« Il n’y a pas de petite querelle » Amadou Hampâté Bâ

«Oh chien ! Combien tu avais raison ! Si seulement je m’étais occupé de cette querelle de lézards, aujourd’hui on ne me sacrifierait pas » page 22.
Ainsi pourrait se résumer le premier conte – éponyme – de ce recueil de 13 contes aux intrigues les unes aussi pleines de couleurs que les autres, emplis d’hilarité et de joyeusetés, mais aussi des contes qui, comme nous le savons, particulièrement en Afrique, revêtent des symboles ou images qui une fois décodés, égrenés, deviennent des leçons de vie, des sujets de méditation, selon que l’on se trouve à un niveau de l’échelle de l’existence humaine.
L’auteur de ce recueil de contes n’est plus à présenter. Pour le lecteur lambda, c’est l’homme à la parole immortelle : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Point barre. Par contre, pour qui s’attarde un peu sur la chose littéraire, Amadou Hampâté Bâ est ce qu’on pourrait appeler une oasis, un émérite dans le monde littéraire africain mais aussi un engagé. Engagé donc dans la défense de la tradition orale noire, notamment peule, l’homme aux 17 oeuvres immortalise ici, à travers les entre lignes de ce recueil de 13 contes, aux proportions inégales en termes de volume, ce qu’il appelait lui-même : « une véritable pédagogie orale », ou encore la « parole vivante qui nous vient des ancêtres ».
« Il n’y a pas de petite querelle » est donc un recueil de contes, peules et parfois non peules – l’origine de ceux-ci étant donnée par l’auteur à la fin- où gît la parole des ancêtres qui comme nous savons est telle une sentence.
Dans le premier de ces 13 contes, l’auteur réprouve certaines attitudes de l’homme qui reste insensible, impassible aux conflits, minimes soient-ils, qui ont lieu autour de lui, et dont il a la possibilité d’atténuer l’ampleur voire de les stopper. Les personnages de ce premier conte payeront bien le prix de cette indifférence, le prix cher de surcroît : leur vie.
Voici donc l’histoire :
Partant pour un voyage de quelques jours, le maître de maison confie aux bons soins de ses animaux – bouc, coq, boeuf, cheval et chien – sa mère malade. Le chien, docile aux injonctions de son maitre suivit les instructions de ce dernier en appelant successivement, le coq, le bouc, le boeuf, puis le cheval, pour qu’ils arrêtent une querelle de lézards qui avait lieu dans la chambre de la mère du maître de maison, puisque lui, le chien, conformément aux injonctions du maître, se devait de garder l’entrée de la concession qu’il ne devait point quitter. Nos chers animaux, infatués d’eux-mêmes, de leur statut, n’écoutèrent pas le chien, se voyaient diminuer à faire une telle besogne et prétendaient même qu’une querelle de lézards pour une mouche morte ne serait guère préjudiciable à qui que ce soit. La providence voulut qu’il en soit autrement : bientôt, nos deux lézards feront voler en éclat la lampe à huile qui enflammera la moustiquaire sous laquelle dormait la mère du maître. On réussit à éteindre le feu, mais la mère en sortie grièvement brûlée. Le guérisseur demanda pour la soigner du sang de coq. Rien ne fit, puisque l’instant après la prise du remède au sang frais du coq, elle succombe. Le cheval servi de moyen de transport pour avertir le maître. Harassé d’un jour entier de course, le cheval tombe mort. Le bouc servi de repas aux personnes présentes à l’enterrement et le boeuf de restauration pour les prières du quarantième jour. Seul le chien sorti indemne et en se délectant du reste de ses malheureux amis. La leçon de ce premier conte est claire: l’individualisme, l’orgueil ne mènent qu’à la perte. Une vie sociable, d’entraide, de recherche de la paix, est toujours mieux.

Hélène Heckman exécutrice testamentaire littéraire d’Hamadou Hampâté Bâ commente :
« Dans certains des contes présentés ici, les «mentons velus et les talons rugueux » – ce qui englobe les gens de réflexion et d’expérience de tous âges et de tout sexe – reconnaîtrons sans peine des thèmes «individuels» tels que l’ingratitude (L’homme et le crocodile) , la méchanceté gratuite (La coépouse bossue), la suffisance religieuse menant à l’exploitation d’une population crédule ( Le marabout trop gourmand) , mais aussi la persévérance, la fidélité et l’amour ( Le chapelet d’or) – alors que d’autres contes stigmatisent certaines tares ou faiblesses de la société humaine de tous les temps : danger de l’indifférence individuelle ou générale devant un conflit modeste car « il n’y a pas de petite querelle, comme il n’y a pas de petit incendie » ( La querelle des deux lézards) ; ridicule du pouvoir despotique quand celui-ci s’isole et prétend n’avoir besoin du conseil de personne ( Le roi qui voulait tuer tous les vieux), dangers de l’aveuglement religieux et du fanatisme en général ( La mare aux guenons, où l’on retrouve l’écho, à la fin, de la pensée de d’Amadou Hampâté Bâ). Quant au conte final, « Le cadavre de Hyène-Mère » ( pastiche jubilatoire d’un «procès de Haute Cour royale» créé et développé par Amadou Hampâté Bâ à partir d’un petit conte traditionnel ), il pourfend avec humour désopilant la prétention des «puissants » à exercer la justice au profit des seuls «gros et gros du régime ».
Il n’y a pas de petite querelle est un recueil posthume de contes qui s’étale sur 156 pages. Il est réalisé par Hélène Heckman exécutrice testamentaire littéraire d’Amadou Hampaté Bâ et publié en 1999- 2000 aux Éditions Hock.

Roméo Sessi Deka.