Bonjour les amis. Voici l’intégralité de la nouvelle de la semaine du 25 au 30 Septembre 2017 sur votre blog : « L’homme d’affaire »   de Claude  K.  OBOE. Bonne lecture à tous et à chacun en compagnie de  http://biscotteslitteraires.com/.

 

L’homme d’affaire

 

 

Depuis plus de trente minutes, Richard, assis devant son bureau, dans son fauteuil, le seul qui lui restait après qu’il a tout vendu. Il était là, nerveux, réfléchissant, à sa situation. Et cela, il le faisait chaque jour quand il venait au bureau. Sa secrétaire, la jeune Bolouvi, la vingtaine environ et célibataire, était toujours accrochée à son poste presque fantôme, tel un bébé aux mamelles de sa mère. Et pourtant, toutes les conditions de température et de pression étaient remplies pour que le sourire s’épanouît sur les lèvres de tout le monde, mais,… hélas…. Il se souvient de ce jeudi, qu’il qualifie de jeudi noir, de cet après-midi-là, vers 15h. Il était à son bureau lorsque sa secrétaire particulière vint lui annoncer qu’il y avait un homme un peu étrange qui voudrait bien le voir. Il donna l’ordre sans réfléchir outre mesure à sa secrétaire de le faire rentrer illico presto.

  • Bonjour monsieur, comment vous allez ?
  • Je vais bien, merci.
  • Moi, c’est Richard Azanléta. Il parait que vous voudriez me voir ?
  • Oui, oui.

Et il commença à parler à monsieur Richard. C’était un homme un quadragénaire, mais son physique trahissait un peu son âge ; il paraissait plus jeune. Elégamment vêtu, on le croirait s’être rasé le crâne, mais à vrai dire, sa tête avait été victime des atrocités d’une calvitie impitoyable qui mettait en vedette deux oreilles larges comme celles d’un souriceau. On pourrait même se demander comment il pouvait écouter ce qu’on lui disait. Deux yeux gros comme deux des pamplemousses mûres montraient que cet homme devait être important. Il avait un regard sérieux, pénétrant, scrutateur. Soudain, il se leva et se dirigea vers un tableau accroché au mur, derrière le bureau de monsieur Richard.

  • Quel joli tableau vous avez là ?
  • Oh merci. Je l’ai acquis lors de mon dernier voyage à Paris. C’était en fait, un cadeau de l’un de mes amis avocats français. Ce tableau comptait beaucoup pour lui, et pourtant, il me l’avait offert. Il symbolise beaucoup pour moi aussi. Je mourrai et suis capable du pire si ce tableau venait à se perdre ou à se faire voler. Oui, je donnerai ma vie pour ce tableau.
  • Ce simple objet que vous avez derrière vous est si cher et doté d’une valeur telle que vous puissiez vous sacrifier pour lui?
  • Bien sûr, monsieur… qui déjà ?
  • Monsieur Zolémin, je vous en prie. Zolémin Ganzin.

Etrange nom que ce Zolémin, se dit Richard. Mais ce n’était pas le temps de recherche de signification des noms. Il ne savait pas toujours ce que son visiteur cherchait au juste.

  • Bon, je suis à vous maintenant, coupa-t-il. Que me vaut l’honneur de votre visite ?

Le visiteur parla, parla et parla encore, ouvrit sa valise, sortit des documents, insista, téléphona, affirma, confirma. Devant toute cette agitation silencieuse, Richard ne le quitta pas des yeux. Il en était admiratif. A la fin, au bout de quinze bonnes minutes, Zolémin affirma :

  • Voilà monsieur. richard. Je viens de confirmer ce que je pensais déjà. Je suis le représentant d’un groupe chinois basé ici à Cotonou pour l’import-export. Votre cabinet a été choisi pour nous accompagner dans la marche gagnante de notre société en ce qui concerne les procès et autres défenses. En outre, nous importons des motos, des téléphones, des ordinateurs et autres accessoires de marque asiatique. Si vous le voulez aussi, vous pouvez devenir notre associé. C’est une affaire qui marche très bien. Nous vous avons étudié avant de venir vers vous, car votre cabinet a une très grande notoriété.

Richard n’en croyait pas ses yeux. Une grande société chinoise qui a fait des affaires un peu partout, du moins sur le papier!!! Une telle société qui s’intéresse à lui? Voilà un chou gras qui ne saurait offusquer personne. Sans consulter le Conseil d’Administration, Richard accepta et signa tous les papiers. Le représentant, avant de partir, alla encore vers le tableau, le fixa, l’ausculta puis ajouta :

– Finalement, je pense que n’importe qui aurait aimé avoir dans son bureau ce tableau. Tout est donc permis, conclut-il.

Richard ne comprit pas tout de suite cet intérêt soudain qu’eut le visiteur pour son tableau, il était trop préoccupé par l’affaire qu’il venait fraîchement de conclure. Il se dirigea au comptoir après le départ de Zolémin et demanda à sa secrétaire de faire sortir un vin de la cave qu’il a installée au service. Ils burent tous deux et fêtèrent cette sublimissime réussite. Le soir même, la fête se termina dans une chambre d’hôtel après un passage dans une boîte de nuit très prisée de Cotonou, où se rendent vieux et vieilles à la recherche d’une seconde jeunesse, des jeunes à la recherche d’une confirmation d’identité perdue, et quelques adolescents, que leurs corpos trahissent, à la recherche d’une maturité précoce.

Les jours qui ont suivi cet accord, Richard prit à bras le corps cette affaire, dépensa et se dépensa. Dans l’accord, il enverrait ce qui lui revenait et la société ferait le reste. Comment pouvait-il se douter un seul instant qu’il y avait anguille sous roche ? N’était-il pas écrit noir sur blanc que c’était un accord valable et qu’il pouvait l’exhiber partout où besoin sera ? Chaque fois qu’il envoyait l’argent, il recevait une confirmation de la part de la société et de la banque chinoise.

Mais coup de tonnerre. Trois mois plus tard, ayant envoyé la totalité de son argent, il constata en consultant le compte, que non seulement plus rien n’y était, mais encore et surtout, tous les numéros, les adresses mails et autres données s’étaient volatilisés purement et simplement comme s’ils n’avaient jamais existé. Après moult tentatives, Richard n’obtient rien. Rien. Il rechercha le salaud qui l’avait convaincu pour l’accuser. Mais plus il cherchait dans sa tête, plus il se rendait compte que c’était lui-même. Il ne réussit jamais à se le pardonner. Plus de 850.000.000 million de francs CFA envolés. Et sans trace. Tous les papiers et autres reçus tenus ne servaient plus, car impossible de les tracer. C’est juste que du papier. Pur papier, comme ceux qu’utilisent les bonnes dames aux abords des voies en vendant des beignets et autres ignames frites. Il aurait voulu les leur donner pour oublier cet épisode, mais il les gardait sans savoir au juste pourquoi.

Voilà près d’un an que Richard était en faillite avec son cabinet, ou presque. Il avait donc traité d’une affaire sérieuse –du moins, le croyait-il –  avec une société chinoise. Malheureusement, cette affaire ne fut pas concluante. Il avait été purement et simplement arnaqué puisqu’ayant donné sa part, le son soi-disant représentant du groupe chinois avait fui avec la totalité de la somme. Toutes les recherches avec le concours de la police pour le retrouver furent vaines.

Depuis, le poids était lourd. Les  conséquences très graves. Sa femme Akwavi, avec qui il était marié depuis plus de dix ans, ne faisait pas grand-chose comme travail. Elle fut secrétaire de direction dans une société, mais très vite, abandonna car ne supportant pas la pression. Son patron était trop gros et très vilain pour lui donner des ordres ; les employés n’étaient pas du tout aimables, et pire, les chefs de sécurité de la société n’étaient pas alphabètes. Elle ne peut donc supporter autant d’humiliation. Elle le fit savoir à son mari, qui, ne réussit point avec l’aide de ses amis, à la dissuader d’abandonner.

  • Le temps est dur pour trouver du travail, et un bon travail, lui dit son mari, excédé.
  • Ecoute chéri, je ne peux pas m’abaisser et regarder cet homme, qui est mon patron et qui n’a que le bac me donner des ordres.
  • Comment ?, lui dit Richard.
  • Oui, tu as bien écouté. Il n’est pas comme toi. Lui, il n’a même pas fait les études universitaires ; il n’a pas eu sa maîtrise ; il n’a pas poursuivi les études ; il n’a jamais été major de sa promotion, et, tu sais quoi encore?, il a une belle femme, trop belle pour elle. Elle habite une belle villa, roule dans une grande Mercédès Benz, va dans les salons de pédicure-manucure deux fois par semaine. Se faire chercher par lui, à circuler en sa compagnie bras dessus bras dessous, au vu et au su de tout le monde. Les femmes, je ne les comprends même pas. Comment une femme si belle et élégante comme Doriane, la femme de mon patron puisse s’attacher à un homme, de surcroît, un ivrogne comme cet ….
  • Arrête. C’est de ton patron tu me parles, et c’est un homme. Il n’a pas que le bac, c’est vrai. Il est vilain, c’est vrai. Tu as même oublié, il est aussi alcoolique. Mais dis-moi, en quoi tout cela te dérange ? Tu es là pour travailler, faire ce qu’il te demande et percevoir ton salaire à la fin du mois. Un salaire que tu ne mérites même pas, puisque tu es surpayée. Alors, ne viens pas te plaindre, à moins qu’il y ait quelque chose que je ne maîtrise pas ou que je ne sais pas.
  • Pardon ?
  • Oui, à t’entendre, on dirait que… tu es jalouse.
  • Moi, jalouse ? De qui ? Pourquoi ?
  • C’est ce que je voudrais bien que tu m’expliques, parce que je ne comprends pas ce dédain que tu as pour lui, à moins que cela ne soit de l’amour.

De l’amour ? Tu rigoles j’espère. Je suis contre ces hommes qui ne font pas assez d’études et qui gagnent suffisamment leur vie. C’est encourager la paresse scolaire et montrer à tout le monde qu’on peut ne pas évoluer à l’école, ou qu’on peut abandonner et devenir riche.

 

Richard partit d’un éclat de rire, tellement heureux d’avoir entendu sa femme déblatérer sans raison, et coupa net.

  • Attends, attends un peu. Toi-même qui me parles des gens qui réussissent leur vie sans un grand diplôme, tu oublies que tu as été au BEPC trois fois dans ta vie et cela n’a jamais marché, non ? Et que j’ai réussi à te faire engager dans cette société parce que nous avons trafiqué ton diplôme. Nous avons fait croire que tu as le niveau bac, alors que tu sais bien que tu n’as jamais mis pieds au second cycle. Comment peux-tu d’ailleurs le faire, puisque non seulement tu as échoué à obtenir ton BEPC, mais aussi et surtout, malgré les trois fois que tu as fait la classe de 3è, tu n’as jamais réussi à obtenir une moyenne supérieure à 7. La première fois, tu as eu 4,33 comme moyenne. Tu avais dit que c’était à cause de ta maladie en début d’année qui n’a duré qu’une semaine après les cours. Ta deuxième année en 3è, tu as eu 6,74 et la dernière année que tu as faite dans une autre école, puisque tu fus exclue de la précédente, tu as réussi l’exploit d’obtenir une moyenne inférieure à toutes les deux moyennes. Tu n’es eu que 4,27 comme…
  • Assez, je ne veux plus qu’on en parle. C’est un moment douloureux de ma vie. Je ne veux pas y penser.
  • Tu vas y penser kaka [1], car autant tu prends du plaisir à mal parler des autres, autant tu dois être heureuse que je te rappelle ton passé. La vie n’est pas que rose, et c’est très facile de critiquer les autres. Tu aurais dû t’analyser avant de sortir les mots de ta bouche pour éviter de créer autour de toi des maux. Je n’aime pas trop qu’on diminue des gens qui se sont battus pour réussir leur vie et dans leur vie, sachant bien qu’on n’est même pas meilleur qu’eux. C’est à cause de ces bavardages que notre pays n’évolue pas et refuse le décollage économique. Ils sont nombreux, ces soi-disant moralisateurs à parler des autres à longueur de journée ; les autres qui font au moins l’effort de gagner leur vie à la sueur de leur front. Et pourtant, eux-mêmes sont les pires paresseux du monde. il faut que les choses changent. Il faut que le monde change.

Cette nuit, la tension fut au paroxysme dans la maison. Akwavi ne pardonna point à son mari de l’avoir si rabaissée. Elle alla se coucher dans la chambre d’amis, abandonna son mari seul dans le lit conjugal. Ce dernier ne se plaignit point. Au contraire, il était heureux d’avoir dit à sa femme ses quatre vérités. Pour la première fois, il dormit tranquille, le cœur libéré

 

Les jours qui ont suivi cet épisode, malgré les nombreuses tentatives à lui trouver du travail, elle était restée sur sa position. La raison évoquée ? Ce travail n’était pas fait pour elle. Elle valait mieux que cela. Du coup, elle devient une femme au foyer sans travail. Richard s’évertuait à la nourrir comme une sangsue, accrochée à sa victime. Elle n’avait pas voulu changer son train de vie, ce qui était très difficile pour son mari, à cause de la faillite de son cabinet. Il n’avait pas réussi à payer ses employés et beaucoup étaient partis trouver du travail ailleurs. Sauf, quelques-uns, qu’on pouvait compter au bout des doigts, sont restés.

Abdou Serpos Tidjani a écrit que c’est dans le malheur qu’on reconnait ses vrais amis. Mais au fond, peut-on parler réellement d’amis quand il s’agit du gain que l’on gagne à la sueur de son front ? Surtout quand on sait que ce gain se gagne difficilement et que ni de près ni de loin, on n’est mêlé en rien de rien ? Aucune compagnie ni société ne faisait plus confiance au cabinet de Richard. Il avait beau chercher, rien n’y fit. Tous les matins, il sortait de la maison comme un bon citoyen normal qui va au service, et qui peut attendre à la fin du mois son salaire. Sa femme lui demandait chaque fois de lui ramener quelque chose du service à croquer la nuit. Richard se résigna et accepta la situation. Il fallait tout faire pour que le bonheur soit à la maison, ce qui passe aussi par ramener de l’argent. Il ne se fatigua pas à chercher du travail, des gens à défendre. C’est ainsi, qu’il vit après plusieurs tentatives, dans un journal ce matin-là, une annonce. Un client cherchait un avocat qui allait le défendre. Il prit rapidement son téléphone et appela. Cela sonna occupé. Il insista jusqu’à satisfaction. Au téléphone, il parla, parla, et parla encore pour expliquer, défendre et convaincre. La réponse de l’interlocuteur  semblait favorable. Il était sur le point de conclure une affaire de 30 millions. C’est en ce moment-là que son téléphone portable sonna. C’était sa femme qui l’appelait. Il s’excusa pour quelques secondes auprès de son correspondant pour seulement dire à sa femme qu’il va la rappeler. Il décrocha le téléphone et sa femme était tellement contente. Elle lui dit  de revenir rapidement à la maison car elle avait une grande surprise pour lui. L’homme dit à sa femme qu’il ne le pouvait pas maintenant parce qu’il était en train de conclure une affaire énorme. Elle le supplia de revenir car ce qu’elle avait pour lui est plus énorme que cette affaire. Après quelques minutes de discussion avec sa femme, il raccrocha le téléphone et  rappela le client  pour lui demander pardon de cette interruption soudaine dans les négociations…

 

 

Après quelques minutes, le client le rappelle et lui dit qu’il vient de conclure l’affaire avec un autre … Il  sera donc défendu par un autre avocat qui a accepté 43 millions. Richard faillit tomber à la renverse. Il déposa  le téléphone et rentra rapidement à la maison pour voir la surprise de sa femme car il a déjà manqué l’autre affaire. A son arrivée, il vit sa femme qui jouait de la musique dans la maison toute très contente. Étonné, il lui demanda si enfin, elle a réussi à tomber enceinte. Sa réponse fut négative.

  • Est-ce que tu as gagné à la loterie pour nous sortir enfin de cette situation dans laquelle nous sommes depuis un bon moment, parce que tu m’as gâché une affaire très importante.
  • NON, je n’ai pas gagné à la loterie. Mais c’est mieux que cela…
  • Alors dis-moi ce qui est de si important pour que tu me ramènes à la maison.

Elle demanda  à son mari de le suivre dans le garage. Arrivés au lieu, elle sauta de joie en criant…

  • Je t’avais bien dit que ce médicament que j’avais acheté va tuer le rat qui était en train de nous déranger dans le garage. Le voilà qui est mort après qu’il nous avait dérangé pendant un mois. C’est  pour cette raison que je t’ai dit de tout laisser pour que je t’annonce cette bonne nouvelle. Je suis trop contente. Enfin, on peut dormir tranquillement dans cette maison et respirer mieux.

Richard  tomba évanoui sur le champ. On le transporta d’urgence à l’hôpital.

 

Claude Kouassi OBOE

[1] Néologisme qui veut dire tu vas y bien penser.