En ce dernier jour de classe, une joie indescriptible se lisait sur tous les visages. Malgré la pluie de ce matin-là qui rendait l’atmosphère quelque peu maussade, nous étions heureux de déposer pendant trois mois nos cahiers, de pouvoir enfin faire la grasse matinée, jouer et nous promener à longueur de journée. Cette ambiance bon enfant contrastait avec les sentiments qui animaient les rares d’entre nous qui ne savaient pas s’ils allaient en classe supérieure ou non. Qu’importe, leur mauvaise humeur ne pouvait avoir raison de la gaieté de la majorité.

Des groupes d’élèves se formaient çà-et-là, conjecturant sur des voyages les plus improbables. Même ceux qui savaient qu’ils ne quitteraient pas le rayon de leur quartier, pouvaient rêver aller où ils voudraient. A beau mentir qui n’a point besoin de prouver ses dires. Certains se déchainaient sur la musique endiablée que vociférait la sono. C’était aussi l’heure pour les Dons Juans de déclarer leurs flammes aux dames qu’ils portaient dans leurs cœurs. Il fallait surtout vite dévoiler ses sentiments avant que la belle n’aille s’amouracher d’un amour d’été. Mais c’était avant tout l’ultime occasion pour se dégoter une bonne compagnie pour les longues promenades, les journées interminables à ne rien faire, les soirées entre amis et pour réchauffer sa couette.

Quant à moi, je m’étais isolé avec Sènami et deux autres camarades afin de jouer aux cartes. Nous devisions sur nos joies et nos peines de l’année scolaire. Au détour d’une blague qui nous arracha des rires jusqu’aux larmes, Sènami me lança :

–  Et Kadidjath ? comment va-t-elle ?

Un lourd silence s’installa… Ma tête sonnait creux… Aucune invention ne germa dans ma tête… Cette fois-ci, je ne pouvais me défiler… Je me devais d’ôter ce poids immense de ma conscience.

– Pourquoi veux-tu réveiller les fantômes ? Finis-je par lâcher.

Un silence insoutenable s’installa à nouveau. Qu’attendait-elle pour m’insulter ? J’avais besoin qu’elle réagisse, qu’elle dise un mot. J’étais prêt à tout sauf supporter son silence. Sa seule réponse fut de baisser la tête et de laisser couler des larmes qui arrosaient encore un peu plus mon sentiment de culpabilité.

Nos compagnons ne comprenaient rien à l’histoire. Ils nous regardaient sans mot dire, sans pouvoir décrypter cette scène surréaliste.

– Laissez-nous seuls. Finit-elle par dire.

Lorsque nos deux amis furent sortis, son premier geste a été de m’asséner une belle paire de gifles. Je n’eus aucune réaction sinon juste de dire :

– Pardonne-moi Sènami. Pardonne-moi.

Ces mots au lieu de l’apaiser lui arrachèrent des sanglots si violents qu’ils me fendirent le cœur. J’avais le cœur en mille morceaux. Qu’avais-je fait ? Le film de cette histoire aussi bien idiote, stupide que cruelle dont j’étais le malheureux scénariste, réalisateur et principal acteur, s’imposa à mes pensées.

Le premier acte prenait naissance cinq ans en arrière. Par un jour de rentrée des classes, je vis pour la première fois cette petite dame mais si grande par le talent dont j’avais déjà tellement entendu parler. Pour la première fois, je pus enfin mettre un visage sur ce nom qui pendant toute une année avait hanté mon esprit : Sènami AVIMANDJE. En effet, un an plus tôt, nous avions tous deux fréquenté la même école pour passer notre Certificat d’Etudes Primaires. Mais nous n’avions jamais eu l’occasion de nous rencontrer car étant dans des groupes différents. Durant toute cette année, elle prenait un malin plaisir à saper tous mes efforts pour être le major de la promo. Je dus m’incliner devant tant de talents et d’intelligence. C’était donc elle Sènami. J’étais animé par un double sentiment : heureux enfin de faire sa connaissance d’une part, mais certain d’autre part que durant toutes les années que nous passerions ensemble, elle risquait à nouveau de me ravir la vedette. Mais qu’à cela ne tienne, nous nous livrerions une bataille féroce.

L’année prit donc son envol et comme à d’habitude, j’eus besoin d’un temps d’adaptation qui m’empêchait de jouer les premiers rôles. Néanmoins, je pus m’installer dans le top 5. Elle ne me remarqua donc pas outre mesure cette année-là. Moi non plus, je n’eus pas particulièrement d’œil pour elle. D’ailleurs, mes faveurs allaient cette année à une autre fille de la classe, Amanda ; qui eut le mérite, je l’avoue, de me tourmenter pendant bien des années. En plus, nous étions tellement jeunes. Si mes parents avaient idée de toutes les histoires de cœur qui martyrisaient mon esprit, j’aurais eu droit à des séances de bastonnades bien méritées. Je le confesse: j’ai été un sentimentaliste précoce. Je priais juste le ciel de ne pas avoir à gérer des rejetons aussi précoces que moi.

Je terminai ma première année de collège avec une place plus qu’honorable de quatrième de la promotion, et malheureusement sans avoir dit à Amanda, combien elle comptait pour moi. Les paires de gifles que j’aurais reçues de sa part et les interrogatoires musclées à la Surveillance Générale, étaient largement suffisantes pour m’en dissuader.

Le tournant se produisit à notre deuxième année de collège. Sènami et moi passions désormais nos après-midi au collège. Ce fut l’un des plus beaux intermèdes de mon existence. Nous étions devenus inséparables. Quel que soit ce que je voulais faire entre midi et quinze heures, j’étais avec ma complice. Nous arpentions les salles de classe du collège ensemble, prenions un malin plaisir à faire des caricatures de nos copains de classe avant leur arrivée. Nous déjeunions ensemble, passions la sieste ensemble et ne nous ennuyions jamais, car l’un de nous avait toujours une histoire à raconter. Et tout ceci, sans la moindre arrière-pensée, mais juste pour le plaisir d’être ensemble…

Et le comble de cette complicité était que  nous nous sommes tous deux installés sur les cimes de la classe durant toute l’année. Bien que je ne pusse jamais la détrôner, je m’accrochai solidement à la deuxième place, ne laissant la vice-royauté qu’à de rares occasions. En plus donc de cette amitié, nous avions donc du respect mutuel l’un pour l’autre. Ces neuf mois de classe fut donc féériques en tout point de vue. Les vacances vinrent un peu trop vite à mon goût.

Quand de nouveau l’école ouvrit ses portes, nous nous retrouvâmes dans l’allégresse mais quelque chose avait changé. Ma douce et innocente Sènami n’était plus la même. Elle avait pris conscience de sa féminité. Elle s’habillait différemment, se maquillait et faisait plus attention à ce qu’elle disait. Son visage d’enfant avait laissé place à celui de cette jeune, belle et brillante dame qu’elle s’apprêtait à devenir. Elle était devenue légèrement distante vis-à-vis des garçons mais rien de tout cela ne me gênait. Envers moi, elle avait gardé la même considération. Nous passions plus encore de temps ensemble mais au lieu de vadrouiller comme deux bambins, nous partagions plutôt nos rêves. La nature de nos discussions avait changé. Nous semions les graines de nos avenirs respectifs.

 

Gildas  ZINKPE

  1. Ce début le captive ! Merci à Gildas. Je l’ai avalé et j’en demande encore. Très beau retour avec les nouvelles. Cette nouvelle de Gildas vient à dessein. La rentrée est là.