Mon père ne répondit mot. Il était éberlué, dépassé devant les propos de sa femme. Et pour la première fois, je voyais pleurer mon papa qui me dit: « Sois sans crainte, mon fils« . Moi aussi je me mis à pleurer les entrailles qui m’ont mis au monde, puisqu’au dire de celle qui, jusqu’à cette heure était ma mère, il se révélait avec fracas qu’elle n’avait jamais conçu. Peut-être que lui non plus n’était pas mon père. Une barrière de solitude érigée subitement sur la méfiance et la déception s’érigea entre nous. Je revis mes années passées auprès d’eux, toutes ces joies dont ils m’ont enivré, tout cet amour dont ils m’ont couvert. Oh, mon Dieu! Quel coup de tonnerre dans le ciel serein de ma quiétude auprès des Koklossou où était enterré le cordon ombilical de ma vie!
Quels déchirements! Quelles déchirures ! Je ne savais plus où j’étais. Mes yeux n’étaient que larmes et ma gorge amertume. Je voulais ouvrir la portière, et sortir. Mais où aller. Je ne connaissais de maison que celle où j’ai grandi. Je ne me connaissais de parents que ceux qu’un chaton met dans tous leurs états.
De l’autre bout du fil, la voix se faisait insistante:
– Allo, ma fille. Ma chatte a mis bas deux chatons. Depuis hier, je n’en retrouve qu’un. Ne serait-il pas avec vous par hasard? C’est ce que j’essayais de te demander tantôt, mais apparemment la ligne ne passait pas.
Mon père respira profondément et éclata de rire. Il rit pendant près de cinq minutes. Ma mère faillit le gifler. Il devrait me remercier pour ma présence.
– Ah! Chérie, tu te rappelles le carton? Dit-il enfin.
– Quel carton? On parle de chaton, et tu évoques le carton. Quel est le lien entre un chaton et un carton?
– Celui que ta mère nous a remis hier.
– Le carton où elle avait déposé pour nous les légumes et les carpes fumées?
– Exactement!
– Et où est le lien?
– On retourne à la maison.
Nous fîmes demi-tour. Arrivés à la maison, nous ouvrîmes le carton. Il n’y avait plus que les légumes et quelques arrêtes et têtes de poissons. Une découverte surprenante : je reconnus la corde que les chatons de grand-mère avaient au cou. C’était même fait à l’aide d’un morceau de l’un de ses pagnes que maman lui avait achetés. Je me rappelai aussi que maman avait envoyé de l’argent à Grand-mère pour s’acheter un chat afin de discipliner les souris qui perturbaient sa quiétude au village. Maman aussi reconnut le tissu. Mais par quelle alchimie le chaton s’était-il retrouvé dans le carton?
Maman appela sa mère et lui fit part de nos découvertes.
– C’est ce que je t’expliquais, ma fille! dit-elle d’une voix chevrotante. Toute la nuit je n’ai pas dormi. Le chaton me manquait. J’avais fait la fièvre. J’avais froid au même moment. Je toussais tout le temps. Je n’ai pas du tout dormi. J’avais très mal.
– Allo, tu avais froid, dis-tu?
– Oui, comme si j’avais été battue par la pluie.
Ewlizo coupa l’appel et se tourna vers son mari, toute courroucée.
– Entends-tu ce qu’elle dit, Koklossou? Au moment où nous priions ici, et que nous arrosions ce chaton d’eau bénite, eh bien, ma mère en ressentait les coups dans sa chair, au point d’avoir froid et de grelotter exactement comme cet animal qui doit être son medium. Elle ressentait dans son corps tout ce que le chaton a subi la nuit dernière….