_Pas de pitié, se répétaient-ils tout bas.
_ Merde ! Il n’y est pas. Revinrent-ils annoncer, à un troisième homme, posté en sentinelle au niveau de ce qui servait de portail à la maison, après une rapide intrusion dans la chambre vide. L’allure du troisième larron avait quelque chose de familier à Assénounkoun qui avait tôt fait de réaliser que ses hôtes impromptus n’étaient pas là pour une visite amicale.
De dessus la dalle où il voyait tout, il cria :
_Que personne ne bouge ou je lui explose la cervelle.
Les assaillants pris de court détalèrent, la sentinelle en premier, sans chercher à savoir d’où venait la voix. Assénounkoun, armé d’un simple lance-pierre, la fameuse arme dont il voulait exploser la cervelle aux visiteurs nocturnes, envoya voler deux cailloux qui atteignirent à la tempe un des ravisseurs. Puis, descendant prestement de son perchoir, il se mit à leur poursuite. Ses Olé, Olé alertèrent les voisins. Des gaillards, résistants au sommeil et aux bras de leurs femmes se joignirent à lui. On parvint à attraper deux des voyous, le troisième s’était fondu dans le noir.
Aux malheureux attrapés, on servit un douloureux plat de gifles et de bastons. L’un d’eux, celui dont l’allure semblait familière à Assénounkoun s’était avéré être le compagnon de beuverie de Komi, Babadjè. On les cuisina et les cribla de questions. Les vérités, difficilement mais sûrement finirent par éclater. L’objet de leur visite nocturne fut révélé. Ils étaient là pour liquider Assénounkoun, un témoin gênant, qui avait eu le malheur de foutre ses yeux dans une affaire qui ne le regardait pas. On fit appel à la police pour se charger du dossier. Des noms fusèrent. La présence de l’ami de komi n’était pas fortuite. Il ne faisait que rendre service à Komi. Ce dernier, cueilli chez lui, avait, encouragé par les gifles, tout avoué. C’était lui qui avait tué Tata Akuevisson. Il ne l’avait pas fait exprès, clama-t-il. Il avait juste un peu exagéré quand il fallait dissoudre dans le verre d’eau, les comprimés de diazépam qu’il s’était achetés. Il ne voulait pas la tuer, juste l’endormir, assez profondément pour qu’elle ne soit pas réveillée à son retour du show immanquable auquel il devait se rendre. Le médicament avait été efficace, beaucoup trop efficace, parce qu’à son retour, à deux heures du matin, Komi avait vu la veuve morte, la bouche ouverte et bavant, devant la télévision allumée. Pris de panique, il l’avait d’abord étalée dans son lit avant de faire appel à Babadjè. Celui-ci, petit voyou de quartier et véritable apprenti-gangster, avait sentencié que ce n’était pas assez convaincant. Aucune mort chez nous, aussi naturelle qu’elle soit, n’échappe aux élucubrations et à la chasse aux coupables. Il faut qu’il y ait un fautif à tout. Il ne fallait donc laisser place à aucun soupçon. Pour commettre le crime parfait, Babadjè avait suggéré à Komi de la pendre à un arbre.
Vu les antécédents suicidaires de la victime, personne ne remettrait rien en cause. C’est ainsi qu’ils avaient sorti et pendu le corps au manguier. L’opacité de la nuit de Mars leur avait servi de parfait complice. Les révélations laissèrent tout le monde bouche bée. Personne ne pouvait l’imaginer, personne ne pouvait soupçonner un tel scénario, ni les Osinoutinois, ni Essèhoungbèssè, personne si ce n’est Assénounkoun. Lui seul avait tout remis en question, douté, investigué. Il eût pu y perdre sa vie s’il n’avait pas eu bonne fortune.
Demain, la populace des internautes vautours et les journalistes à l’affût du buzz, donneront en héros le commissaire Essèhoungbèssè. Tant pis. Le véritable héros, Assénounkoun, n’aura, tout au moins, jamais aussi bien mérité son nom : Yeux de chat.
FIN
Junior GBETO