Mon conte roule, roule et tombe sur la musaraigne. La musaraigne vivait en parfaite harmonie avec les autres animaux. En ce temps-là, elle ne sentait pas mauvais, elle ne rasait pas les murs. Elle n’était pas non plus flanquée de l’horrible museau qu’on lui connait aujourd’hui. Certes, elle ne pouvait rivaliser en grâce et en charme avec le héron, la gazelle, le colibri, le perroquet qui étaient d’une beauté sublime, féérique. Mais, comme la tendance était de se préserver au maximum, la musaraigne s’employait aussi à faire briller sa beauté qu’elle pouvait vanter devant les rats, les agoutis, les lapins et les chiens. Il faut le reconnaître, la musaraigne était d’une sveltesse que mettaient en exergue ses jolis poils et frêles pattes.si elle avait de petits yeux, ses oreilles étaient enviées par le lièvre et par l’hyène son parfum. Elle n’avait qu’une préoccupation, travailler et se faire de l’argent afin de veiller à sa toilette et aux besoins des siens. Et tous les animaux pouvaient le confesser: la belle musaraigne n’avait jamais de problème avec personne, toujours calme dans son coin, laborieuse et discrète. Et pourtant la communauté lui reprochait de ne s’intéresser qu’à elle même et à son papa dont elle n’était que la fille unique.

La musaraigne n’était pas du genre à trop collaborer avec les autres. Cela était peut-être dû au fait qu’elle a perdu sa mère à sa naissance et qu’elle n’avait de famille que son père. Elle n’avait ni oncle, ni tante, ni cousin, ni neveux, ni nièce. Tous avaient fait naufrage un jour qu’ils se rendaient dans leur village natal. La musaraigne avait survécu parce que son père avait suggéré qu’ils fissent la route à pied. De toute façon, elle a grandi seule auprès de son papa, sans ami véritable. A plusieurs reprises, elle avait trouvé un argument pour ne pas s’associer aux autres lors des événements d’envergure communautaire et sociale.

Un jour, le rat l’invita à la cérémonie de sortie de son fils. Mais musaraigne avait déjà un programme: « Je dois, demain, dit-elle, me rendre au marché pour les affaires. A cause de cela, je ne puis honorer l’invitation ». Un autre jour, le charognard l’invita au mariage de sa fille. Mais la musaraigne avait déjà des engagements : «  Je dois me rendre demain, dit-elle, à une rencontre familiale dans le village voisin. Et pour cela, je ne pourrais honorer de ma présence cet événement « .

La vie suivait son cours. Il advint que vers la fin de l’année, le lion perdit sa belle-mère. Grand émoi dans la communauté des animaux. Agitations et remue-ménages. Toute la communauté était en effervescence. Des cotisations furent lancées. Des dons en nature et en espèces furent convoyés au domicile du lion. L’éléphant était chargé de diriger les obsèques. On lui adjoignit le lièvre et le papa de la musaraigne. Alors que toute la communauté s’était mobilisée pour entourer le lion lors de cette épreuve douloureuse du décès tragique de sa belle-mère, la musaraigne devait prester dans un village pour un concours de beauté où la lauréate devenait automatiquement l’épouse du roi. Elle ne réfléchit pas longtemps avant d’abandonner les siens pour aller à la conquête de son destin. Elle tenait à remporter à la fois la couronne de la beauté et celle de la nouvelle reine que le roi s’apprêtait à introniser.

Le soir de son départ, personne ne sut ce qui s’était passé, on trouva son père mort dans son lit. On dépêcha le lièvre pour la rattraper et lui porter la nouvelle. De retour à la maison, toute abattue, la musaraigne sollicita l’aide de la communauté. Personne ne voulut l’aider. Les rats et les agoutis, de la caste des fossoyeurs, ne lui firent pas bon accueil. Toute la communauté s’entendit pour ne pas lui venir en aide. Personne ne voulut l’assister. La musaraigne, dans ce cas, devait s’occuper toute seule des funérailles de son papa.

Le village avait une tradition sacrée: on n’enterrait les cadavres que dans la montagne. La musaraigne, désemparée, chargea sur ses épaules le cadavre de son père. Après deux jours de marche, il rencontra un forgeron qui voulut bien lui rendre service en aiguisant ses serres et en rendant pointu son museau afin qu’elle puisse s’en servir pour creuser la tombe de son papa.

Elle continua son périple, traversa monts et vaux, savanes et steppes, sous le soleil et sous la pluie. Le sanglier la rencontra et changea de direction. L’éléphant la vit et détourna sa tête. L’aigle et le charognard du haut du ciel l’aperçurent et se moquèrent d’elle. L’hyène la vit et péta fort avant de s’engouffrer dans la forêt sans daigner lui accorder son attention. Avant d’atteindre la montagne où avaient lieux les enterrements, la musaraigne avait compté douze jours. Le cadavre était devenu de la charogne et sentait tellement mauvais que tout l’être de la musaraigne fut imprégné de l’odeur fétide qui en émanait.

C’est depuis ce jour-là que la musaraigne a un long museau et sent mauvais. Elle ne pouvait plus rentrer dans la communauté des animaux en plein jour. Elle se jeta dans le torrent, s’y lava durant des jours et des jours. Rien n’y fit. L’odeur était toujours présente. Elle vendit tous ses biens pour s’acquérir les plus odoriférants parfums et essences. Rien n’y fit, l’odeur était toujours là. Elle se fit raser tout le corps. Les poils poussèrent et l’odeur devint davantage fétide. La musaraigne était huée de partout, persiflée de tous. Elle était obligée de raser les murs. Elle dut même abandonner le domicile paternel pour se livrer à l’exile.

Ce qui lui était arrivé dissuada les autres animaux qui nourrissaient le vœu secret de vivre dans l’indifférence vis-à-vis de la communauté. Tous comprirent que la vie communautaire est sacrée et que vivre solitaire n’est pas toujours la solution.

 

Destin Mahulolo