Noël saignant

Les rues n’avaient jamais été aussi propres. De si géantes guirlandes, Akpavi n’en voyait pas tous les jours. Il savait que les jours à venir seraient différents des autres. La fête était déjà là, et lui, Akpavi, n’avait pas encore cousu le pagne choisi pour Noël. Il savait qu’il ne pouvait à cet effet compter ni sur son papa prématurément admis dans la catégorie des hommes hors d’usage, ravagé par un alcoolisme sec, ni sur sa mère frappée d’hémiplégie suite à un Accident Vasculaire Cérébral (AVC) au début de ce mois de Décembre quand on lui annonça que sa fille unique avait trouvé la mort après avoir tenté de se faire avorter. Il convainquit son frère Sardine de quitter les classes pour le suivre  (ce dernier avait volé une boîte de sardines et le nom lui fut donné comme un trophée). Le duo résolut de prendre soin de leur mère et de se coudre le tissu choisi pour Noël.

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Ils s’étaient fait embaucher comme manœuvres sur un chantier de construction. Ils travaillèrent dur, plus qu’il n’en fallait pour leur âge. Afou, le patron, qui avait promis de les payer leur dit qu’il était désolé de ne pouvoir le faire. Les deux frères ne touchèrent rien. Inconsolables, ils rentrèrent tout tristes et dormirent à jeun. Le lendemain, Akpavi alla faire le pied de grue devant la maison d’Afou d’où lui parvenaient les cris de joie et les senteurs des repas de fête. Il pleura de ne pouvoir vivre ces instants. La femme d’Afou eut pitié de lui et lui donna un sachet de gari et quelques vivres pour la fête. Il rentra moins malheureux. Il mit un peu de gari dans l’eau et se rappela qu’il devrait l’accompagner avec l’amende de coco. Il laissa sur la terrasse son bol de gari. Sardine était couché sur la terrasse, sournoisement sourd à l’invitation de son frère d’aller se servir un peu de gari pour tromper la faim le temps qu’ils préparent le repas. En revenant de la chambre avec une noix de coco et un coupe-coupe, il remarqua que l’eau qui surnageait le gari et qui le faisait saliver avait miraculeusement disparu. Il aperçut à côté Sardine qui se lapait les lèvres, souriant. Qu’il prît le gari, cela l’eût moins énervé. Mais cette eau savoureuse!… Vra! La machette atterrit sur sa tête. Le sang gicla. Sardine était étendu par terre. Cris. Panique. Leur mère ne put supporter le choc. Son cœur lâcha. Les voisins accoururent. On mit la main sur Akpavi. Il fut transféré à la gendarmerie, puis en prison où il passera sa Noël…

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Vingt ans plus tard, Akpavi était libéré. C’était un 24 Décembre. Radio Hodonou l’avait relayé. Il pouvait fêter Noël avec son père qui avait arrêté de boire depuis le décès de sa femme. Dès qu’il aperçut Akpavi de loin, il courut à sa rencontre. Les deux, dans leur étreinte, tombèrent. Le père se brisa les côtes et le crâne contre une pierre. Sacrée Noël.

 

Destin Mahulolo

  1. La Noël a donc une couleur principale, celle de la joie dans les coeurs. Si cette nouvelle nous montre un revers moins heureux, sûrement parce que nous devons faire attention aux circonstances environnantes qui pourraient nous éloigner de la couleur de gaieté de cette fête. Juste un rien du tout comme l’eau de gari peut nous faire perdre notre joie de Noël. Faisons attention. Merci. Joyeux Noël