Il y a de cela très très longtemps, un royaume nommé  Koudjènada où la tête de poisson était un totem. Personne ne devait en manger sous peine de catastrophe sur le royaume et de punition extrême : la mort. Cette loi, tous les habitants du royaume la connaissaient du bout des doigts. Personne ne sut comment et pourquoi cette loi fut instaurée. Toujours était-il qu’aucun sujet du royaume ne voulait la transgresser. Mais un jour, une brouille survint au sein de la famille, qui secoua tous les villageois : Nanwoumi, le fils aîné du roi était un vrai pêcheur, beau, robuste et bien bâti, mais n’aimait guère qu’on lui tienne tête quand il parle. Son jeune frère Vigblégblé, un petit gringalet mais plus intelligent et malicieux que le grand frère et supposé successeur du roi, était aimé de tout le monde, surtout dans la cour royale. Cependant, il avait un énorme défaut, que certains prenaient pour une grande qualité : il aimait s’amuser avec tout, et n’était jamais « sérieux ».  Pour lui, on ne vit qu’une seule fois, et dans ces conditions, il faut blaguer au maximum avant que la mort ne vienne dicter sa loi. Il était toujours dans de sales coups, riant de tout, faisant rire tout le monde. Beaucoup l’aimaient. Mais contrairement à tous ceux qui aimaient ou Nanwoumi ou Vigblégblé, Nyonuklébé, la benjamine de la famille, n’avait vraiment pas de préférence. Elle aimait ses deux grands frères d’un même amour, même si l’aîné et le cadet ne s’entendaient pas souvent.

 

Dans le royaume, les princes devaient travailler dur à l’instar des autres sujets. Leur rang princier ne les exemptait pas des tâches quotidiennes. Ainsi Nanwoumi était chargé de nourrir la famille en poisson. Vigblégblé lui, allait au champ avec certains valets de son père pour pourvoir la famille en cultures vivrières. Quant à Nyonuklébé, elle aidait les cuisinières commises au service du roi pour la préparation des repas.

 

 

Un jour qu’il revenait de la pêche, Nanwoumi était devenu subitement l’objet d’une attention qui l’ébahit. En effet, la population constata avec une crainte mêlée d’émerveillement, qu’il avait,  parmi les poissons capturés, une espère rare et jamais vue. Au même moment où le poisson fut sorti et déposé dans un panier, la nature s’assombrit et une pluie torrentielle s’abattit sur le royaume. Elle dura plus de six heures sans relâche.

 

Pendant ce temps, Vigblégblé était au champ avec les valets de son père. Ayant été surpris par cette pluie, ils décidèrent de se réfugier sous la paillote de fortune construite au champ. Affairée à la cuisine, Nyonuklébé avait besoin du panier où son frère avait déposé le poisson étrange. Surprise! Consternation! Hébétude! Dès qu’elle déposa le poisson étrange dans la bassine remplie d’eau où étaient déversés les autres poissons, la pluie cessa automatiquement.

 

 

Rapidement, on consulta l’oracle, car de mémoire d’homme, c’était la première qu’un tel événement survenait dans le village : un poisson bizarre pêché et une pluie d’une telle intensité ravageant tout sur son passage. La réponse ne se fit pas attendre : c’était le poisson. Et l’oracle ajouta, sentencieux, le visage ferme comme les muscles des batteurs de tambour de la cour royale:  » tout moribond qui mangera la tête de ce poisson, retrouvera toute sa vitalité. » Or la loi multiséculaire défendait de manger la tête de poisson dans le royaume de Koudjènada : « Quiconque mangera la tête de poisson attirera sur le royaume des catastrophes ». Personne n’osa croire qu’il pouvait manger la tête de ce poisson dans leur royaume. » Mais Pour confirmer les prédictions de l’oracle, on fit venir un autre devin d’un royaume lointain, qui ne connait pas les us et coutumes du royaume de Koudjènada. Pour une deuxième fois, les interprétations oraculaires   : « la tête de ce poisson, une dans la bouche, même d’un mort, peut le ramener à la vie ».

 

Au même moment, Vigblégblé et les valets revinrent des champs. Le supposé successeur du roi était mal en point, car il avait reçu une décharge de la foudre lors de la terrible pluie. Allongé sur une natte, la vie le quittait peu à peu. Une terrible décision était à prendre : « Fallait-il lui faire manger la tête du poisson et le sauver, lui qui est destiné à conduire le royaume à bon port, et attirer par le même fait tous les malheurs sur le village, ou le laisser mourir et ne pas transgresser l’interdit et éviter au village la menace d’une catastrophe ? ». Ce dilemme divisa le royaume. D’un côté, les partisans de ceux qui voulaient la survie du jeune prince, et de l’autre, ceux à qui le royaume tenait à cœur.

 

 

Finalement, il fut décidé que la vie du prince était plus importante que le royaume. On fit manger la tête du poisson au prince, qui quelques minutes plus tard, recouvrit sa santé, mieux, avec des capacités intellectuelles plus grandes. Pendant une semaine, tous les habitants attendirent la véritable catastrophe, mais rien ne se produisit. Ils décidèrent alors de manger à chaque repas au moins une tête de poisson.

C’est depuis ce jour, que la tête de poisson devint une partie du poisson à part entière dans ce royaume.

 

Kouassi Claude OBOE