Il demeure l’un des romans historiques qui ont le plus marqué notre enfance et notre jeunesse. Il s’impose aussi comme l’un des rares livres qui nous aient introduits, de plus près, dans l’intimité, si l’on peut ainsi parler, de Soundjata Kéita, le grand Empereur Mandingue. Publié aux Editions Présence Africaine en 1960, « Soundjata ou l’épopée Manding » ce beau livre de 160 pages rend compte des qualités de griot dont est nanti Djibril Tamsir Niane. On le remarquera à travers le style qui emprunte beaucoup à la littérature orale et donne la préséance à l’histoire et à la manière dont elle est racontée. La solennité qui caractérise les diverses prises de parole mérite d’être soulignée : « Je vois venir vers ta ville deux chasseurs ; ils viennent de loin et une femme les accompagne, Oh, cette femme ! Elle est laide, elle est affreuse. Elle porte sur le dos une bosse qui la déforme, ses yeux exorbitants semblent posés sur son visage, mais ô mystère des mystères, cette femme, roi, tu dois l’épouser car elle sera la mère de celui qui rendra le nom de Manding immortel à jamais, l’enfant sera le septième astre, le Septième Conquérant de la terre, il sera plus puissant que Djoulou Kara Naîni », p.20. Voilà la parole quasi performative qui emporte le lecteur dans les dédales d’une histoire triviale familiale qui concernera rapidement le destin de tout un peuple. Le roi à qui cette parole est adressée, s’exécute. La nuit où il devra coucher avec sa jeune femme, il se rendit compte qu’elle n’était en réalité qu’un monstre. Usant de subtilité, il réussit à faire dormir son double et honora son engagement. L’attention flagrante du roi pour sa nouvelle épouse ne fut guère admise par la première épouse. Jalousie ! Elle se construit le projet de mettre fin à la vie de l’enfant de sa coépouse : l’enfant lion) qui, à sept ans encore rampait toujours à quatre pattes. Mais le roi ne désespérait guère se rappelant des propos du devin : « Ô roi, le monde est plein de mystère, tout est caché, on ne connait que ce que l’on voit. Le fromager sort d’un grain minuscule, celui qui défie les tempêtes ne pèse dans son germe pas plus qu’un grain de riz, les royaumes sont comme les arbres, les uns seront fromagers les autres resteront nains et le fromager puissant les couvrira de son ombre », p.19. Quelques temps après, il mourut et malgré son testament qui destinait à Soundjata le trône, Dankaran Touman, fils de la première femme Sassouma Béréké fut déclaré roi au grand dam de Sogolon méprisée et chansonnée. Alors qu’un jour elle manqua de condiments et qu’elle s’adressa à la reine-mère, celle-ci répondit: « Moi, mon fils à sept ans savait marcher et c’est lui qui allait me cueillir des feuilles de baobab » (P42). Cette insulte révolta Sogolon qui s’en prit à son fils. Et ce jour-là, le fils éclopé se redressa et se mit debout. L’heure du lion avait sonné, et le devin Balla Fasséké de s’exclamer : « Place, place, faites de la place, le lion a marché. Antilopes, cachez-vous. Ecartez-vous de son chemin », (p.46). Mais le plus émouvant réside dans ces propos solennels de Soundjata : « Mère, voici des feuilles de baobab pour toi. Désormais c’est devant ta case que les femmes de Niani viendront s’approvisionner », (p.47). La quiétude de la reine mère Sassouma troublée, elle entreprit de déstabiliser l’enfant-lion. Mais Soundjata parvint à emporter l’adhésion de tous de par sa force et sa détermination. Sogolon, sentant le danger qui guettait son fils, lui proposa de s’exiler afin de préparer sa riposte. Ainsi, Tout le temps passé à l’exil, lui permet par ailleurs de se préparer pour la reconquête du trône qui était sien.

C’est à la suite des histoires qu’il écoutait dans son périple à travers les royaumes que Soundjata forgea sa personnalité, son pouvoir et sa combativité. Son frère lâche, fuira le royaume l’abandonnant à l’emprise de Soumaora Kanté, le roi-sorcier. Les populations ne se laisseront point faire. Réussiront-ils à faire face à Soumaora réputé pour sa sublime pratique de la sorcellerie noire ? « La peur entre dans le cœur de celui qui ignore son destin » pp.59. Une divination leur annonça qu’ils ne réussiront à conquérir leur royaume qu’en faisant appel à Soundjata exilé depuis des lustres. Mais où le trouver ? Ce dernier accomplira-t-il ce que le devin avait prédit pour lui ? De toute évidence, nul ne saurait le savoir sans se plonger dans les profondeurs de ce livre poignant et vivant, où les actions s’enchaînent avec élégance et où le souffle de l’oralité redonne vie aux faits et gestes qu’il affecte de ce beau coefficient d’épopée et de légende.

Gervais DASSI