Parfois dans la vie, ce sont les innocents, des personnes qui ne connaissent rien de rien, qui reçoivent malheureusement les coups mérités par les vrais coupables. L’euphémisme les classe dans la catégorie des « victimes collatérales », « victimes innocentes ». Et pourtant la justice voudrait que chacun soit traité selon ses œuvres, qu’on soit blanc, jaune, rouge ou noir. Blaise AKPLOGAN, dans son chef d’œuvre  » Les noces du caméléon » sans détour ni faux-fuyant, remet à l’ordre du jour, la sempiternelle question des préjugés raciaux, question prétendue rangée dans la nuit des débats qui font frémir plus d’un sans que personne monte à l’assaut de ces barrières que le mépris a dressées entre les hommes, les éloignant les un des autres, les rendant suspects les uns pour les autres :  » Dans quel monde sommes-nous pour que les différences de couleurs apparaissent comme un handicap à l’évolution de l’humanité ou au développement ? En posant comme prédicat que l’action l’emporte sur la réaction, l’auteur penche pour la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave en affirmant d’emblée que la seule couleur qui vaille est celle de la nature humaine qui se veut la chose du monde la mieux partagée. Ainsi déduit-il que chacun est appelé à s’épanouir dans sa culture et mener le combat de la vie en ayant présent à l’esprit que le mépris de l’autre est le déni de soi-même. Pour ce faire, il plante un décor qui nous plonge dans cette dualité modernité-tradition, laissant jaillir une multitude d’interrogations qui se résolvent au fil des lignes de son roman : « Doit-on continuer à croire encore en ce XXIème siècle à la magie, au voudoun ? Du rêve à la réalité, existe-t-il vraiment une énorme distance ? Ou ne serait-ce qu’un pas seulement ? Ou même, le rêve n’est-il pas une réalité ? ». De toute évidence, François Bomec, malheureux héros du livre, l’apprendra à ses dépens.

De nationalité française, lui, François Bomec, homme de peau blanche, raciste par dessus le marché, foncièrement haineux à l’endroit des noirs, se prépare à son mariage avec Caroline. Un fait trivial change le cours de son existence. Il fait un rêve cauchemardesque dans lequel il s’était vu transformé en noir. Ce n’était qu’un rêve. Cependant, une fois réveillé, grande fut sa surprise de constater dans son lit, qu’il était vraiment un homme de peau noire : un Nègre. Il se voyait couvert de cette peau qu’il avait tant en horreur. Mais en réalité, il venait de subir un sort de la part du Dahoméen Bonou-Lo, qui voulait se venger de Monsieur Lemer (directeur de François), et de l’Abbé Vidal, suite à l’affaire Kovacs. En effet, Bonou-Lo avait été accusé d’escroqueries, puis écroué à Fleury Mérogis en prison. Il n’a jamais digéré cette situation, Pour faire chanter ces bourreaux, il prit François comme son caméléon et le rendit Nègre pour quelques jours. Méconnaissable et méprisé de tous, surtout sa belle-famille, qui d’ailleurs n’aimait pas les Noirs, il va errer longtemps et longtemps à la recherche de sa peau blanche. Mais un jour, il fut informé au téléphone par Bonou-Lo du rituel à faire pour redevenir blanc. Mais dans sa solitude, François va commettre l’irréparable : coucher avec Héléna, une américaine qui, pourtant l’avait renié quelques années plus tôt. Ils sont surpris en pleins ébats sexuels par Rumi, mari de Héléna, un Indien fraîchement sorti de prison. Ce dernier décide de se venger…

Le roman « Les noces du caméléon » (Editions l’Harmattan, Collection Encres Noires, mars 1996,196 pages) est un livre plein de rebondissement, d’actions fulgurantes et de péripéties à couper le souffle. Un livre où se sont donné rendez-vous haine, racisme, méchanceté gratuite, règlement de compte, injustice et mépris de l’autre, pour faire vivre au lecteur les tragédies subies par ceux qui sont exclus et catalogués comme fils du diable, du simple fait qu’ils sont de la race noire. Un livre où le vaudoun s’exprime et fait comprendre, entre les lignes, qu’il n’a pas encore dit son dernier mot et que l’histoire de l’humanité ne peut plus s’écrire sans lui.

Cette œuvre du Béninois Blaise APLOGAN, né en 1951à Porto-novo, mathématicien et sociologue, est une fresque sociale qui met en exergue la nécessité pour l’africain d’aller au-delà de ses limites et de briser les verrous de tous les complexes où il s’est longtemps claquemuré pour prendre sa place sur l’échiquier international où se joue tout le drame de l’humanité entière. La clarté du style jointe à l’exactitude dans le choix des mots tient le lecteur par la main et le conduit sur les sentiers tracés par l’auteur. L’œuvre est plaisante, dynamique et assez profonde. La lire c’est renouer avec ses propres racines pour pouvoir se positionner face à l’histoire.

Kouassi Claude OBOÉ

 

  1. Ce roman vaut la peine d’être lu. Blaise Aplogan possède l’art d’entretenir et de dénouer les suspens au grand plaisir du lecteur….