Bonjour les amis. Nous recevons pour vous cette semaine un jeune écrivain béninois, Florent HOUNDJO: » Nous sommes heureux de constater aujourd’hui une floraison de jeunes et talentueux écrivains dans notre pays. Avec eux, la relève des anciens ne fait l’ombre d’aucun doute. Certains se sont même illustrés récemment sur les scènes continentales et même mondiales « .
BL : Bonjour M. HOUNDJO. Selon la 4è de couverture de votre roman, vous êtes chroniqueur et un cadre de l’Administration béninoise après vos études en LM et à l’ENAM. Ma première question est celle qui revient pratiquement dans toutes les interviews : comment êtes-vous arrivé à la littérature ?
FH : Mes chaleureuses salutations à toute l’équipe de Biscottes Littéraires. Je suis très honoré de m’exprimer sur votre tribune. Merci pour l’invitation. Comment suis-je arrivé à la littérature ? C’est comme si vous me demandiez comment je fais pour respirer. ( Rire)
La littérature et moi, c’est presque un amour éternel. Fils d’enseignant, j’ai grandi au milieu des livres. Après mon BEPC, je me suis inscrit en série littéraire où j’ai eu un brillant parcours. A l’université, je me suis orienté vers les Lettres Modernes. Vous concevez donc avec moi, sans fausse modestie, que la littérature et moi, c’est comme Orphée et sa cithare ou encore comme Cristiano et le cuir rond ( rire). La littérature et moi, c’est du « je t’aime moi non plus» depuis déjà plusieurs décennies.
Par ailleurs, j’imagine que vous vous demandez le rapport existant entre mon parcours littéraire et l’écriture. En vérité, la littérature ( littérature écrite) a une expression double intimement liée: lecture et écriture. Qui lit, écrit et qui écrit, lit. C’est ce que j’appelle le caractère hermaphrodite ou parthénogénésique de la littérature.
C’est pourquoi mon entrée dans le cercle des écrivains relève, à mon sens, de l’ordre normal des choses. Ce n’est ni une entrée par effraction ni par infraction. C’est plutôt une entrée par affection.
BL : Comment le projet d’écriture de ce roman est-il né pour vous ?
FH :Le projet d’écriture de 69 résulte d’un ensemble de constats et d’expériences sur la vie en général et la vie sociopolitique de notre pays en particulier. Le déclic a été les tenants et les aboutissants de l’alternance politique au sommet de l’Etat en 2016 et les premières années d’exercice du pouvoir par le nouveau régime. Toutes ces observations ont accouché du postulat selon lequel non seulement « l’homme est un être ondoyant et divers» mais surtout ses réflexions, positions, convictions et situations sont circonstancielles et sont mues par les aléas ainsi que les intérêts du moment.
Le constat étant fait, la conclusion tirée, j’ai pris la décision d’en faire un sujet de réflexion à l’adresse du public. Surtout que le constat allait au-delà des réalités béninoises. Les mêmes constats ont été faits ailleurs. Il fallait donc partager mes réflexions surtout avec la jeunesse pour l’amener à relativiser sa façon de percevoir la vie en général et la vie sociopolitique sous les tropiques en particulier.
Pour y arriver, j’ai fait l’option du roman parce qu’il me semblait disposer du meilleur utérus pour porter cet enfant. C’est comme cela que les premières semences de 69 ont été jetées dans les sillons des feuilles blanches…
BL : Y a-t-il chez vous une raison particulière au fait que vous ayez choisi d’entrer dans le cercle des écrivains béninois par le roman ?
FH : Comme je l’ai dit précédemment, le choix du roman a été purement stratégique parce que c’est le genre par excellence de la narration, de la réflexion, de la description, de la discussion, de la distraction, etc. C’est le seul genre qui me permet de croiser plusieurs vies, plusieurs destinées dans des chronotopes divers et variés.
BL : Pourquoi le titre « 69 » ? Est-ce aussi comme le font la plupart des écrivains pour accrocher l’attention du lecteur quand on sait que ce titre à une connotation sexuelle dans le kamasoutra ? Ou ce titre nous cache une autre signification ?
FH : En me référant aux divers constats sociopolitiques susmentionnés, un soir, sur ma véranda, fin 2018, j’ai dit à un ami ( qui se reconnaîtra à la lecture de cette interview) que la vie c’est du 69, un cercle concentrique qui se referme sur les protagonistes que nous sommes ; que c’est un cercle vicieux où le bien ( yin) et le mal (yang) tournent et se retournent frénétiquement et sans fin autour de notre destinée ; que c’est ce géant serpent qui se mord la queue…
Du coup, la première valeur du titre 69 est d’ordre philosophique et spirituel puis sociopolitique, l’érotique n’étant qu’en dernière position.
BL : Quand on lit votre roman, le lecteur rencontre tout de suite le caractère insolite de l’onomastique à travers les noms comme Gros-Coeur, Gosso, Tofoé, Houéfa, Dotou, Tassien, et Gantékan. Y a-t-il un lien entre cette onomastique et l’intrigue du roman ou ce sont des noms choisis au hasard ?
FH : Vous avez fait un bon constat. L’une des marques distinctives de 69, c’est l’onomastique. C’est vrai que certains auteurs choisissent au hasard les noms de leurs personnages ou des lieux d’action. Dans mon cas, par contre, le choix a été symbolique. J’ai fait l’option des noms expressifs qui traduisent la personnalité de ceux qui les portent, eu égard à leurs rôles dans l’intrigue. C’est ainsi qu’on a des noms qui ont une valeur sémantique ( Dotou, Tofoé, GANTEKAN, Tassien, ADANNON, TOVIDA, Gros-Coeur); des noms à valeur phonétique ( Ex: Gosso. Choix effectué pour mettre en exergue la puissance et le charisme du personnage) ou encore des noms à valeur esthétique ( Fatou, Kamal, Yokossi).
BL : On pourrait penser à première vue que l’onomastique entend être puisé dans le lexique culturel du fongbé. Mais la diversification linguistique de l’onomastique qui emploie aussi bien des noms fongbé que français, arabe et même américains répond-elle à une idéologie dans le roman ?
FH :Il n’y a pas d’idéologie particulière derrière les noms choisis. Les choix ont été opérés sur la base du rôle des personnages dans l’intrigue ainsi que les valeurs sémantique, phonétique et esthétique recherchées.
BL :Une partie de l’intrigue du roman est nourrie par un événement ayant ponctué les faits sociopolitiques de notre pays : le Mercredi Rouge. Pourquoi avoir décidé de faire revivre cet événement dans votre oeuvre ?
FH : Ah oui ! Le Mercredi rouge ! C’est l’un des évènements marquants de l’histoire sociopolitique du Bénin, ces dix dernières années. Personne n’a su que ce qui a commencé comme un épiphénomène allait prendre de l’ampleur au point d’influencer toute la vie sociopolitique de notre pays d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Et pourtant, c’est la vérité.
Le choix d’en parler répond au projet esthétique évoqué dans mes propos liminaires. Aussi, fallait-il montrer aux non Béninois qu’il n’y a pas que le BALAI CITOYEN, Y-EN-A MARRE, FILIMBI ou le mouvement du 28 septembre. Il m’a plu de montrer qu’à l’instar du Burkina, du Sénégal, de la RDC ou de la Guinée, le Bénin a aussi connu un énorme mouvement sociopolitique : LE MERCREDI ROUGE. Et surtout que les résultats in fine ne sont pas différents de ceux produits dans les autres pays.
BL : Si l’église est encensée et blâmée à la fois dans l’oeuvre à travers les personnages principaux, la politique, elle, semble avoir été peinte uniquement sous un jour mauvais, puisqu’on ne la voit sauver ou embellir la vie d’aucun personnage. Quelle idée voudriez-vous instiller ainsi dans l’esprit du lecteur ? Qu’on doit tous fuir la politique ?
FH : La politique est-elle vraiment peinte sous un jour mauvais ? C’est vous qui le dites. 69 fait plutôt une photographie de la pratique politique sous les tropiques. 69 nous dévoile comment la politique se vit et se pratique chez nous. 69 lève juste le voile sur ce qui se fait. Et si, malheureusement le fait dévoilé écoeure, repousse ou révolte, ce n’est pas la faute au photographe qui a pris les images. Il faut plutôt regretter ou se plaindre de la qualité du paysage. Car il n’y a pas de magie dans l’expression artistique. La beauté de l’oeuvre d’art réside dans la vérité qu’elle porte, aussi laide soit-elle.
BL : Pourquoi avoir réservé ce triste destin à Yokossi ? Est-ce pour freiner l’élan des femmes qui essaient de hisser leur homme au sommet ?
FH : Effectivement, la fin de Yokossi est bien tragique pour une âme aussi forte, aussi généreuse… Je suis aussi peiné que vous de la voir finir dans les entrailles de la Méditerranée. Mais, c’est la vie ! On est jamais trop beau, trop bon pour mourir… C’est son destin qui voulait qu’elle achève sa course dans de telles conditions et surtout de façon prématurée.
Vous aurez compris que le destin l’a sortie de l’aire de jeu pour que Fatou entre en scène, les deux ne pouvant jouer au même moment. C’est cela la philosophie de la vie, nul n’est indispensable.
BL : L’oeuvre semble condamner également les traditions africaines. Est-ce exagéré de dire que votre roman diabolise nos pratiques endogènes quand on sait dans l’oeuvre, celles-ci ont été présentées comme responsables de la destruction de la famille de Gros-Coeur ?
FH : Permettez-moi de nuancer. L’oeuvre ne diabolise pas du tout nos pratiques endogènes. Elle n’a dévoilé qu’une partie de l’obscurantisme de nos traditions, le côté peu enviable. C’est vrai que les agissements de la famille HOUINDOMABOU ont été critiqués. Au même moment, le vigile HOLI qui a mystiquement porté secours au DG a été célébré. C’est plutôt une invite pour valoriser le positif dans nos traditions.
BL : Le roman est également parsemé de beaucoup de scènes érotiques. Avez-vous pensé aux lecteurs prudes qui trouvent répugnant et impudique ? Qu’est-ce qui justifie ce choix ?
FH : 69 est-il vraiment parsemé de scènes érotiques ? Le dire, c’est comme si, sur les 217 pages, on pouvait dénombrer une bonne dizaine de passages aux relents lubriques. Ce qui est loin d’être le cas.
Il n’y a que quelques séquences érotiques qui ne sont en réalité que de tableaux réels que la société nous offre. Qui ne sait pas que ça baise sur le campus? Y-a-t-il des gens encore ignorants des scènes d’infidélité dans les couples ? Et quid de l’homosexualité dans les internats et cercles religieux? Celà est-il étranger à certaines personnes ?
Et la corruption sexuelle dans les milieux d’affaires et politiques ? Est-ce une invention ? Ces quelques occurrences érotiques dans l’oeuvre sont donc empreintes de réalisme et n’ont nullement pour intention de dévoyer quelques petits esprits que ce soit. Encore que la génération actuelle évolue en division pro ( rire)
BL : Quels sont les auteurs que vous aimez lire et qui vous influencent ?
FH : Je n’ai pas de préférence littéraire. Je lis tout. Toute oeuvre littéraire ou non. Pourvu qu’elle soit bien écrite. Je fais donc mienne l’assertion d’une journaliste au Salon du Livre de 1983: «Il n’y a pas de mauvais livres pour le lecteur vorace».
Ceci dit, j’ai quand même des auteurs favoris, des idoles. A vrai dire, ils sont nombreux. Je ne peux me permettre de les citer. De la vieille garde d’écrivains, de grands classiques africains et d’ailleurs, à la jeune génération d’écrivains, ils sont nombreux à m’avoir nourri. Le phénomène qui me subjugue depuis plusieurs années déjà est Guillaume Musso !
BL : À part « Dans les limbes », la pièce théâtrale que vous venez de publier chez Savanes du Continent, avez-vous en projet la publication d’autres romans ? Ou ce sera de la poésie ou un essai ?
FH : Merci de revenir sur ma dernière publication, DANS LES LIMBES. C’est une pièce de théâtre qui fera date en raison de son originalité thématique et dramaturgique. D’autres projets littéraires sont actuellement en cours et aboutiront en temps opportun… Roman, nouvelle et théâtre. Ce sont mes gens de prédilection. Personnellement, je ne compte pas publier un recueil de poèmes ou un livre exclusivement dédié à la poésie. Car j’ai une autre conception de la poésie. Je ne la conçois pas comme une fin mais un moyen. Elle n’est pas une destination mais une route. Une route que j’emprunterai pour rejoindre mes destinations romanesque, nouvelliste et dramaturgique.
BL : Un mot sur l’état de la littérature de votre pays.
FH : La littérature béninoise fait son petit bonhomme de chemin. Depuis la première génération, celle de Paul HAZOUME et de Félix Couchoro jusqu’à nos jours, les eaux de la littérature béninoise n’ont de cesse de se renouveler fraîches et abondantes, telles les chutes du Tanougou.
Nous sommes heureux de constater aujourd’hui une floraison de jeunes et talentueux écrivains dans notre pays. Avec eux, la relève des anciens ne fait l’ombre d’aucun doute. Certains se sont même illustrés récemment sur les scènes continentales et même mondiales.
Cependant, j’ai le regret de constater que le ventre mou de notre littérature est notre politique éditoriale qui dessert nos livres et les rend moins compétitifs sur le marché international. Une chose que nous devons régler rapidement si nous voulons que le Bénin dîne avec les grands pays africains de littérature comme le Cameroun, les Congo, le Sénégal, etc.
BL : Votre mot de la fin
FH : Je remercie encore une fois Biscottes littéraires pour tout votre travail de promotion de la littérature en général, béninoise en particulier. Merci
Interview réalisée par Chrys AMEGAN, pour Biscottes littéraires