Bonjour lectrices et lecteurs, ami.e.s du monde des rêveries. Je suis ravi d’être élu en qualité de présentateur de l’œuvre de Robert Edjamian.
L’œuvre, la voici : « L’amant du fantôme ». Je suis heureux à un autre titre, c’est que je fais partie des premières personnes à sentir la chaleur de l’imprimerie sur l’ouvre : je l’ai touchée le jour où elle est née, ou plutôt le jour où elle est sortie de presse. Ma reconnaissance à Robert Edjamian. Qui est Robert Edjamian ? Il n’a pas de nom de plume, il s’appelle Robert Senakpon Edjamian, Béninois sous toutes les considérations depuis ses ascendants, mais plus précisément Béninois originaire d’Agonlin Covè. Commerçant avec les Lettres depuis ses études secondaires, Edjamian se marque de littéraire au fer rouge du baccalauréat série A4 obtenu en 1978. Il « émigre en Côte d’Ivoire » en 1980. Il confirme sa présence dans l’écosystème du livre, c’est un terme dans le vent, à la mode actuellement dans le discours public, en décrochant une Licence en Lettres Modernes, puis en Anglais. Après une décennie dans le pays d’Houphouët Borgny et du cacao, il s’envole pour les Etats-Unis où il a séjourné deux fois plus de temps qu’en Côte d’Ivoire. C’est dire que ses yeux ont vu, ses oreilles ont entendu et son subconscient a enregistré.
Par-delà tout, il demeure un enfant d’Agonlin, région aux us et coutumes pimentés comme le kluiklui légendaire. Sous sa propre plume, il résume tout : « le contact avec les cultures et civilisations de divers peuples du monde, me permet aujourd’hui d’affirmer avec évidence que l’Afrique n’a rien à envier aux valeurs morales et sociales occidentales ou d’ailleurs ». Robert Edjamian, Agonlin Covè chevillé au corps, ne nie pas la mondialisation mais rejette plutôt le copier-coller « des cultures et comportements venus d’ailleurs » auquel se livre la jeunesse. « L’amant du fantôme » est-il son premier livre ? Bien sûr que non. Robert Edjamian, depuis son retour au Bénin, se consacre à l’écriture. A l’automne 2018, il publie son premier recueil de nouvelles « La colère des dieux ». A la même saison, un an plus tard, il publie le roman : « La cinquième épouse » qui a été finaliste du Grand Prix Littéraire du Bénin 2020. En 2021, sort son deuxième roman intitulé Le jour de la vérité. Aujourd’hui, il nous invite autour de sa quatrième production : « L’amant du fantôme ». Cette œuvre que vous avez devant vous ou entre vos mains est éditée par Venus d’ébène dans la collection Horizons. Sortie il y a quelques légers mois, elle s’étale sur 169 pages et est préfacée par Jean-Baptiste Adjibi. Le genre, c’est la nouvelle ainsi que mentionné sur la première de couverture. Vous avez là un recueil de trois nouvelles que sont respectivement « L’amant du fantôme » (67p.), « La malédiction » (46p.) et « Une fille à papa » (38p.). Le texte éponyme « L’amant du fantôme », s’ouvre par un incipit très romantique et en même temps croustillant, plein de fantasmes. Je vous en donne lecture 1ere lecture p. 19 « Alphonse aimait faire le trottoir….Portail » Alphonse est un jeune ingénieur mécanicien, trentenaire, plein de vie, célibataire par intérêt. Dans l’une de ses sorties, il rencontre une fille prostituée du nom de Vénus, belle et même très belle aux yeux de tout le monde. Une idylle naît. Alphonse consomme une première nuit, ensuite une deuxième et plusieurs autres nuits, mais la reine refuse d’être payée. Alphonse n’était simplement qu’étonné mais sa mère, elle, au-delà de l’étonnement, y voit une étrangeté. Entre temps, cette mère protectrice est décédée. Venus va-t-elle percevoir enfin la rémunération, que dis-je son salaire après service bien rendu ? Qui était-elle en réalité ? Un fantôme ? Comment Alphonse s’y était-il pris ? Y a-t-il une frontière entre le visible et l’invisible ? A ce sujet, je vous lis cet extrait, à la p.76-77 2eme lecture, pp. 76-77 : « Cette troisième voix est celle de mère ….les humains sont très limités dans leurs capacité de percevoir et de visualiser. »
Je vous invite à découvrir le reste vous-même.
L’épaisseur de l’intrigue, la place de pionner de texte dans le recueil, m’obligent à m’appesantir sur certains éléments. C’est un texte qui aborde, entre autres, la question du visible et de l’invisible, la mort, l’amour, le mystère, la notion du temps, le destin, bref c’est un texte qui interroge notre capacité et notre incapacité d’être humain. A la différence de Franz Kafka montrant « Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine », Robert Adjamian, dans son approche du merveilleux et du fantastique, établit une passerelle entre le monde visible et le monde invisible. Le style d’écriture, quant à lui, est fluide, coulant et digeste. Le deuxième texte intitulé « La malédiction » est l’histoire de la belle fille Houmin dont la beauté fait l’unanimité dans le village Doga. Sa beauté est certifiée, du moins suivant les canons retenus au niveau de cette société. Mais cette beauté se fonde essentiellement sur l’apparence, les aspects physiques. Son premier adepte, c’est le vieux Dègbo. Celui-ci tenait à avoir cette perle dans sa concession et en faire bénéficier à son fils Tossou. Il mit tous ses atouts dans le jeu pour conquérir cette étoile pour Tossou qui n’en est pas moins honoré. Mais une fois installé chez les Dègbo, c’est la désillusion : elle révèle au grand jour la laideur morale qu’elle couvait. Elle réussit à faire l’unanimité contre elle : mari, beau-père, maisonnée et même tout le village se liguent. Une trahison pareille se paye aussitôt. Le vieux Dègbo lui lance un mauvais sort. Quel est ce sort ? Est-il réversible ? La malédiction est un texte retraçant la vie au village, le fonctionnement structural de la communauté : c’est la défense et l’illustration de nos us et costumes. Par exemple, vous y notez le processus du mariage dans les détails, étape après étape. On y découvre une espèce d’organisation horizontale et verticale des différentes couches de la communauté, les paramètres religieux servant à maintenir la fibre de l’équilibre. En le lisant, je n’ai pu m’empêcher de percevoir l’esprit des mots de Camara Laye dans L’enfant noir où il écrit « J’étais enfant et je jouais près de la case de mon père… » Des phrases courtes, incisives, portant l’âme du peuple.
Lecture si nécessaire p. 88 « la hiérarchie sociale se préfigurent… de la société, leur, société. »
Le troisième texte « Une fille à papa » est un réquisitoire contre l’hyper protectionnisme de l’enfant. C’est un mal de notre époque, caractéristique du mode de vie en milieu urbain où des personnes de classe moyenne (ou intermédiaire) exonère leur progéniture des travaux ménagers. Je voudrais emprunter un autre terme du landerneau juridique, le plaidoyer, oui, Robert Edjamian en avocat de la culture africaine, appelle à une éducation responsable de l’enfant africain.
Lecture pp. 146-147 « Sylivie et Sylvestre eurent un fils, sylvain, et une fille Sidonie … travailler à l’école et obtenir un diplôme était suffisant »
La définition de la femme africaine selon Robert Edjamian se trouve à la p.161. Il y a bâti un portrait-robot de cette figure. Venons-en à une appréciation générale de l’œuvre.
Contenu
»L’amant du fantôme » est une série de trois nouvelles offrant une thématique plurielle contemporaine : de l’individu à la communauté, des croyances, du visible à l’invisible et, dans une certaine mesure, l’approche genre. Ce sont des questions contemporaines, ce qui fait du bébé de Robert Edjamian une œuvre de son temps.
Ecriture
Les mots sont justes, la structure phrastique est rigoureuse et le récit permet une facilité, plus précisément une aisance de lecture. En ce qui concerne la théorie du genre, c’est un débat à faire dans une instance autre que l’occasion de lancement de livre. C’est la raison principale pour laquelle je disais texte et rarement nouvelle. Pour le reste, »L’amant du fantôme » est un régal. Je vous le propose avec l’assurance que vous serez sous le charme de l’univers de création de Robert Edjamian. Je vous remercie
Dr Joseph Sohoué