Et, comme au galop, le jour de la rentrée vint. Tôt ce matin-là, toute la maisonnée était en branle-bas. Tandis que ma mère chauffait de l’eau pour nos bains, elle et moi, papa, de son côté, repassait des vêtements, les siens propres, ceux de sa femme et les miens. Bien que je fusse réveillée et suivisse tout, je restais à me prélasser dans le lit.
– Sors du lit, Mero, dit ma mère. Ne nous mets pas en retard
– Bonjour, maman. Où on va?
– À l’école, répond-elle, occupée à préparer mon sac.
– Ouai ! Et je vais porter mon pantalon?
– Oui, Mero.
– Ouai, super! Et je vais porter mon Lacoste?
– Oui, Mero.
– Ouai, super! Et.. et je vais porter mon sac à dos?
– Oui, mon amour.
– Super, dis-je, en giclant du lit et, comme un bolide, je rejoins la chambre de mon oncle que j’hélais déjà depuis le couloir.
– Tonton, tonton, je vais à l’école aujourd’hui. Le sais-tu ? Je vais porter mon pantalon, ouai! Je vais porter mon Lacoste, ouai! Je vais porter mon sac à dos.
– C’est cela, dit l’oncle. Es-tu contente?
– Oui! Je suis contente, tout plein, tout plein.
– Et je vais jouer au toboggan, et je vais jouer au trampoline, et je vais jouer au bonhomme de neige.
– Mais il n’y a pas de neige dans notre pays, rectifie l’oncle avec un sourire amusé.
– Ooooo! Mais, mais je vais avoir des amis, beaucoup comme ça, dis-je en montrant les doigts de ma petite main, et puis, un amoureux, tonton Toundé.
– Ah bon! fait l’oncle, étonné. Et Maxens?
– Maxens! Euh..euh ! Maxens ! il est dans la télé, dis-je avec une moue d’une expression indicible.
Et je quitte mon oncle, pour rejoindre mon père que je salue
– Bonjour, mon papa chéni, dis-je ;
– Bonjour, ma beauté. As-tu bien dormi ?
– Oui, papa chéni.
– Non! Mero, c’est chéri.
– Chéni !
– Non, chéri. Répète
– Chéri
– Voilà
– Je vais à l’école
– Je le sais.
– Ouai, dis-je en gratifiant mon père d’un bisou sonore.
– Et je vais marcher entre vous deux, papa et maman, en vous tenant les mains ?
– Oui, ma puce.
– Ouai! Et.. et je vais avoir une maîtlesse ;
– Mero, ma chérie, dit le père, c’est maîtresse, répète, ma fille ;
– Maîtlesse
– Non; maîtresse,
– D’accord, maîtresse ;
– Voilà. Hum ! Tu auras une maîtresse, dis-tu ? Bon ! ça, je ne le sais pas.
– Ouai, tu es gentil, papa chéni, je t’aime.
Une porte grinça fortement au loin de l’autre côté, c’était ma maman qui sortait de la douche ; elle finissait de prendre son bain.
– Mero, interpelle-t-elle, viens te laver ;
– Oui, maman, j’arrive, dis-je, avant d’ajouter, atatou, papa.
– Oui, à tout à l’heure, ma fille, dit mon père.
Mon père finit tranquillement le repassage et entreprend de ranger les accessoires de son travail lorsque sa femme l’invite à prendre son tour de douche.
Et pendant que mon papa se lavait, ma mère nous habillait, dans notre chambre à coucher. Je fus la première. C’étaient de très légers grains d’une certaine pommade odoriférante étalés sur mon corps, les bras et les pieds, avant de me mettre un slip, un sous-vêtement fait d’un débardeur tout léger et me faire enfiler le pantalon et le tee-shirt polo Lacoste. J’étais aux anges. Puis elle défait la queue de cheval de ma coiffure pour libérer des mèches bouclées dont la longueur ne dépassait pas le ras de ma nuque. Elle finit ma préparation en me chaussant de ballerines noires. Voilà ! Tu es fin prête, mon amour ! dit ma mère. Va donc prendre ton petit déjeuner avec papa, pendant que je m’habille.
– Non ! lui répondis sèchement. Je n’irai pas ;
– Ah ! s’étonne ma maman ; et pourquoi donc, Mero ?
– Il reste mon sac, dis-je, presqu’en larmes. Je ne bougerai pas d’ici tant que tu ne m’auras pas serré mon sac sur le dos.
– Mais tu ne pourras pas être à l’aise dans la chaise pour manger, ma fille. Sois sage, mon ange, va, et je viendrai te mettre ton sac dans le dos avant le départ.
Peu convaincue par l’argument de ma mère, j’allais rejoindre la salle à manger lorsque quelque chose me fit revenir en arrière.
– C’est injuste, lui dis-je, la tête baissée, tous les enfants portent leur sac dans le dos pour aller à l’école.
– Mais, chérie, je te ferai porter ton sac tout à l’heure, dit-elle.
Puis elle prit un cube de chocolat qu’elle enfouit dans le sac tout en me jetant un regard complice et en me conseillant de le croquer lorsque j’en aurai envie.
Elle connaissait mes points faibles, ma maman. Elle venait de briser ma résistance ; je me rendis dans la salle à manger.
S’étant ainsi libérée, ma mère pouvait se préparer.
Lorsque j’arrivais dans la salle, mon père y était déjà. Cet espace prolonge le salon. On l’en a démarqué par son niveau un peu plus bas. C’est un lieu agréable, avec une longue table en bois de huit chaises pour l’accueil des convives de mes parents, une armoire vitrée d’environ cinq mètres, composée de trois pièces. Son corps central, haut d’un mètre-vingt, renferme trois larges compartiments à deux étagères où une main experte a bien rangé des assiettes de tout genre, en porcelaine, en céramique, et des émaillés fleuris ou en des pièces simples ou en des séries de différentes formes. Trois tiroirs cachent à la vue des nappes tissées par un artisan de notre pays, des couverts en argent et en métal inoxydable. Et comme des oreilles, deux petites caisses rectangulaires d’environ un mètre de largeur, semblables à des cages à lapin, dont chacune mesure un mètre-cinquante de haut, enserrent ce joyau médian. On peut admirer sur leurs étagères des coupes à vin, des verres à eau, des flûtes et des verres à apéritif. Dans chacun des coins de cette aire conviviale se trouvent, d’un côté, l’armoire qui fait office de cave aux vins et, de l’autre, le lave-mains. On n’ouvrait rarement les deux grandes baies vitrées qui devaient ventiler la salle ; elles étaient ornées par un double voilage, composé d’un rideau de jour en flanelle dentelée grise et d’un rideau de nuit taillé dans un tissu vert-olive assez lourd. Ils descendent au ras du sol et masquent les plaintes.
Mon père m’accueillit avec un large sourire. J’allais commencer à boire mon bol de lait quand ma mère arriva à son tour.
A suivre…
Ascension BOGNIAHO