« LA TRAGÉDIE DU ROI CHRISTOPHE », AIMÉ CÉSAIRE.

La relève de l’Afrique est un problème qui préoccupe depuis les soleils de son indépendance. A quand le développement de ce continent ? De quoi a-t-il besoin pour se lever de sa léthargie ? Sur qui compter pour le hisser à la cime, au même titre que les autres qu’on traite de développés ? Aux Blancs, aux Rouges, aux Jaunes ou aux Noirs ? Autant de questions qui jonchent les pans de ce livre et auxquelles des réponses sont apportées avec une poéticité alléchante. Si le drame est la poésie complète, il n’en demeure pas moins que la poésie dans le drame est comme une commissure de l’esthétique et de la crasse. Car un mixte de sentiments d’extase et de douleur s’y observe et réussir une œuvre d’art pareille dans la dramaturgie est comme mettre sur la même selle l’ambivalence de ‘’sourire-soupir ; rire-gémir’’. Même si avec Césaire, on ne peut que s’attendre à une imagination grandiose. Paru aux Editions Présence Africaine, ‘’ La tragédie du roi Christophe’’ est une pièce de théâtre écrite par le Martiniquais Aimé Césaire. On sait que la dramaturgie de Césaire a pris vie avec l’émergence politique des nations nègres. Il est donc aisé de constater dans ses œuvres théâtrales, l’envie de bâtir toujours un héros comme l’orbite autour de laquelle gravite le reste du peuple. Sur le verso du livre s’observe déjà une petite statuette noire tenant dans sa main dextre une épée et dans celle senestre une clé, le recto comportant une note sur l’auteur et l’ouvrage, les écrits pondus d’une couleur orange sur une noire. Le verso du livre ouvre la brèche en annonçant subrepticement qu’il s’agit du combat, de la bataille en se référant à l’épée, puis la Liberté en s’accrochant à la clé. Césaire nous plonge dans la première terre noire créée par les esclaves noirs, devenue république dans les caraïbes : Haïti. Christophe, le héros du livre, fut d’abord un ancien esclave, ancien cuisinier, ancien général et enfin roi d’Haïti. Un roi qui voudrait remettre sur place une nation écrasée et déchirée par la colonisation. Et pour le faire, il n’entend compter que sur lui-même et ses sujets. ‘’Malheur à vous si vous croyez que l’on vous tendra la main’’, page 98. Roi d’Haïti, il fut trahi par ses administrés qui trouvaient à son gouvernement un pouvoir tyrannique. Tant il s’efforçait de faire régner une atmosphère, une nouvelle ère de développement de la nation dans la plus grande sagesse et fermeté. Il se retrouva paralysé. Mais continuait même dolent de croire en lui, de gouverner et de chercher une ascension à sa nation. « Oui, genoux brisés, la Fortune envieuse m’a frappé. Mais mon âme, sachez-le, est debout, intacte, solide, comme notre Citadelle. Foudroyé, mais inébranlé, l’image même de notre Citadelle, Christophe. Je continuerai donc » p.130-131. L’une des caractéristiques du héros césairien, c’est sa bravoure et sa résistance face aux entraves qui se dressent sur son chemin de penseur, de parolier et de bâtisseur. Mais que sera le sort du Christophe trahi et laissé par son peuple ? Une vraie tragédie, pondue dans un style classique et poétique. Souvent, l’opiniâtreté du héros césairien fait finalement de lui un homme abandonné, incompris, haï par le peuple pour lequel il se bat pourtant. Mais un homme qui accepte vaillamment la mort. Un livre qui doit intéresser l’Africain désireux de mettre sa pierre à l’édifice pour une Afrique vraiment libre et prospère. « Au plus bas de la fosse. C’est là que nous crions ; de là que nous aspirons à l’air, à la lumière, au soleil. Et si nous voulons remonter, voyez comme s’imposent à nous, le pied qui s’arcboute, le muscle qui se tend, les dents qui se serrent, la tête, oh ! la tête, large et froide ! Et voilà pourquoi il faut en demander au nègres plus qu’aux autres : plus de travail, plus de foi, plus d’enthousiasme, un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas ! C’est d’une remontée jamais vue je parle, Messieurs, et malheur à celui dont le pied flanche » p.59. On voit qu’il s’agit d’une quête vers la transcendance justifiée par un trait entre l’isotopie ‘’au plus bas de la fosse’’ et la clausule ‘’remontée jamais vue’’.
La tragédie du Roi Christophe est un livret de quête identitaire à travers le logos, le verbe créateur et une invite à la forge commune d’un édifice propre à une race, à une culture avec un ‘’je’’ rationnel.

Ricardo AKPO