Mon conte roule, roule et tombe sur le village de Tagbasoukpo. Dans ce village, vivait, Gbèdoloo, un vieil homme très riche qui n’avait que deux fils. L’ainé, Gbévoun, était paresseux, arrogant, malpropre mais mégalomane, aimant la belle vie en compagnie des filles. Malgré son caractère, son père l’aimait plus que tout. N’était-il pas son fils aîné, à qui devait revenir de droit la gestion de l’héritage ? Gbèdoloo faisait tout pour le préparer à lui succéder. Mais Gbévoun, sûr de gérer les biens de ce dernier, l’envoyait paître chaque fois qu’il lui faisait des remarques sur ses mauvais comportements. Une seule chose le préoccupait : que son père meure et qu’il hérite. Le benjamin, Iton, était plutôt correct, poli, racé, consciencieux, sage et travailleur. Depuis près de deux mois que le vieux était malade, Gbévoun l’abandonna, préférant passer le clair de son temps avec les filles du village et même les femmes d’autrui. Iton, le benjamin seul s’en occupait. Et il le faisait tout heureux car il aimait son père.

Un soir, Gbèdoloo manifesta le vif désir de s’entretenir avec son fils aîné, car il sentait peu à peu ses forces l’abandonner. Gbévoun brilla par son absence. Ce soir-là, il avait rendez-vous avec Alougba Yakamin, l’épouse de son oncle Noudogbèmin, le chef du village. Triste et déçu, le père finit par s’adresser à Iton, en soupirant profondément :

– Mon fils, la vie nous réserve beaucoup de surprises. Parfois nous sommes appelés à faire des choses que nous ne voulons pas toujours. On comprend à un moment qu’il existe une très grande différence entre ce que l’on veut réellement et ce que l’on fait finalement. On commence chaque nouvelle année avec des rêves, des ambitions, des projets. Ces petites choses qui donnent un sens à notre vie. Sans rêve on n’est rien, car qui ne rêve pas, ne vit pas. Mais la route qui mène à l’accomplissement de ces rêves n’est pas toute tracée. Réaliser son rêve, c’est s’accomplir, c’est se réaliser, faire ce qu’on aime faire, profiter de chaque moment que la vie nous offre parce que le bonheur réside dans les petites choses. Être heureux, c’est profiter de ce que la vie nous offre. La vie nous offre tellement de choses, tant d’opportunités que nous ne voyons pas toujours. On oublie souvent qu’on ne vit qu’une fois et que nous devons vivre la vie, et non la subir. Je suis au soir de ma vie. j’ai suivi mon destin, et je suis prêt à rejoindre le royaume de Sègbo Lissa où m’attend ta mère. Mon fils, la vie t’offre tout pour te réaliser. Ton frère aîné a choisi son chemin. Je ne lui en veux pas. La vie est une énigme. Trois éléments résolvent cette énigme : la patience, l’humilité et la foi en soi.

Au fur et à mesure qu’il parlait, sa voix faiblissait. Iton, assis aux côtés de son père, l’écoutait religieusement jusqu’au moment où ce dernier se tut. Iton pensait que son père dormait. Le lendemain, quand il se réveilla, il vit que le corps de son père était raid, et qu’il ne respirait plus.  Il cria au secours. Mais Gbèdoloo avait déjà  rejoint sa femme dans le royaume de Sègbo Lissa.

Vers midi, quand Gbévoun revint, il constata qu’il y avait du monde à la maison. Il s’informa auprès des premiers et apprit la mauvaise nouvelle. Il se souvint qu’il devrait parler avec son père la veille. Il alla voir son jeune frère :

– Iton, qu’est-ce que ce vieux nous voulait hier?

– Je t’interdis de parler de père ainsi. Même si tu ne l’aimes pas, respecte au moins sa mémoire, car c’est notre père avant tout.

– Je m’en fous, Dieu merci, ce vieux est mort. Je suis l’ainé, à moi donc revient la gestion de son patrimoine. Tu devras m’obéir. D’ailleurs, je vais diviser sa fortune en cinq parties. J’en prendrai quatre et tu te chargeras du reste. Je vais quitter le village et aller vivre ailleurs. Je suis fatigué de ce village. J’irai faire ma vie ailleurs.

– Tu ne peux le faire, car père a souffert pour avoir sa fortune. Nous devons travailler pour la faire fructifier. Et puis, beaucoup de villageois profitent de la richesse de père. Lui-même les aidait et nous devons continuer son travail.

– Qui t’a dit que ma raison de vivre devait être conforme à celle de notre père ?

– Grand frère, dis-moi : Dis-moi : Quelle est ta raison d’être ? Qui es-tu vraiment ? Que veux-tu faire ? Qu’est-ce qui te rend heureux? Et  si aujourd’hui était le dernier jour de ta vie, si tu n’avais plus qu’une journée pour accomplir tes derniers actes, que ferais-tu? Quelles sont les choses que tu aurais aimé faire, grand-frère ?

– Je ne sais pas. Je ne te dirai rien. C’est ton problème. Je ne suis pas là pour réfléchir encore moins pour répondre à tes insolentes questions. Rappelle-toi que c’est moi qui suis désormais à la tête de la fortune et je fais ce que bon me semble. Demain, je vais réunir tout le monde et annoncer ma décision. Elle est déjà irrévocable.

La nuit, Iton n’arrivait pas à dormir. Il ne comprenait pas comment son frère pouvait agir ainsi. Il se mit à prier. Le lendemain, avant même que les rayons du soleil s’invitent dans les maisons, Gbévoun avait réuni tous les notables du village pour une annonce importante. Hommes, femmes étaient assis dans la cour, médusés et inquiets, attendant quel numéro ce satané de Gbévoun allait encore sortir. Quelques instants plus tard, il apparut, et sans saluer les grands et les notables, leur annonça son intention de prendre possessions de la fortune du vieux, et de n’en donner que le cinquième. Malgré les protestations des anciens du village, Gbévoun insista. Et au moment où ils s’apprêtèrent à prendre congé de lui, arrivèrent sept vieillards.  C’était le conseil des sept sages de toute la contrée. Ils étaient respectés, aimés et craints de tous :

– Excusez-nous du retard. Nous présentons à toute la famille nos sincères condoléances et…

– Nous n’avons que faire de vos condoléances. Nous avons fini ici. C’est moi désormais le chef de famille et je vous ordonne de partir de cette maison, lança Gbévoun.

– Fils insolent, c’est comme cela on parle aux grandes personnes ? Qui t’a d’ailleurs donné la possibilité de prendre en otage les biens de votre père ?, dit un des sages, celui dont les yeux étaient les plus gros et les plus rouges.

– Je ne prends que ce qui me revient. Avant la mort de mon père, il m’avait déjà nommé comme son successeur. Ne venez pas nous raconter des histoires ici. Je ne vous ai jamais permis non plus d’entrer dans cette maison. Sortez tout de suite.

– Gens de ce village, je vous salue. Vous me connaissez bien, fit le plus vieux des sages. Il y a quelques semaines, Gbèdoloo m’avait dit avant sa mort, qu’il avait nommé son fils ainé pour le succéder, mais que son comportement ne faisait plus de lui son successeur, mais, qu’avant sa mort, il confierait à ses enfants des paroles qu’ils doivent répéter devant le conseil des sages, ainsi que l’exige notre coutume multiséculaire. Ces paroles, il nous les a confiées aussi. Donc Celui qui les répétera sans bégayer sera son successeur. J’ai parlé.

Un grand silence s’empara de la foule. Gbévoun comprit que la situation avait changé et qu’il ne fallait pas jouer au zélé surtout que le plus gros des sages, après avoir souri à la calebasse qu’il tenait, cette dernière s’était mise à danser et à dégager une fumée blanc-noir au-dessus de laquelle tournoyaient abeilles et guêpes.

Mais pour faire montre de transparence et de vérité, on fit enfermer les deux enfants dans divers locaux. Le sage, prit la parole et dit mot pour mot à l’assistance, les mêmes paroles, les mêmes conseils que le vieux Gbèdoloo lui avait confiées et que devait répéter son futur héritier. Puis, on sortit les enfants et chacun devrait dire les derniers propos de leur père. On donna la parole à l’ainé qui se lança dans des invectives accusant tout le monde de vouloir lui retirer ses biens. Mais quand Iton prit la parole, il raconta à l’assistance les dernières paroles du vieux exactement comme le sage les avait prononcées à l’assistance sous le regard ahuri de son frère ainé. La sanction fut directe. Gbévoun devrait renoncer à son idée suicidaire de prendre l’héritage ou de quitter la maison. Devant l’assistance, il resta bouche bée, ne s’attendant pas à la tournure de ces évènements. Il décida de quitter le village. Son frère l’apostropha :

– Maintenant dis-moi qu’est-ce qui t’empêche de réaliser ton rêve ici ? Le regard des gens ? La peur d’échouer? Te faire rejeter? Être l’objet de moqueries, ou de faire des erreurs? Il vaut mieux essayer d’apprendre la vie maintenant plutôt que de le regretter plus tard. Grand frère, reste avec moi et ensemble, prospérons les affaires de papa.

Honteux et confus, Gbévoun entra dans la chambre, prit ses affaires et sortit de la maison pour une destination inconnue malgré les pleurs et les supplications de son frère. Les anciens, avant de se retirer, contre toute attente, installèrent Iton comme l’héritier légitime et légal de son père et fit de lui le chef du village, malgré son jeune âge. En effet, Noudogbèmin, le chef du village, ayant appris les aventures de Gbévoun et de sa femme Alougba Yakamin, fit un arrêt cardiaque qui l’emporta au Koutomey.

 

Stella Fifa TOWANOU

Technicienne Supérieure en Planification et Gestion des Projet (ENEAM)

 

  1. Très bon conte, avec de bons conseils, surtout pour cette jeunesse en perte de vitesse qui est pressée pour tout posséder sans fournir le moindre effort.

  2. Merci pour ce conte. Merci aussi à Myriame d’avoir fait un tour ici. Revenez-nous souvent.