Désastres (3/5)

Désastres (3/5)

C’était un vendredi soir après le cours d’Education Physique et Sportive aux environs de 19h. Une de ces inspirations téméraires s’empara de moi. Je m’empressai d’accoster Emma avant que ma timidité me fasse changer d’avis.

-Emma ! Bonsoir, je veux te parler.

-Ah bon ! Si tu veux parler de notre groupe d’étude avec les autres, je tiens à te dire que j’accepte participer.

-Anh ! Ce n’est point de cela qu’il s’agit.

– Alors, dis-moi.

-Je ne sais par où commencer.

– Commence alors par la fin ou milieu, si le début te pèse. A toi de voir.

Je restai figé un moment. Je m’enhardis ensuite:

– Depuis ton arrivée dans notre classe, tout a changé. J’ai trouvé une concurrente. Tu es intelligente, belle et splendide. Tu fais la joie des filles. Tout le monde t’admire dans la classe. D’elles toutes, tu es la plus magnifique et la seule que j’apprécie le plus. À ta présence, j’ai le coeur qui bat la chamade et très fort. Le rythme s’accélère ! À la maison,  je ne pense qu’à toi. Je suis …

– Fier de moi? Coupa-t-elle.

– Pas exactement cela.

– Ah bon?

– Enfin, beaucoup plus que cela.

– Bah, vas-y, dis-moi ce que tu as. Le temps passe, et je dois vite rentrer.

– Oui, mais juste que…

– Juste que quoi? Si tu as envie de perdre de temps, je t’en prie, laisse-moi rentrer chez moi.

– Tu sais. Je ne sais pas. Mais c’est que je t’aime.

– Quoi?

– Oui, ne le prends pas mal, mais c’est vrai. Je suis amoureux de toi.

Je libérai ces derniers mots avec douleur et saignements au coeur. Je transpirais littéralement. À peine Emma voulut donner un avis sur ma déclaration qu’une apparence humaine en sanglots se fit sentir au niveau des fenêtres. Je courus vite voir, mais c’était tard. Ainsi interrompus, nous dûmes rentrer pour ne pas attirer et donner raison aux mauvaises langues.

Libéré de cette flamme, je rentrai joyeux et perplexe car je venais d’avouer pour la première fois de ma vie mes sentiments à une fille. Mais n’ayant pas encore son accord, du moins sa réponse, une grosse peur s’installa en moi. À chaque instant, je me demandais bien les probabilités de chance pour qu’Emma agrée ma demande. Le week-end devenait trop long. L’attente pesait sur moi. Je ne pensais qu’à lundi, au « oui » qui sortirait amoureusement de son somptueux palais buccal. Nous avions tellement de points en commun, de rêves identiques et des envies similaires que je me gavais d’espoir. J’en suis venu à oublier tous mes rendez-vous prévus ce week-end avec Ariane.

Lundi venu, après le cérémonial qui se déroula étrangement bien, il fallait se rendre en classe. Je cherchais à voir Emma en catimini pour alléger le poids du suspens mais elle s’était empressée pour rentrer en classe. Lourd tel un matelas imbibée d’eau, je décidai de poser mes séants quand soudainement la vue d’Ariane me rappela tous les programmes boycottés. J’étais hébété et confus. Je voulais essayer de m’expliquer quand l’entrée du professeur de mathématiques m’interrompit.

– Alors, chers amis, vous aviez fait l’exercice lors du week-end j’espère ? Lança t-il après avoir déposé son sac.

Exercices ? Je ne m’en étais même pas souvenu. L’amour est source d’oubli. J’étais perdu. Après le contrôle, je fus le seul à n’avoir pas fait les exercices. Il me renvoya alors vers le bureau du Surveillant Général. L’amour joue de sales tours. Je fus puni et commis à venir travailler à l’école le mercredi soir. L’amour afflige et crée des souffrances. Retourné en classe, je lisais sur le visage de mes camarades une certaine joie de me voir puni pour la première fois depuis le début de l’année. Si l’amour fait fleurir, il est aussi vrai qu’il fait faner. J’étais flétri. Je restai silencieux toute la journée durant. Déjà humilié, je ne voulais pas me faire moquer. Néanmoins, je me résolus à m’entretenir avec Ariane.

– Ariane, bonsoir. Depuis le matin, on ne s’est pas salués. Qu’est-ce qui ne va pas ?

– Tu me demandes ce qui ne va pas ? Tu veux vraiment savoir ? Tu veux vraiment savoir ? Non, non, je crois que Monsieur est beaucoup plus qu’occupé pour pouvoir s’abaisser vers un être aussi vilain que moi, me jeta t-elle avec fureur au visage puis s’en alla sans regarder derrière.

J’étais effondré. Ariane fâchée avec moi à ce point ! C’était la première fois. Si la terre pouvait me comprendre, elle se serait ouverte et pour m’engloutir dans ses entrailles.

Je rentrai à la maison esseulé tout confus et fatigué de tous ces malheurs de la journée. Je me posais moult questions et chaque réponse devenait un questionnaire. Tout semblait mort et inerte à côté de moi. Quand j’ouvris le cahier, je ne voyais que le déroulement de la scène du jour. Je n’arrivais pas à apprendre. Or, je devrais préparer des interrogations pour le lendemain, le mardi.

Le professeur d’Anglais, juste après les dialogues de salutations, mit le questionnaire au tableau. C’était un exercice donné. Le résultat était dans nos cahiers. Dans son élan de surveillance, M. Morgan s’évertua à fouiller tous nos sous-mains. Bizarrerie des bizarreries ! Il découvrit une feuille remplie contenant les réponses dans les affaires d’Emma. Curieux tout de même.

– Mademoiselle Emma, qu’est ce que c’est ? Vous trichez ?

– Mais monsieur, je ne sais à qui cela appartient.

– Vous vous payez ma tête ? On retrouve un papier contenant les réponses dans vos effets et vous osez mentir. Allez vous rendre à la direction.

Elle sortit en sanglots. Je voulus la suivre mais hélas ! Je devais finir ma composition. J’avais mal au dedans de moi. Je sentais une chaleur torride. Je transpirais. Ma bien-aimée allait mal, mon être allait mal aussi. Seule Ariane, ayant compris ce qui m’arrivait, se moquait de moi éperdument. L’expression de son visage traduisait qu’elle était contente et en même temps triste. Je ne saurais expliquer un tel phénomène. Nous savions tous qu’Emma n’était pas une tricheuse ; mais les dés étaient déjà lancés. Elle a été prise en flagrant délit, rien ne pouvait atténuer la sentence. D’ailleurs Ariane était son amie donc cette joie ne saurait venir de ce qui l’accablait.

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