Mon conte roule, roule et tombe dans le village natal du bon Dieu, Mawu Sègbo Lissa. En ce temps là, les animaux comme les hommes étaient des amis et aucun parmi eux ne rampait. Trois modes de locomotion étaient pratiqués : la marche, le vol et la nage. Au village natal de Mawu Sègbo Lissa , les hommes pouvaient prendre femme dans le rang des animaux et  des animaux pouvaient prendre femme dans le rang des oiseaux. Bien plus, une femme pouvait avoir comme coépouse une lionne, une grenouille ou un phacochère. Les petits des hommes et ceux des animaux mangeaient dans la même assiette. La panthère pouvait garder les enfants de la biche pendant que cette dernière était au marché ou au champ. Dans le village natal du bon Dieu, tout était permis, sauf épouser la femme de son frère. On pouvait en prendre autant qu’on voulait, pourvu qu’on ne cocufie pas son frère. Pire, la femme qui ne dirait pas non à un soupirant alors qu’elle est, elle-même, mariée, était passible d’une sanction dont Mawu Sègbo Lissa disait qu’elle était exemplaire, mais dont personne ne savait de quelle nature elle pourrait être concrètement. Mais quand on a grandi dans le village natal de Mawu Sègbo Lissa et qu’on a écouté un tantinet ses ancêtres, il vaut mieux obtempérer de peur de s’attirer la foudre sur la tête. De génération en génération, cette loi était suivie et personne n’avait jamais senti la nécessité d’arracher à l’autre sa femme, fût-il polygame, puisqu’il y avait beaucoup plus de femelles que de mâles dans le village natal du Bon Dieu. Mawu Sègbo Lissa  avait aussi interdit l’inceste. Personne ne pouvait épouser un membre de sa famille, fût-il éloigné ou proche. Mais de toutes ses créatures, celle que Mawu Sègbo Lissa affectionnait le plus, c’était Monsieur Dan-Le-Serpent. Il se plaisait à dire à qui voulait l’entendre que Monsieur Dan-Le-Serpent était le plus gentil de tous les animaux qu’il ait créés. Il était élégant, serviable, prévenant, généreux. Dieu le bénit et il put avoir d’enfants avec les femelles de toutes les autres espèces d’animaux et même avec des femmes. Il était fécond et le plus riche de toutes créatures que Dieu avait faites. Ses enfants étaient les plus racés et les plus beaux parmi tous les enfants de la terre. Ils dégageaient un certain charme qui ne pouvait laisser personne indifférent. Parmi ses rejetons, sa fille aînée était d’une beauté telle qu’elle servit de patron au Bon Dieu pour fabriquer les autres enfants qui peuplaient la terre. Elle était le prototype de la beauté, le canon de l’esthétique. Elle était la Beauté à l’état pur. Le Bon Dieu avait concentré en elle tout ce qu’il pouvait y avoir de charme, de grâce, de beauté et d’élégance. En un mot, elle était une œuvre d’art. Elle était l’Art, tout court.

Dans le village natal du Bon Dieu, aucune femme ne pouvait se marier en étant pas vierge. Aucun garçon ne pouvait prendre sa première femme en n’étant pas puceau. Et cette loi était tenue en très haute estime et les familles s’employaient à éduquer leurs enfants dans le strict respect de cette loi. D’ailleurs les enfants en étaient eux-mêmes conscients et mettaient tout leur honneur à aller au mariage, vierges et puceaux. La fille aînée de Monsieur Dan-Le-Serpent grandissait et plus elle croissait plus sublime et resplendissante étaient sa beauté et son charme. Chaque soleil qui se levait en ajoutait un peu à sa beauté. Elle faisait la fierté non seulement de ses parents mais aussi de toute la création et le Bon Dieu avait fait d’elle la plus aimée de ses créatures. Son Père Monsieur Dan-Le-Serpent l’avait remarqué : Dieu se réjouissait plus de sa fille que de lui-même le géniteur de cette fille gracieuse que toute la terre s’arrêtait pour regarder et contempler. Quand elle eut atteint l’âge de se marier, ainsi que le prévoyait la coutume, elle exposa à ses parents son vœu de s’unir avec le pangolin, cet animal féérique, gentil, attentionné, cette belle créature au corps doré d’écailles étincelantes. Le projet plut au Bon Dieu qui se réjouissait déjà des métisses au charme ensorcelant qui en naîtraient…. La veille du mariage, ainsi qu’établi par Dieu, tous les animaux et tous les humais du village natal de Mawu Sègbo Lissa prit d’assaut la place public. Là, eurent lieu des ripailles en l’honneur de la fille bien aimée du Bon Dieu. Et à cette occasion, Dieu lui-même se mit à servir le repas à ces créatures. Il leur offrit des boissons qu’elles n’avaient jamais vues. Mieux, il dansa pendant que la Crevette, alias Alouè-Hansinon et Akokissè-Le-Perroquet chantaient des mélodies paradisiaques et que Aglobéssé-La-Grenouille jouait de sa trompette divine. C’était du jamais vu. De mémoire d’homme, Dieu n’avait encore jamais dansé lors des noces de ses créatures. Pendant les ripailles, le père de la fille devait la conduire dans la maison de son futur époux. Jusqu’à minuit, les parents de ce dernier n’avaient pas vu le cortège de leur future bru franchir le seuil de leur maison. Ils attendirent jusqu’à deux heures du matin, l’heure à laquelle les deux jeunes devaient rejoindre la chambre nuptiale pour en ressortir, avec la preuve de la virginité de la femme, une tache rouge imprimée dans un morceau de tissu banc qu’on hissait à une hampe et qu’on remettait à la jeune mariée. Celle-ci la tenait alors comme un étendard en prenant la tête de la marche, suivie par les membres de sa famille pour rejoindre tout le village sur la place publique où explosera la joie même des noces. Jusqu’à trois heures du matin, Monsieur Dan-Le-Serpent n’avait pas encore conduit sa fille chez le jeune Pangolin. Au petit matin, on la découvrit, dans un fourré, la mine défaite et les habits en lambeaux. Où était donc son père ? Vite on en informa le Bon Dieu. Il mit en branle son service de renseignement et on mit la main sur Monsieur Dan-Le-Serpent. Devant lui et devant tout le village, la jeune fille témoigna publique que son père avait abusé d’elle, arguant que le Pangolin était trop vilain et qu’il ne la méritait pas : « Père, ajouta-t-elle, a dit que je lui étais destinée et que c’était une folie de ma part de vouloir m’unir avec un Pangolin. Et pendant que nous allions chez mon futur, il m’arracha le trésor que je voulais offrir à mon Pangolin pour lui témoigner mon amour et honorer par le même fait ma famille, la loi et Dieu ».

Quand le Bon Dieu interrogea Monsieur Dan-Le-Serpent, ce dernier affirma qu’il y avait longtemps qu’il désirait sa propre fille et qu’il lui était difficile de se séparer d’elle. Il s’était rendu coupable de deux crimes : inceste et adultère, car il a couché avec sa propre fille et la femme du Pangolin puisque ce dernier lui avait déjà versé la dot. Dans sa colère, Dieu gifla Monsieur Dan-Le-Serpent qui tomba en syncope. Et Dieu dit : « Arrachez-lui tous ses membres et découpez-le en petits morceaux que vous répandrez aux quatre vents. Et que cela serve de leçon à tout le reste. ». Sa fille en entendant la sentence, se mit à genoux et supplia Dieu de ne pas le découper. Dieu l’exauça. Que pouvait-il refuser à la plus belle de ses créatures ? Le serpent eu la vie sauve, cependant il ne pouvait se déplacer comme auparavant, lui qui avait deux pieds et deux bras et marchait exactement comme les humains. C’est depuis ce jour-là que le serpent, débarrassé de ses membres, adopta la reptation comme mode de locomotion.

Destin Mahulolo