« A l’observation, quelles que soient les circonstances, proclame la sagesse d’Ifa selon l’idéogramme Lete-Di, la mort d’un jeune est souvent due à l’insouciance. Illustration : « Il y avait une danse que le mouton a dansée ; il y a laissé sa tête. A son tour, le porc s’est laissé emballer ; il y a laissé sa tête. Jeunes gens, cette danse-là vous tournerait-elle la tête ? » Voulez-vous connaître le tam-tam mystérieux dont le son envoûtant fait perdre la tête aux curieux ? Pour ne pas subir le même sort que le mouton, le porc et autres ignorants, vous n’avez qu’à prendre « Quelques clés d’Ifa » de Gratien Ahouanmenou alias LPP, Le P’tit Poète. Vous y trouverez également, à travers une belle fable, comment « le prestige social des parents peut inhiber, d’après l’idéogramme Woli-Fu de la sagesse d’Ifa, la jugeote des enfants » ; ce qui vous apprendra que « si tu refuses d’écoper la pirogue qui te transporte, prends garde que l’eau, ignorant l’ascendance, t’emporte ». Et qu’en est-il de la femme de Fortuné venu au monde sous le signe de Gbe-Loso et qui fut averti par le destin : « Tu vivras dans l’aisance, comblé de biens matériels mais ton épouse sera une mégère incapable de tenir sa langue et ce mauvais penchant lui sera fatal » ? Vous en trouvez la clé parmi celles proposées par Gratien Ahouanmenou pour entrer dans l’univers d’Ifa.

Vous vous demandez peut-être ce que vous avez à faire avec Ifa. Ce serait comme si vous vous demandiez ce que vous avez à faire avec la vie, de votre vie. Et là, vous n’auriez pas compris ce qui fait la force de chaque peuple. Vous n’auriez pas compris comment les autres peuples nous (nous Africains) ont conquis par leurs cultures au point que pendant que les églises et mosquées ne désemplissent jamais et que chrétiens et musulmans rivalisent de luxe comme appât dans leur prosélytisme, les couvents de cultes endogènes semblent, eux, frappés d’anathème avec leurs divinités condamnées à vivre en réclusion dans des huttes trop légères pour résister à l’ouragan de la modernité. Vous n’auriez pas compris pourquoi pendant que le curé et l’imam peuvent se promener fièrement l’un avec sa croix au cou, l’autre avec son chapelet, le Bokonon qui circule avec son « akplè » ne serait qu’une curiosité qu’on montrerait du doigt dans la rue comme l’incarnation du diable, le sorcier-mangeur-d’âmes-humaines. N’est-ce pas la preuve que l’Africain est devenu étranger sur son propre territoire, citoyen subalterne à côté de ses hôtes libres de disposer à leur aise du salon jusqu’à l’arrière-cour ? Comment reprendre alors nos droits ? Comment renouer avec nos valeurs endogènes ? Comment redevenir africain ? Et pourquoi nous engager sur cette voie de la renaissance culturelle ou spirituelle ? Voilà quelques-unes des interrogations auxquelles tente de répondre Gratien Ahouanmenou alias LPP, Le P’tit Poète, à travers son « Quelques clés d’Ifa, sagesse existentielle du Golfe du Bénin » paru aux éditions Dagan à Porto-Novo en 2019.

Préfacé par Basile Adjou-Moumouni et postfacé par Jérôme Carlos, l’ouvrage nous entraîne dans une quête identitaire pour nous réconcilier avec nous-mêmes. Un ouvrage qui s’étend sur 110 pages avec quatre chapitres encadrés par un prologue, une conclusion et un épilogue.

Les deux premiers chapitres (« Une sagesse existentielle » et « Aperçu d’une littérature orale ») indiquent quelques préceptes relatifs aux signes d’Ifa. Des préceptes exprimés à travers poèmes, proverbes et fables. Ceci pour d’une part montrer l’utilité de la sagesse d’Ifa dans la société humaine à travers des thématiques telles que l’éthique conjugale, la gouvernance et la devise nationale du Bénin et d’autre part démontrer la scientificité de la sagesse Ifa.

Dans le troisième chapitre intitulé « Base binaire d’une science millénaire », l’auteur expose le fonctionnement d’Ifa sur la base des quatre éléments de la nature : la terre, l’eau, l’air et le feu. Et après avoir analysé la triple fonction d’Ifa (sagesse, divination et pharmacopée), l’auteur fait constater que « l’oracle est juste et pertinent, dès que le devin-opérateur est compétent et que s’établit un dialogue confiant et clairvoyant avec le consultant […]. Edifiante parole de sagesse destinée à éclairer l’homme sur les chemins de la vie, cette orature constitue en quelque sorte un code de vie offrant avec flexibilité plusieurs niveaux de lecture selon la situation, la maturité, l’érudition et le discernement de chacun. Si en définitive, Ifa s’avère une boussole édifiante et fiable dans sa dimension exotérique […] aussi bien qu’ésotérique pourquoi devrait-on s’en priver ? D’un point de vue familial et sociétal, managérial et institutionnel, pour peu qu’on se débarrasse des préjugés, fantasmes et peurs découlant de l’ignorance, n’est-ce pas un outil d’aide à la prise de décision ? » (pp. 51, 52)

Enfin, dans le quatrième chapitre intitulé « Méditons un peu », l’auteur nous donne des raisons d’être fiers de notre riche patrimoine culturel et de nos érudits et vaillants ancêtres tels que Dada Adandozan (roi abolitionniste de Danxomè destitué puis banni de la généalogie dynastique), Dada Gbèhanzin, Marc Kodjo Tovalou Houénou et autres qui ont défendu les valeurs humanistes de nos cultures malgré la puissante machine dévastatrice mise en place par l’impérialisme occidental depuis des siècles. Une machine face à laquelle des voix discordantes comme celles du Père Francis Aupiais et autres  humanistes illuminés n’y ont rien pu. Néanmoins, l’auteur ne manque pas de reconnaître l’évolution positive du regard des autres peuples sur nos cultures. Ce qui justifie l’inscription d’Ifa sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2008. Ce dont se réjouit l’auteur en ces termes : « Et voici ‘’l’animisme sauvage, barbare et diabolique’’ mué en patrimoine universel, reconnu par la communauté scientifique internationale. » (p. 74)

Colbert Tatchégnon Dossa