C’était parti pour être un mauvais roman. Les enfants de la poubelle n’est sans doute pas un roman pour amateurs d’histoires féeriques, romantiques , de personnages parfaits, heureux, intouchables. Houenou Kowanou n’est pas de ceux qui caressent le lectorat d’intrigues à l’eau de rose. Tout dans l’introduction porte à le croire. L’héroïne, dès le début, avertit le lecteur qu’elle l’embarque pour une aventure difficile: «J’estime avoir peu vécu. Le présent récit est donc pour moi une occasion de continuer à paraître quelq’un quoique je sois pratiquement tombée comme la feuille d’automne» Puis , il y a ce passage « Lorsque j’étais enfant, je rêvais» p.5 qui lance tambour battant les hostilités. Rêver. C’est permis. C’est bien. Il faut rêver. Mais, l’instant d’après, il faut se réveiller pour accomplir ses rêves. Entre rêve et réalité n’y a t-il pas que le pont ténu du réveil ?
Madeleine, innocente adolescente et incorrigible rêveuse, rêvait. De célébrité. D’agrégation. D’une carrière d’astronaute. D’un avenir brillant, hors pair. Elle rêvait d’une vie comme personne n’en avait jamais connu. De tous ses rêves, en plus de celui d’être « vedette des tribunaux», celui qu’elle nourrissait le plus chèrement était de ressembler à sa mère. Fille unique d’une famille monoparentale, elle n’avait pour parent que cette dernière. « Que deviendrais-je, si un jour, maman était mécontente de moi? »p. 37 Jeune, belle, élégante, rigoureuse, travailleuse, inébranlable, invulnérable, c’était son idole, son modèle, sa déesse, son tout. Entre les deux , les relations et la vie à Dallas n’avaient jamais été que belles. Une douce complicité mère-fille les liait, des traits de caractères complémentaires et ressemblants en faisaient des meilleures amies. Tout était beau. Rien ne menaçait de les séparer, d’en faire des ennemies, des rivales. C’est d’ailleurs inimaginable qu’une mère et sa fille en arrivent à devenir des rivales. Seulement, il se passe de drôles de choses dans le Dallas de Houenou Kowanou. L’auteur, prenant en parfait contre-pied le lecteur , nous offre une exorbitante et choquante histoire de rivalité entre mère et fille. Madeleine et sa mère Gabrielle vont devenir du jour au lendemain les meilleures ennemies du monde. Et pour cause ! Une histoire d’amants partagés. L’ambiance ainsi salopée va devenir putride, invivable. Menace. Séparation. Enlèvement. Torture. Traque. Madeleine , fragile et faible, verra le flot de ses rêves se briser contre la grève du destin. Plus que sa mère, elle fera les frais de cet adieu inévitable. Condamnée à l’exil, elle fuira son Dallas natal, l’Amérique de sa naissance pour une aventure forcée, traquée par sa mère qui fera tout pour ruiner le bonheur de sa propre fille. Cap sur l’Europe. Semblant d’accalmie avant la résurgence de la chasse à l’homme. Gabrielle a la rancune tenace. Il faut fuir à nouveau. Le vent de l’exil fera échouer l’héroïne en Afrique. Ici commence pour Madeleine l’African dream. Ici, elle mangera goulûment des morceaux de bonheur, renaîtra, revivra.
« La vie se nourrit d’humeur ; chacun cultive ses périmètres afin d’en récolter des bonnes.»p. 30. Houénou Kowanou est un distillateur d’humeurs. Les bonnes comme les les mauvaises se donnent rendez-vous dans ce roman d’une remarquable beauté. Alliant simplicité et doigté dans le choix des mots, l’auteur parle d’amour, de déception, de trahison, de vengeance, de destin etc… Tout ceci avec une telle finesse dans la narration, une telle précision dans la description, une telle profondeur dans la réflexion. Impossible de s’ennuyer. L’œuvre parue en 1999 aux éditions HDH vous tient en haleine. 252 pages à savourer.
Le lecteur exigent que je suis en voudra peut-être à l’auteur pour l’épilogue inattendu, presque trop facile, et pour des séquences que j’aurais aimé plus développées. Qu’importe. Les auteurs talentueux ont l’art de fourvoyer le lecteur, de le faire s’égarer sur les sentiers qu’eux seuls savent tracer. Houénou Kowanou est incontestablement de ceux-là. En doutez-vous? Lisez Les enfants de la poubelle et vous m’en direz des nouvelles.

Gilles GBETO