Qualifié de « roman audacieux » dès sa parution par bon nombre de lecteurs et acteurs du livre, «  « Le secret de mon échec » de Kelly Yemdji résonne déjà tel un livre à succès dans le paysage littéraire camerounais. Aucun lecteur averti ou simplement aucun acteur du livre ne devrait manquer dans sa bibliothèque personnelle ce bijou littéraire dont la cible et le cadre scriptural s’éloignent résolument de ceux des nombreuses productions romanesques antérieures au Cameroun. L’audace de cette jeune étudiante en communication professionnelle axée sur la gouvernance locale à l’université de Dschang réside dans le fait qu’elle offre ainsi à la postérité ce roman dont le volume de 333 pages est loin de refléter le costume de 22 ans qu’elle arbore.

«  « Le secret de mon échec » c’est 54 chapitres que Kelly Yemdji a bien voulu, et à juste titre, nommer tableaux en référence à la peinture dont elle s’inspire. Sur ces merveilleux tableaux, exquis à la vue, à l’ouïe et au touché, Kelly Yemdji peint, avec un ton sarcastique et empreinte d’humour par endroits les tribulations des jeunes en milieu scolaire. Entre railleries, jalousie et coup bas, l’école devient tout un écosystème social où la question des relations humaines est évoquée avec acuité pour tenter de comprendre l’Homme dans sa nature profonde.

« Le secret de mon échec » c’est Daphy et Willy, ces deux personnages qui, par leur relation amoureuse, nous aident à découvrir et à comprendre les réalités profondes du climat ambiant d’une salle de classe en plein milieu du 21ème siècle au sud du Sahara. Tout se passe à Banyo, ville située dans la region de l’Adamaoua. Cette relation platonique, basée essentiellement sur les études, l’entraide et les challenges scolaires visant à l’excellence semble être le modèle de référence jugé exemplaire par Kelly Yemdji à l’heure où l’on interdit toute relation amoureuse en milieu scolaire.

« Le secret de mon échec » c’est la mise à nu des tares d’un système éducatif à réformer en profondeur. Des parents aux enseignants en passant par les élèves eux-mêmes, Kelly Yemdji met en exergue l’impact d’une mauvaise gestion/organisation de ces maillons sensibles du système éducatif dans notre pays. Elle s’offusque de la négligence, mieux de la démission pure et simple des parents. Par ailleurs, elle examine l’impact réel qu’une dysphorie ambiante au foyer pourrait avoir sur les performances scolaires des enfants. On est donc en droit de se demander, à quoi pouvait-on véritablement s’attendre, si ce n’est à l’échec comme ce fut le cas pour Dany. Que peut-on vraiment copier de noble et d’exemplaire chez une mère qui, quoique battante et soucieuse de ses enfants, consacre une bonne part de son temps à se dépigmenter ? Au regard de tout ce qui précède, on est forcé de reconnaître, même fatalement, que la pauvre Daphy était bien mal partie, l’échec étant ainsi programmé, de façon insoupçonnée depuis la cellule familiale, lieu pourtant par excellence où l’enfant acquiert les premières valeurs sociales. Kelly Yemdji s’emploie à démontrer qu’on a beau être brillant à l’école, tant que le noyau familial n’est pas soudé, rien de grand ne peut être espéré venant d’un enfant qui en sort. Et si à cela on ajoute l’épreuve difficile du harcèlement sexuel des enseignants, tout est donc réuni pour une descente des élèves aux enfers.

 « Le secret de mon échec » de Kelly Yemdji, c’est une virgule, mieux un arrêt, le temps d’une réflexion acerbe non pas sur le métier d’enseignant, mais sur ceux-là même qui le pratiquent au quotidien. L’auteure démontre, non sans le décrier par la même occasion, le mode opératoire en vue de l’obtention de ce titre au Cameroun. Certains, comme messieurs Adjou et Ewolo embrassant ce corps de métier pour d’autres fins constituent dans le roman des contrexemples. Ce sont ces deux en particulier qui sont à l’origine de la chute de l’héroïne, leurs menaces constantes et leur harcèlement sexuel ayant ont eu raison de la pauvre Daphy. Echec et mat.

Mais Kelly Yemdji ne le perçoit pas véritablement comme un échec, car elle présente quelques lueurs d’espoir pour l’avenir. Persuadée que derrière tout échec se cache toujours une sagesse, on est forcé d’accepter qu’on apprend de ses erreurs, et qu’une fois qu’on est tombé, on se relève et marche désormais avec clairvoyance. C’est sans nul doute dans ce sillage que s’inscrit l’œuvre de Kelly dont la lecture peut s’avérer une catharsis pour les personnes confrontées aux mêmes situations.

Au demeurant, « Le secret de mon échec » de Kelly Yemdji est un roman qui relance la problématique de l’éducation au Cameroun. Aussi bien les jeunes que les parents et les enseignants y trouveront leur compte. Les instances de décision ne perdraient rien à se procurer ce réquisitoire équilibré et objectif. Il ne me reste qu’à recommander ce livre à tout amoureux des belles lettres pour une dégustation familiale.

Cyrille SOFEU,

Ecrivain camerounais