depuis Abomey. La domination change de camp. Une remontada? De toute façon, l’histoire ici se déploie à l’envers pour mettre à et corriger les revers de l’histoire. Il s’agit d’une revanche sur l’histoire, rêvée et écrite par Moudjib Djinadou. Mais pendant combien de temps durera l’hégémonie aboméenne?…

Je recommande ce livre pour son style et l’audace de l’auteur. En effet, avec un style simple, fin et fait d’ironie et de sarcasme, Moudjib Djinadou crie son rêve : l’émancipation du peuple noir. Selon lui, si les autres peuples ont pu se lever, l’Afrique aussi peut se relever de ses agenouillements et briser les chaînes de ses esclavages multiples et multiformes. Ce qui est aussi intéressant dans ce roman, c’est le choix de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, qui épouse sous la plume de Moudjib Djinadoula la foi en des lendemains meilleurs pour le continent noir. En lisant ce livre, on se rendra aussi compte de ce que notre avenir n’adviendra jamais sans une révolution culturelle qui partira de la reconnaissance par nous-mêmes de ce que nous sommes fondamentalement et de son assomption dans ce monde où dans la tête de biens d’africains, seul ce qui vient de l’Europe est bon. Ce livre, c’est comme un retour au pays natal, un redécouverte de l’Afrique pré-coloniale. Il hurle sa soif de voir l’Afrique se prendre véritablement en charge. Mais que font donc les dieux de la neige« , c’est un livre plaisant qu’il faut dévorer sans modération. Il ne constipe pas, bien au contraire, il ouvre les yeux sur ce qui ferme la porte au développement africain. Prenez et lisez!

 

Kouassi Claude OBOE