Sènablo était dépité. « El Hadj, je crois à la fatalité. Car tout ce qui m’arrive me dépasse. »
– La vie nous donne toujours l’occasion de faire de bons choix. Tu sais, frère, notre vie est comme un miroir promené le long de l’histoire et de notre histoire. Cette vie, en somme, ne se définit en amont et en aval que par la trajectoire que, dans leur déploiement, nos actes et notre volonté, nos motivations et facultés intellectuelles et psychologiques, lui imposent. A cet effet, aucun acte ne saurait être gratuit ni fortuit, tout comme aucune vie n’est le fruit d’événements contingents qui se conjuguent avec le coup de pouce du hasard pour la générer. Rien n’est gratuit.
– Justement, tout est voulu par une volonté qui nous dépasse et nous surpasse tous infiniment et indéfiniment, mais qui curieusement ne passe et ne passera jamais. Elle est de tout temps et de tous les temps, immuable, immutable.
– Cette volonté n’est pas celle d’Allah. Il est bon, lui. Réfléchissez encore et sortez tout ce que vous avez dans le ventre. Je vois du sang dans l’eau de la calebasse.
– Du sang?
– Oui du sang.
– Il y a que beaucoup de filles ont été obligées d’avorter pour préserver leur vie. Celles qui n’ont pas voulu obtempérer ont dû rejoindre l’au-delà.
– Et pourquoi?
– C’est un pacte. Je ne dois pas avoir d’enfant avant quarante-cinq ans. C’est ce que disent les textes de notre corporation. Il y a quelques mois, j’ai rencontré l’âme sœur, et au moment de passer aux choses sérieuses, je suis bloqué. Je veux avoir à présent un foyer, et des enfants. C’est le moment. Voilà qu’à cause de mon état actuel, toutes les filles se moquent de moi. Ma dulcinée m’a abandonné, mettant sur la place publique mon handicap. Je croyais que c’était elle qui m’avait envoûté. D’autres filles sont passées. Je n’ai rien pu pour elles. Et je suis devenu la risée de tous.
– Ce n’est pas fini.
– Il y a quelques années, j’avais obligé une fille à aller avec mon chien. J’ai filmé la scène que j’ai remise à notre patron. Cela m’a valu une promotion. Mais j’avoue que la fille n’a pu bénéficier de l’argent. Son cadavre a été retrouvé le lendemain dans la mer. Les deux lycéennes égorgées dont la presse avait parlé, il y a quelques années, leurs organes ont servi à la consolidation de notre clan dont je suis devenu le vice-président.
– Auriez-vous été proche de l’une des femmes d’un certain mécanicien?
– Celui qui aurait été cocufié par le sous-préfet?
– Oui
– Je ne saurais le nier.
– Je vois. C’est le frère du Maître des Marabouts et Sorciers de ce pays.
– Walaii, je suis fini.
– Vous êtes dans de sales draps. Mais courage. Espérez.
El Hadj lança de nouveau les cauris. Le blanc tomba face contre terre. L’eau refroidit automatiquement. Sènablo transpirait à grosses gouttes.
Le marabout consulta ses esprits: « Ceci n’est pas une mince affaire ». Mais aussi longtemps que je serai El Hadj Ibn Gafarou, tu recouvreras la santé. Les dieux veuillent nous exaucer.
– Amina, fit Sènablo.
– Le prix à payer est d’autant plus lourd qu’un des plus grands sorciers de ce pays s’est senti sali par votre acte. En délivrant le sous-préfet, j’ai dû perdre tout mon bétail, et l’usage de mes membres, de mes yeux et de ma langue pendant plus de deux ans.
– Houm
– Rentrez chez vous, c’est fini pour aujourd’hui.
A suivre…
Destin Mahulolo
Que va-t-il se passer?
l’Argent, toujours l’argent. Mahou! Dieu nous en préserve, si c’est de cette manière qu’il faut l’avoir…