Le pantalon de Paulouvi

Pour les fêtes de fin d’année, Paulouvi et sa bande « les petits bougeurs » avaient promis de faire parler d’eux. Dans la bande, chacun avait son rôle. Si Paulouvi était lui-même le soliste et le Kaléta principal, celui qui portait le grand masque, Kokouvi, Jeanvi et Podo-Pointu, arborant le petit masque, formaient le chœur. Les quatre bougeurs savaient manier la baguette à merveille. Aucun rythme n’avait de mystère pour eux. Deux jours avant Noël, dès qu’ils eurent les congés, ils prirent les rues du quartier d’assaut, l’emplissant de leurs bruits :

« Kaléta kaléta gbo

Kaléta moukéké gbo »

Sortez ! Les petits bougeurs sont là.

Ils ne demandent pas grande chose.

Juste un petit bonbon

Juste une petite piécette

Essayez-nous, vous ne serez pas déçus !»

Les habitants du quartier se montrèrent généreux envers eux. En faisant le compte le soir, les petits bougeurs ne pouvaient que bénir le ciel pour tant de libéralité à leur endroit.

Le lendemain, ils ciblèrent les riches du quartier. Si une simple parade dans les rues du quartier a permis une si bonne moisson, aller chanter et danser chez les riches ne pouvait pas ne pas être une bonne opération. La première maison visitée, c’était celle de Aladji Moumouni Assiaka Hamed Abdoulaye Tiécoura. Dès qu’il les entendit au loin, le propriétaire courut à leur rencontre. Il les reçut chez lui et se livra à des démonstrations de danse spectaculaires.

Là, Paulouvi et sa bande donnèrent le meilleur d’eux-mêmes pour semer davantage de joie, de frissons et de sensations dans la chair de Aladji Moumouni Assiaka Hamed Abdoulaye Tiécoura et de toute sa maisonnée. Sur la tête des enfants crépitaient des noix de Kola (Goro), des sachets de bonbons, des paquets de biscuits. La femme de leur hôte, hésitante au début, s’invita à la partie de trémoussements. Son mari demanda un disque pour elle auprès des petits bougeurs. Le disque demandé était : « Nao Nao » de H2O ASSOUKA. La dame, au fur et à mesure que les enfants accéléraient le rythme, se trémoussait de plus belle, se contorsionnait et martelait le sol. Elle sortit un épais chiffon noir pour s’essuyer. Il y a certainement longtemps qu’elle n’avait plus dansé autant. Essoufflée, elle s’assit. La terre tournait sous ses pieds et autour d’elle. Les filles de ménage apportèrent à manger. Les petits bougeurs s’empiffrèrent et avant de prendre congé de leur hôte, ils firent monter vers le ciel, leurs louanges à Dieu en sa faveur. Ainsi prièrent-ils, les yeux fermés et les yeux levés au ciel pour Aladji Moumouni Assiaka Hamed Abdoulaye Tiécoura, ses femmes et ses enfants, ceux qui sont déjà là et ceux à venir, pour les femmes que Allah ne s’offusquera pas à lui donner, pour ses projets, ses entreprises, ses visions, sa vie, ses camions, ses bouteilles, ses calebasses, sa maison, ses poulets, ses canards, ses cabris, ses bœufs et ses porcs. Aladji Moumouni Assiaka Hamed Abdoulaye Tiécoura sourit : « Non les enfants, arrêtez-vous aux cabris, et remplacer l’autre monsieur par bélier ».

Oh ! Qu’il est gentil Aladji Moumouni Assiaka Hamed Abdoulaye Tiécoura. Il les congédia gentiment. En sortant, ils aperçurent au coin de la rue Kiki, le Boutiquier, qui les invita chez lui. Là, ils mirent « le feu ». Ils firent bouger la maison. Kiki le boutiquier leur ordonna de s’asseoir et de boire un coup. Il leur offrit des sucreries. Regain d’énergie. Les quatre bougeurs reprirent de plus belle.

L’endroit où ils dansaient n’était pas en réalité loin de la cage du singe de Kiki, le boutiquier. Pendant qu’ils dansaient, la cage s’ouvrit. Le singe sortit et bondit sur Paulouvi, le chef de la bande. Celui-ci ôta son masque et détala. Le singe le poursuivit et s’accrocha à son pantalon. Paulouvi n’avait pas porté de caleçon. Les filles qui étaient là avaient vu son derrière aussi noir que celui de la casserole de sa grand-mère. Il put s’échapper de la prise du singe. Il traversa la route en toute vitesse et atterrit dans un champ. Après quelques pas, il tomba et s’immobilisa. Il venait de mettre son pied dans un piège. Le singe s’assit à côté de lui, le dévisageant avec fureur. Avant que les secours n’arrivent, Paulouvi s’était presque évanoui. Une colonie de mouches vertes lui tenait compagnie sous le regard scrutateur du singe. On ôta son pied du piège. Son pantalon était rempli. Les filles se mirent à chanter :

« Paulouvi gblé goo

O migoo pantaloon

O migoo O migoo pantalon

Aɖidↄgo yayaya”

Paulouvi ne s’en remit que difficilement. Il jura de ne plus jamais faire du Kaléta.

FIN

 Destin Mahulolo

 

  1. Sourire !!! J’aurais aimé ne pas avoir raison…loooooollll. Très bon texte relatant un panorama de la trajectoire de nos « kaletas » en période de fête. Court mais dynamique dans un style accessible.