« Les ancêtres disent que la vérité est courte mais, sɛbi, si l’histoire est mauvaise, alors même la vérité va s’étaler comme un crapaud écrasé par une voiture sur une de ces routes qu’ils sont en train de construire. » Amoureux de l’humour, du rire à en mourir, ceci est pour vous. Vous qui aimez que l’auteur soit original dans son style, qu’il tropicalise à sa guise la langue du colon, vous y trouverez aussi votre part. Car « Notre quelque part » n’est pas qu’un roman. C’est une architecture de pensées originales et d’intrigues savamment harmonisées. A la vérité, NII AYIKWEI PARKES, dans ce livre nous fait découvrir les profondeurs et les trésors linguistiques et lexicographiques de son Ghana natal. Ici l’Anglais et la langue maternelle de l’auteur se mesurent l’un à l’autre pour, entre les lignes, mettre en relief les tensions qui existent entre les différentes composantes de la pyramide sociale ghanéenne. Kayor jeune médecin légiste après ses études à l’étranger, en Angleterre, rentra au bercail où vainement il tente décrocher un poste à la police nationale de son pays afin de mettre son savoir au service de la nation. Mais les réalités socio-politiques de sa terre natale lui feront comprendre qu’il vaudrait mieux pour lui qu’il fasse valoir sa science ailleurs. Un service privé lui ouvre tout de même ses portes. Alors qu’il y exerçait tranquillement son métier, voilà qu’une découverte étrange vient bouleverser le cours de son existence : « Eï, les choses étonnantes ne cesseront jamais. Les gens disent qu’il n’y a rien d’autre que ce qu’on voit, mais il est vrai aussi qu’il n’y a rien d’autre que ce qu’on ne voit pas. » Il s’agit de la disparition d’une personne et la découverte d’une chose étrange et puante dans une case abandonnée, celle de Koffi Atta dans le village du vieux Yao Opokou, intrépide chasseur et grand buveur de vin de palme devant l’Eternel. Cette découverte alerta la police et il fallait les interventions -la signature d’un expert- d’un spécialiste pour savoir quelle suite donner à l’affaire. Voulant vaille que vaille une issue à ce dossier qui lui garantirait bien de choses au niveau de la hiérarchie, l’inspecteur Donkor usa les moyens pour attirer le jeune Kayor et lui faire intégrer son équipe. Il travaillera occasionnellement avec la police en attendant que la promotion de l’inspecteur ne lui garantisse un emploi. Ceci lui permettra la connaissance de Sonokrom où ne réside qu’une douzaine de famille. L’accueil, contrairement à celui des collaborateurs de la police, fut chaleureux. Les quelques jours qu’il passera lui feront découvrir les valeurs dont regorgent ses origines mais aussi les limites de sa science « importée ». Il se rendit à l’évidence que : « Les lois des livres et le pouvoir des fusils n’enseigneront jamais les manières de faire avec les humains ». Des suites de l’histoire que lui raconte le vieux chasseur Opoku, il finira par avoir « son idée » de la situation sans toutefois être sûr de ce qu’il fournira comme rapport à l’inspecteur qui ne veut juste que sa signature pour crier aux yeux du monde qu’un travail sérieux avait été fait, afin de bénéficier des grâces du ministre. Yao Opokou avait été clair avec lui au départ : « « Ah. Peut-être c’est ça l’histoire que tu cherches. Mais ce n’est pas moi qui peux te dire si c’est vrai. Je te raconte une histoire seulement. Sur cette terre ici, nous devons bien choisir quelle histoire nous allons raconter, parce que l’histoire là va nous changer. Ça va changer comment nous allons vivre après ». Dans ce livre joyeux et plaisant où modernité et tradition se donnent la main et où la corruption et les bassesses des pouvoirs publics sont mises à découvert, NII AYIKWEI PARKES fait cohabiter le roman policier et le conte traditionnel. A la vérité, Yao Opokou, dans le dessein d’instruire Kayor des tenants et aboutissants de l’histoire dont il cherche à dénouer l’énigme, lui raconte l’histoire du village dans un style décapant et tout titubant caractéristique de la démarche des buveurs de vin de palme où baigne justement tout le livre. Nul ne peut sortir de ce livre sans en emporter le suave goût du « revenez-y », surtout quand on voit avec quelle agilité et quelle dextérité l’auteur taille la parole, sculpte le verbe et engendre l’idée, comme c’est le cas dans cet extrait :  » Elle portait une façon de jupe petit, petit là. Et ça montrait toutes ses cuisses (…) mais les jambes de la fille étaient comme les pattes de devant de l’enfant de l’antilope – maaaigre seulement! (…) Son chauffeur portait kaki de haut en bas comme les colons d’en temps d’avant… ». « Tu sais, nos femmes peuvent choisir elles-mêmes leurs maris. A condition que les parents soient d’accord ». « Nul ne doit se détourner de l’éléphant pour aller lancer des pierres au petit oiseau ». Ce livre est beau. Si sa traduction française parue aux Editions Zulma en 2016, procure autant de bonheur, qu’en sera-t-il de la version originelle anglaise ? Amoureux du Beau et du Bon, à vos marques, ….

Gervais DASSI