– Tu as raison, tonton chéri, avais-je reconnu.
Et, tête basse, j’avais rejoint mon lit où un sommeil consolateur m’attendait.
***
Sortie de ce souvenir, je constatais que tous mes camarades dormaient depuis. Je tentais de me caler pour mieux chercher le sommeil moi aussi quand, subitement, l’une des tatas frappa dans ses mains pour annoncer la fin du repos. Nous nous levâmes tous et, en file indienne, nous allâmes vers les salles d’eau, situées dans la galerie sous l’étage. La toilette demandée était sommaire : un petit bain de bouche, un léger débarbouillage et un peu d’eau fraîche dans le ras du cou pour se réveiller totalement. A notre retour, la maîtresse nous attendait déjà. Une animation de quelques minutes nous met en train pour la soirée ; nous y apprenons notre premier chant. Il disait : ‘’L’heure est sonnée. Mettons-nous en rang pour aller en classe’’. Nous le chantons gaîment après l’avoir mémorisé. La soirée se poursuit avec la reconnaissance des couleurs : le noir, le blanc, le rouge, le bleu, le vert, le violet, l’orange, etc. On nous les fait identifier à l’aide de nos crayons de coloriage.
Cet après-midi-là, j’ai peiné un peu pour l’identification des couleurs, à l’opposé des autres, ils avaient déjà vu cette leçon en maternelle une, l’an dernier. Et le temps s’étirait, filant comme un voleur à l’arrachée, mais nous ne le voyions pas passer tant les activités nous prenaient. La reconnaissance des couleurs nous conduit au coloriage de formes finement dessinées dans notre cahier d’activités. Se refusant peut-être à nous les faire identifier par leurs noms, la maîtresse en choisit une dont la forme ressemblait à celle de mes boucles d’oreilles en cerceau. Il fallait en remplir l’intérieur avec la couleur verte. Je m’y appliquai du mieux que je pouvais. J’avais beaucoup de difficultés avec le crayon qui se rebellait entre mes doigts, pour aller dans tous les sens, débordant les lignes-limites de l’espace à colorer : je m’énervais ; et plus ma colère montait, plus le crayon en faisait à sa tête ; les tracées qu’il inscrivait sur le cahier dépassaient toujours la ligne. Je crus un instant qu’il fallait le dominer par un appui important et fort. Je le serrais entre mes doigts et appuyais plus fortement sur la feuille qui se trouait de part en part pendant que moi-même je transpirais à grosses gouttes. Remarquant ma difficulté, la maîtresse s’approcha et, gentiment, me dit :
– Desserre un peu tes doigts, ma chérie, regarde la ligne et ne la dépasse pas. Sois patiente ! tu n’as pas fait la maternelle une comme tes camarades. Tu y arriveras.
Et elle prend ma main, m’apprend à tenir le crayon que je tenais pour la première fois. C’était palpitant, je dominais à présent ce foutu instrument qui a failli me faire pleurer, il y a quelques instants ; comme quoi, tout s’apprend, même les plus grands génies doivent apprendre un peu, on ne naît avec rien donc. J’oubliais en fait, que j’étais la plus jeune de ma classe, trois ans et demi parmi des cinq ans, des six ans, une novice venue de sa maison, sans aucun brin d’apprentissage scolaire en dehors de l’école de la télévision. Quand sonnent seize heures pour la récréation, la maîtresse inspecte nos cahiers, me félicite pour le niveau de mon travail, car après son secours, je réussis le reste de mon exercice mieux qu’au début. Le goûter servi était sommaire, un paquet de biscuits salés et on nous donna quartier libre, sous la surveillance de la maîtresse. Alors nous vaquions aux jeux. Toboggan, trampoline, pneu, chacun d’eux accueillait ses clients. Moi, j’étais partout à la fois, je parlais fort, non ! Je criais, ordonnais à chacun ce qu’il pouvait faire. Bien que je fusse occupée au toboggan, j’avais l’œil sur les autres jeux. Je me laissais griser par la rencontre avec le vent de la descente vertigineuse du toboggan et la responsabilité des autres que je m’étais arrogée. On m’appelait par-ci, on m’appelait par-là. Pendant combien de temps avions-nous joué ? Je ne saurais le dire. Un nouveau hurlement de la sirène nous surprit et mit fin à nos jeux. On nous fit nous retourner en classe et nous apprêter pour rentrer chez nous : il était dix-sept heures.
Mon oncle vint me chercher jusqu’à l’entrée de la classe. Une fois dans la cour, les « Aurevoir Mero » fusaient de toute part, même le directeur sortit de son bureau pour me saluer. Je venais de passer le test du premier jour.
Et les jours suivants s’enchaînaient, rapides et palpitants, avec de nouveaux apprentissages. Je pouvais identifier d’un coup d’œil le carré, le rectangle, le cercle, le triangle, je reconnaissais les traits debout, couché, penché, mon répertoire de chants scolaires augmentait, en quelques mots, je voguais sur l’orbite de l’école et du savoir. Je répondais à presque toutes les questions de la maîtresse. N’étais-je même pas trop envahissante par moments au point que l’enseignante évitait parfois de m’interroger? Tout cela se savait dans l’école. Ainsi tout le monde me connaissait, même les grands écoliers et élèves du primaire et du secondaire montraient un intérêt pour ma personne. Comme s’il ne leur suffisait pas de me saluer à toutes les occasions, certains marquaient leur admiration en disant sur mon passage : « c’est la petite Mero çà ». Et ce propos ne me plaisait pas toutes les fois. Aux couleurs les lundi matin et vendredi soir, le directeur se créait toujours une occasion pour parler de moi. Même qu’il me fit chanter un jour l’hymne national. Mon oncle et moi ne pouvions passer devant les étals des marchandes de trottoirs sans qu’elles ne me saluent par mon nom. Certaines d’entre elles remettaient parfois de l’argent à mon oncle pour m’offrir des yaourts. J’étais manifestement la coqueluche de l’école et du quartier.
Néanmoins, je ne me sentais plus dans ma bonne forme. J’avais des difficultés à sortir du lit les matins. Je m’essoufflais vite à l’école, j’avais envie de dormir sur les exercices. Une toux taquine et un rhume impossible se mêlaient de la partie. Mes parents le remarquent bien vite. Un soir, au retour de l’école, j’avais vomi si rageusement que l’on avait cru que j’allais expulser mes viscères. Le thermomètre révèle une grosse fièvre. Tout le monde se dérangeait pour moi : mon père fait un rapide tour à la pharmacie du quartier tandis que ma mère et mon oncle préparaient une potion que je devais avaler sur le champ. J’obéissais à tout ce que l’on me commandait de faire. Les jours suivants indiquaient que la fièvre était coriace : papa et maman me conduisent dans un hôpital pour une consultation. Nous en étions revenus avec une ordonnance dont l’administration me fait m’aliter pendant plus de dix jours. Un premier coup d’arrêt momentané venait d’être donné à ma fréquentation de l’école.
FIN !!!
Ascension BOGNIAHO