APFB: Chrys Amègan, comment en êtes-vous arrivé à l’écriture ?Poésie d’abord, puis ensuite nouvelle ?
C A: Par la lecture.
Par la lecture et par l’envie d’écrire moi aussi quelque chose qui ressemblerait à mes coups de cœur en matière de lecture. Quelque chose que j’aime lire, qui me ferait « bander » et surtout, qui est de moi. Cela a commencé à l’ENS, où j’ai commencé à écrire mes douleurs, mes révoltes, ma solitude, mais aussi mes espoirs, mes sentiments, mon moi, mon monde. J’écrivais surtout de la poésie, mes récits s’apparentant à des bavardages creux et vides. Mais mes vers, pour moi, semblaient avoir de la contenance, de la kpintitude, de la verve. Alors, je me consacrais à la poésie. J’avais un bloc de papier de lettre dans lequel j’écrivais tout.
Puis, à force de lire, de mûrir, j’ai commencé à donner de la voix sur Facebook, par des posts, sur tout ce qui me touchait, me parle et surtout, me révolte. L’encensement des followers et surtout, l’encouragement de certaines plumes consacrées du pays, m’ont décidé à persévérer. Mais celui qui m’a vraiment décidé à faire de l’écriture créative, c’est le père Destin AKPO. C’est lui qui m’a contacté via Messenger et m’a dit : « Mon frère, quand je vois la kpintitude de ta plume sur Facebook, ce serait un gâchis énorme que tu n’aies pas déjà à ton actif plusieurs manuscrits ».Cette phrase m’a travaillé, mais la vérité est qu’en ce moment-là, je n’avais à ma disposition aucun manuscrit digne du nom.
Puis, en 2019, la situation politique du pays s’est avérée critique. Très critique. Ça tuait, arrêtait et guerroyait entre population et forces de l’ordre et de défense, surtout dans les zones comme Savè, Kilibo, sur le campus, au cœur de Cotonou, etc.en raison de l’Opposition qui était empêchée d’aller aux législatives. Là, dans un groupe Messenger intitulé POLITIQUE ENTRE ENSEIGNANTS, je lis un collègue qui écrit : « J’espère que les écrivains du pays sont en train d’immortaliser tout ce qui se passe afin que nos enfants puissent lire après ce à quoi nous assistons aujourd’hui. » Et je me suis dit, tiens ! à part Les Tresseurs de corde[1]de Jean Pliya, la révolution sous Kérékou n’avait pas vraiment de livre, que les 10 ans de Yayi ne sont fictionnalisés nulle part et qu’il ne fallait pas commettre la même erreur avec Talon. Le même jour, j’ai commencé à écrire et trois mois plus tard, naît Bitawali, un manuscrit de près de 500 pages qui ne verra peut-être jamais le jour.
Par ailleurs, en 2020, Daté Atavito Barnabé-Akayi,qui m’a fait grâce d’être son ami depuis des lustres, m’invite sur un projet d’écriture d’un recueil de poèmes, aux côtés d’autres kpintitudes comme Éric Amayidi, les DrGuy Houndayi et Laurent de-Laure Faton, etc.À cause d’une maladie qui m’empêchait de suivre la masterclass en présentiel, Daté, tellement gentil, me faisant des cours privés inbox sur le fonctionnement réel de la poésie, refondant ainsi totalement ma conception du genre. De cette expérience, va naître un livre en même temps manifeste d’un courant littéraire de la poésie : DIDACTIQUE DE LA BEAUTÉ, ANTHOLOGIE DES POÈTES DE FEU, publié en 2020 aux éditions Plumes Soleil. L’exploit, l’année suivante, va être réédité pour donner naissance à 21 NOUVELLES DU SOLEIL, une nouvelle anthologie préfacée par le professeur émérite Adrien Huannou, publiée chez le même éditeur.
De toutes ces expériences, j’ai appris. Daté m’a formé. Les masterclass m’ont formé. Ajoutés à ma créativité personnelle et mon sens de littérarité inoculé par ma formation et mes lectures, je pouvais maintenant oser véritablement quelque chose d’autonome.
C’est ainsi que sous la pression ou l’impulsion du père Destin AKPO, 60 millions est né aux éditions Savanes du Continent, des manuscrits dormants que j’ai eu à retravailler pour donner le résultat que vous avons là, avec la préface de M. Éric-Amour Amayidi, que je remercie au passage, sincèrement.
APFB : Le père Destin Akpo, Daté et Facebook, voilà ceux qui vous ont fait en tant qu’écrivain. Dites-moi, est-ce pour être redevable à ces deux noms suscités que vous écrivez comme eux?
C A: Je ne pense pas que j’écris comme Daté Atavito BARNABE-AKAYI. Il ne faut pas exagérer. Je n’ai pas sa densité ni le pouvoir de sa créativité poétique (épithète à prendre au sens d’esthétique)
Je n’écris pas non plus comme le père Destin AKPO. Lui écrit le village. C’est un écrivain villageois. Sa plume est villageoise. Tout est villageois chez lui. C’est ce qui le distingue, le caractérise et fait son authenticité. Il est à la suite de Kourouma et autres l’écrivain le plus inaltérable que je connaisse, du point de vue fidélité à sa source, à son chez.
Moi j’ai perdu une grande partie de ma villageoiserie. C’est maintenant que je me reconstitue, que j’essaie de me reconnecter. Parce que pour être un écrivain vrai et authentique, il faut s’écrire, écrire soi-même, écrire son étymon. J’écris surtout mon monde frelaté, hétérogène, fait d’un peu de villageoiserie et de modernité, de par ce que chacun de ces univers porte comme perceptions ou convictions.
Ma plume, je pense, est intrinsèque, puisée au-dedans de l’enfant à cheval entre deux générations que je suis, ni de la génération d’avant 90, ni celle de 2000. Je suis, comme beaucoup, l’enfant de l’entre-deux-générations, partageant hybridement les valeurs des deux espaces-temps avec ce qu’elles (les valeurs) ont de clivant ou de beau.
C’est ce qui, je crois, caractérise ma plume, surtout quand on s’en tient à 60 millions.
APFB: La villageoiserie, vous l’écrivez bien à mon sens et pas très loin de Destin Akpo. J’en veux pour preuve votre village Doutou qui revient fréquemment dans vos nouvelles. Est-ce un retour aux sources ?
C A: Retour aux sources ?Je ne sais pas trop. Seulement, j’ai réalisé que F.C-Z dans ses écrits parlent beaucoup de Cotonou, de Porto-Novo et même de Natitingou (Western Tchoukoutou[2]). Camara Laye de son Kouroussa. Kourouma de sa culture malinké.
Moi, j’étais meurtri de réaliser que personne ne connaît Doutou à part ceux qui y vivent ou qui en sont originaires. Même quand tu parles Houéyogbé, la commune, on te demande où c’est ?
Je n’arrivais pas à comprendre comment on peut méconnaître autant le bourg de l’homme qui a initié le 10 janvier, aujourd’hui transformé en Vodun’s days, Sossa GUEDEHOUNGUE, bourg où j’ai vu défiler plusieurs personnalités de ce pays, et même des pays voisins et occidentaux, venus quérir de la puissance pour avoir plus de pouvoir…
Alors, comme le père Destin le fait pour son Madrinvidé dans ses livres, j’ai décidé d’écrire Doutou dans mes textes afin que ceux qui me lisent sachent qu’il y a une localité qui s’appelle Doutou, la ville des Frères GUEDEHOUNGUE, dont l’un des villages, Agondokounhoué, a accueilli mon cordon ombilical.
APFB: Vous connaissez aussi Porto-Novo, Bohicon, Missérété, Dangbo, … Une bonne influence de AKPO.Vous nous avez fait un peu de géographie et nous connaissons désormais Doutou. Merci à vous.60 millions, pourquoi ce titre, celui de la nouvelle la plus courte en volume ?
C A: Oui. L’objectif est de faire de ces zones le cadre fictionnel de mes écrits, mais surtout créer une toponymie comprenant également des localités de chez moi. Doutou, Hounvi, Dahè, Tohonou, Bopa, Ahloumè, Lobogo, Dodji, Akplégbonou, Atchago, Gbahossouhoué, Togounmè, Hountohoué, etc. qu’on ne voit nulle part dans la littérature béninoise. Car la littérature est aussi une fenêtre de découverte touristique.
Quant à 60 millions, c’est l’éditeur qui a surtout opté pour ce titre. Moi je voulais quelque chose qui ne soit pas éponyme, un titre qui englobe toute l’œuvre. Mais l’éditeur a trouvé que 60 millions, c’était génial, original. J’imagine que c’est beaucoup plus pour des raisons commerciales… Ou esthétiques. Je ne sais pas trop. Moi j’ai validé, c’est tout. Et à la sortie du livre, il a eu raison. Car beaucoup ont acheté le livre parce qu’ils pensaient qu’ils allaient vraiment avoir 60 millions de FCFA en espèces. Ou que le livre était une recette pour devenir millionnaire…
APFB : Est-ce votre imagination qui convertit 60 millions de rials iraniens en cette modique somme en FCFA ? J’invite les lecteurs à lire la nouvelle pour connaître le montant en CFA
C A: Pour plus de réalisme, j’ai checké pour trouver la monnaie la plus faible au monde convertie en FCFA au moment de l’écriture de la nouvelle. Et c’était le rial Iranien. J’en étais surpris moi-même à la vue du résultat…
Par ailleurs, je ne voulais pas non plus en rajouter à la gausserie populaire quant au franc guinéen. D’abord, ce serait trop facile, surtout que la nouvelle vient déjà d’un fait divers. Ensuite, je trouve que constituer une brouette de billets avant de pouvoir acheter une baguette de pain n’est pas un fait devant amuser la galerie, mais un malheur qu’on devrait travailler à éradiquer.
Hier, nos shoes makers étaient majoritairement des Ghanéens. Aujourd’hui, ils ne sont plus là.
APFB: Dans cette nouvelle éponyme, voulez-vous montrer que malgré tout ce qui se dit et que nous savons du FCFA, il est une monnaie forte et qu’il faut la conserver ?
C A: Non ! Je ne suis pas dans ce débat. Je n’y connais rien.
Ce que la nouvelle tient à montrer est l’obsession presque maladive d’une certaine jeunesse (particulièrement féminine) pour l’argent. Cette vénalité, cette mercantilisation de son être, de sa propre chair au point d’éteindre son intelligence ou son cerveau face à certaines situations. Nous avons une race de jeunes femmes aujourd’hui qui, lorsqu’elle est fauchée et affamée, ne voit pas la cause en le fait qu’elle ne veut pas travailler, mais pense que c’est parce qu’elle sort avec le mauvais homme.
Loubè, l’héroïne de la nouvelle, n’a pas réfléchi à la vue d’un western de 60 millions. Le montant à ses yeux si colossalsuffisait déjà. Cela lui est tellement monté à la tête qu’elle a tu tout sens de jugeote, à l’instar de toutes ces jeunes filles aujourd’hui qui n’ont de boulot que de ponctionner la poche des hommes par mendicité professionnelle déguisée.
L’objectif est donc pédagogique, montrer au lecteur l’amer prix de la glandouille, pas d’entrer dans le débat polémique et aporétique du FCFA.
APFB: En dehors de la fonction didactique que vous visez dans cette nouvelle, ne note-t-on une satire des mœurs ?Ces filles qui ne vivent que de MoMo et ont un répertoire fourni de mecs.On le lit aisément à la page 122 : « Ils possèdent des actifs partout dans le monde notamment aux Amériques où vit mon Constantin. (…)j’ai largué mon Blanchard dans la semaine même. (…) Quant à Bifa, je lui ai dit de ne plus jamais m’appeler et ordonner à Émile de ne plus mettre ses sorties de rhinocéros chez moi. »
C A: La satire du matérialisme maladif. Du matérialisme parasitaire. On n’accepte de sortir avec le gars que pour son argent, que pour ce qu’il peut apporter financièrement, et quand on est un peu nympho, on en tolère un qui laboure bien au lit.
L’objectif pour cette jeunesse est de paraître au lieu d’être. Le problème n’est pas le fait qu’elle veuille plaire à une certaine société, à une doxa qui les a embrigadées dans un standard de vie de luxe où tout est sans lendemain et basé sur le factice. Le problème est qu’elle veuille mener cette vie-là sans s’en donner les moyens. Sans travailler dignement mais en vendant leur corps.
La nouvelle fustige surtout ce matérialisme-là mais aussi et surtout, cette paresse légendaire voilée qui fait de soi une proie à l’annihilation. Car c’est s’annihiler que de vouloir mener une certaine vie aisée pour laquelle l’on n’a pas du tout travaillé. Et l’extrait qui accompagne votre question est la preuve que la paresse est mère d’indignité et du multipartenariat surtout chez les jeunes filles fainéantes.
APFB: Vous êtes resté très accroché à l’obsession sexuelle (ce que vous appelez être un peu nympho) dans toutes les nouvelles presque. Et vous enrichissez votre lecteur des expressions tel Mabanckou (par exemple « labourer bien au lit »)Ne peut-on plus écrire autres maux qui minent la société aujourd’hui outre la sexualité ?
C A: De mon point de vue, la plupart des maux qui minent la société sont consubstantiels à notre sexualité. Entendu que la sexualité est l’ensemble des comportements relatifs à l’instinct sexuel ou à sa satisfaction.
Notre sexualité est le socle de tous nos rapports humains. Amour, concubinage, couple, inceste, mariage, prostitution, union libre, érotisme, pornographie, frigidité, dyspareunie, impuissance, procréation, nymphomanie, satyriasis, priapisme, colonisation, migration, etc. Tout ça a un dénominateur commun : le sexe ou la sexualité.
Un homme pour procréer utilise le sexe, manifestant ainsi donc sa sexualité. La plupart de ses problèmes viendront de là. Une femme, même hostile à la procréation, aura d’une manière ou d’une autre des problèmes liés à sa sexualité : dysménorrhée, infections, etc.
La jeune fille pubère a sa liberté restreinte parce qu’on redoute ce qui peut lui advenir si elle utilise mal son sexe. Un jeune garçon qui enceinte très tôt verra le vrai visage de la vie. Toutes les souffrances liées au mariage ont une source : le sexe. Et même l’amour fraternel ou amical le sont grâce à la sexualité.
Les grandes thématiques qui divisent le monde aujourd’hui, l’homosexualité, le féminisme, le polyamour, la polygamie, la politique, les finances, etc. sont des dérivés de notre sexualité. La recherche scientifique, économique, les réflexions philosophiques, tout ça, existe pour une bonne raison : le vivre ensemble nécessaire qu’impose la prolifération des hommes sur terre, laquelle prolifération n’a été possible que par le sexe.
Donc, oui. Il y a des œuvres qui sont plus ancrées sur la sexualité que d’autres. Ces dernières ne traitant que de ses implications. 60 millions, fatalement, explore spécifiquement les méandres d’une sexualité aujourd’hui très éclatée, très débridée, où le sexe, un élément de notre sexualité, est omniprésent, dans les clips, dans les pub, sur les affiches, les réseaux sociaux, dans la rue, etc., où ce qui est très scandaleux hier est aujourd’hui considéré comme normal et encouragé.
Tenez,
Lèlo, dans la première nouvelle, est le symbole d’un atavisme sexuel dévergondé, d’une mauvaise éducation et du multipartenariat normalisé des jeunes filles de nos jours fondamentalement pour des raisons pécuniaires où le principal produit exposé est leur corps. Sessi est le prototype de ces femmes qui se marient sans amour, juste pour l’argent et le prestige, pendant qu’elles font des enfants dehors que le pauvre mari croit être les siens. Elle est le symbole de la psychose du test ADN qui sévit actuellement dans le cœur de certaines femmes mariées de notre société.
Papa-xi est d’un autre niveau. Son talent, cibler et épouser un homme à la retraite abandonné par sa famille et en quête d’affection pour le déposséder de tous ses biens et enfin, le tuer. Tout ça, de commun accord avec son vrai mari. (Deuxième nouvelle)
Maman Junior, c’est toutes ces femmes qui s’occupent plus de leur église que de leur mari ou foyer. Matin midi et soir, elles sont à l’église. Jusqu’à ce qu’elles deviennent la maîtresse du pasteur ou la vide-couille du prêtre. (Troisième nouvelle)
Tigresse est l’imprudence sexuelle incarnée. Fille de pasteur qui voit tout ce qui est enseigné à l’église comme une prison. Prison dont elle s’est libérée pour, finalement, par mauvaise camaraderie, tomber enceinte d’un certain Paul qui n’a pas résisté à son invitation. Ses parents, pour ne pas entacher leur gloire dans l’église, s’opposent à cette union et vont tout faire pour éloigner Paul et l’enfant, en faisant croire au premier qu’elle est décédée avec l’enfant, et à elle-même que l’enfant n’est plus. (5e nouvelle)
Quant à Sally (6e nouvelle), elle montre que les plus grandes violences faites aux femmes et aux filles viennent en réalité des femmes elles-mêmes. Souvenez-vous du phénomène du vidomègon. Et ici, elle a failli tuer sa domestique qui s’est avérée être son propre enfant qu’elle avait abandonnée au bord de la voie quelques heures après l’avoir accouchée.
La dernière nouvelle expose la déchéance morale de Gbèmègnikou qui, en voulant se venger contre son mari qu’elle croyait la tromper avec Miss Mamougo (qui n’est en réalité qu’une bouteille de soɖabi) a tué par le feu ses trois enfants.
Tous ces drames sont des choses qui minent notre société. Et ils ont un dénominateur commun : le sexe ou la mauvaise gestion de notre sexualité.
APFB: Ah sexe quand tu tiens le monde! Merci pour cette réponse qui résume le contenu de chaque nouvelle. Malgré tout ce qu’engendre le sexe et vous avez développé dans les nouvelles, je suis tombé sur un passage où l’auteur montre que la jeunesse peut résister et aller au sexe à volonté mais pas par contrainte. Je nous invite à le découvrir :
« Laisse-moi me déshabiller moi-même lui dis-je. (…) J’abandonné le slip au genou et me plaçai bien en face de lui afin qu’il admire correctement mes perles avec la même avidité qu’il mangeait tout à l’heure mes seins des yeux. Il s’approcha davantage, découvrir la particularité de mes perles et fit un bond en arrière comme une poule effrayée.
— Tu veux me baiser non ? Tu veux baiser une petite fille comme moi n’est-ce pas ? Vas-y, tu peux commencer. Si je suis bien la fille de mon père, si je viens de la terre des Guédéhoungué et de Gbétɔ Aya, je serai la dernière personne que tu baiseras dans ta vie. Allez ! Vas-y, baise-moi, je suis tout à toi, lui dis-je en frappant vigoureusement mon pubis poilu.
Je ne sus comment l’expliquer, mais une grande confiance s’empara de mon être. Un courage de gladiateur. Je n’avais plus peur de lui, plus peur de ses muscles, plus peur de personne. Je m’approchai majestueusement de lui. Et, plus j’approchais, plus il reculait. Merci suppliant de m’éloigner de lui. J’avais porté des perles en cauris. Certains des cauris étaient auréolés de plumes de poussins trempées dans du bissap, donnant à mes perles l’allure d’un grand talisman dangereux aussi inviolable que la chambre secrète de madame Bayor. » pp 242-243, « Bout de chair »
Par ce passage, êtes-vous en train de remettre en cause le pouvoir des talismans ?Où voulez-vous dire que tout ce qui est porté n’est pas du vrai ?Où encore voulez-vous dire que quand on jure ou qu’on menace quelqu’un qu’on vient du Bénin, on est craint ?
C A: Je suis de Doutou, terre des GUEDEHOUNGUE, l’un des épicentres puissants du vodoun avec ses corolaires de protection comme les talismans. Avant les vaccins et autres, c’est avec des talismans qu’on évitait à l’enfant qu’il se fasse manger par les sorciers, qu’il soit victime de la poliomyélite ou de certaines maladies virales, bref qu’il soit épargné de beaucoup de maux.
Quant aux adultes, ils en portent de toutes sortes, avec des fonctions défensives comme offensives. Je ne remettrai donc jamais en cause la puissance du bo, encore moins des talismans.
Seulement, dans tout ce qui fonctionne, il y a toujours du charlatanisme. Du faux. Porté par des désespérés paresseux dont le but est d’arnaquer les gens, parfois au péril de leur vie. Car il y a des entités qui n’acceptent pas qu’on les utilise à des fins mercantiles ou pour du faux.
Mais ici, dans cette scène présentée, il s’agit d’une manœuvre trouvée par une jeune fille juste pour se soustraire d’un abus sexuel, juste pour éviter un viol. Et ça a marché.
Les femmes plus que les hommes sont souvent victimes des abus sexuels. On s’en est tout le temps plaint. Et même les solutions judiciaires qui viennent en aval ne sont que punitives, manifestement pas très dissuasives, puisqu’il faut toujours respecter les droits de l’homme…
Je crois que cette scène postule une nouvelle solution en amont, puisée dans nos réalités endogènes, qui permet d’éviter d’être victime du crime, en le limitant à une tentative et en permettant à la proie de prendre l’ascendant ou du pouvoir sur son prédateur.
APFB : C’est compris. Dans « La soutane fouineuse », la 3e nouvelle, c’est la lanière qui raconte l’histoire à un mur. Pourquoi avoir choisi cette technique narrative comme Mabanckou qui fait raconter les Mémoires de porc épic par ce dernier à un baobab?
Est-ce votre manière de porter des gangs et donner un caractère vraisemblable à cette histoire qui a été virale sur la toile il y a quelques années ?
C A : Porter des gants ? Non ! Je ne pense pas que la nouvelle déploie des thématiques socialement ou politiquement sulfureuses pour exiger que je m’embourbe dans de fallacieuses précautions scripturales.
Je n’ai pas lu ou appris que Ferdinand Oyono a eu des ennuis cléricaux pour avoir si vertement critiqué l’église catholique dans Une vie de boy ni Mongo Beti, spécifiquement, pour ce qu’il a fait de cette église dans Le pauvre Christ de Bomba.
Plein de gens au quotidien critiquent l’église catholique, les églises évangéliques, le vodun, et même Dieu dans leurs écrits sans représailles majeures il me semble. Heureusement.
Il ne s’agit donc pas d’une prise de gants, ni d’une vraisemblabilisation outre mesure puisque l’histoire, ici aussi, si les gens s’en rappellent, est un fait divers fictionnalisé.
J’ai voulu ici en emprunter à la littérature fantastique, ou pour être plus précis, à la littérature orale. J’ai voulu postuler une réinvention du conte où prolifèrent souvent des personnages animaliers et des actants poignants. J’ai voulu, à l’instar des auteurs que vous avez cités, faire comme Daniel Canty dans Wigrum[3] et André Benchetrit dans Très grande surface[4] où, soit c’est une voiture qui parle, soit une poupée, soit une paire de jambes, soit un pamplemousse.
L’objectif est aussi symbolique. Dans la mesure où je vois la lanière non seulement comme un actant important dans l’histoire (il est un adjuvant pour le prêtre concubin), mais aussi comme l’œil de Dieu. Un message envoyé à tous ceux qui pensent être à l’abri des regards en perpétrant le mal en catimini.
Qu’ils ne pensent pas qu’ils sont seuls. Si personne ne les voit, Dieu, à travers les objets qui les entourent, les voit et les jugera au moment opportun s’il n’est pas trop occupé à ronfler.
APFB : Parlons de la dimension fantastique puisque vous l’avez évoqué. Dans cette nouvelle, vous faites une incursion dans le fantastique à travers le rituel magico-religieux qui constitue à faire l’amour par les endroits interdits et sur exigence pour un rituel. Et c’est l’homme de Dieu qui condamne l’infidélité sexuelle et même religieuse qui pose ce double acte. Optez-vous pour le syncrétisme religieux ?Qu’est-ce qui motive cette présentation chez vous ? Est-ce Les caves du Vatican pour emprunter le titre de Gide avec toute la critique que nourrissent les prêtres (la pédophilie, l’homosexualité, les sectes…) qui vous amène à en évoquer ?
C A : Je n’y vois pas de syncrétisme religieux, en cela que le fait de faire l’amour par des endroits interdits ne relève pas spécifiquement d’une religion. Mais relève d’un fait sociologique humain basé sur des fantasmes ou sur des perceptions culturelles spiritualistes.
Contrairement à ce que l’on croit, l’homosexualité, et plus précisément la sodomie, ont toujours été des pratiques africaines ancrées dans les habitudes sexuelles de plusieurs peuples avant même l’arrivée des Blancs. Ce sont même parfois des pratiques initiatiques.
Chez les Kivaï par exemple, la pratique rituelle de la sodomie était courante et était socialement interprétée comme rendant les jeunes hommes plus vigoureux.
Dans le Nord-Ouest de la Zambie, le rite Mukanda ou le rite de la circoncision des garçons, était particulier. Les initiés mimaient souvent la copulation en se servant du pénis de l’initiateur le plus âgé. Cet acte était considéré comme rendant le sexe de l’initian dus plus fort, à l’instar de celui de l’initiateur.
Dans d’autres groupes Bantou, les garçons restaient nus durant toute la première phase de l’initiation ou ils recouvraient la santé après la circoncision. Pendant cette période de cicatrisation post-circoncisionnelle, ils s’occupaient en jouant avec les pénis des gardiens des loges initiatiques ou avec ceux de leurs assistants. Cela était considéré comme accélérant la cicatrisation et partant, la guérison, et les initian dus ou novices espéraient aussi qu’en le faisant, leurs propres pénis, s’accroîtraient. Tous les visiteurs des loges initiatiques « subissaient » le même traitement.
Ailleurs, chez les Bantous parlant le Fang au Gabon, au Cameroun ou en Guinée Équatoriale, les relations homosexuelles étaient perçues comme le médicament pour être riches. Cette richesse était transmise du partenaire réceptif vers le partenaire insertif dans une relation pénio-anale.
C’est cette dernière perception ritualiste de l’enculade qui est beaucoup plus répandue, en cela que le sexe, dans sa pratique même normale entre un couple hétéro, est vu comme un transfert d’énergie. Une communion spirituelle entre les deux partenaires.
Lorsqu’il est dévoyé dans sa pratique, c’est-à-dire par des voies interdites, il relèverait (j’insiste sur le conditionnel) d’une ponction totale de l’énergie du ou de la partenaire qui s’y est soumis(e) par le partenaire insertif pour gagner en puissance, monter en grade et avoir plus d’entregent en société.
C’est comme ça qu’il existerait des filles ou des femmes complètement paumées, errantes sans jamais trouver une vraie relation de couple, ou même une vie décente, simplement parce qu’elles ont eu à coucher avec un homme d’un certain niveau social ou de richesse, qui les a vidées de leur énergie vitale.
Le prêtre dans la nouvelle semble être dans cette logique. Puisqu’il était attendu par les membres de sa loge pour un rituel ultime important. Sodomiser, pas n’importe quelle paroissienne, mais la présidente du groupe de prière, une femme qui a donc un certain pouvoir, ne relève donc pas d’un simple fantasme pour le prêtre, mais d’un plan savamment concocté pour faire partie d’une organisation sectaire et bénéficier de plus de pouvoirs.
Le mari de la femme était donc un élément perturbateur pour lui, qui a failli contrecarrer ses plans. On comprend donc sa rage contre lui. La scène est donc pédagogiquement dissuasive pour toutes les femmes adeptes des paroisses ou églises. Le prêtre, le pasteur ou le hounnongan est d’abord une autorité spirituelle morale. Il ne saurait être un partenaire sexuel, sauf en cas d’une union normale conventionnelle. Remarquez que le prêtre n’a rien fait avec la dame auquel celle-ci n’a pas prêté flanc. Ce qui signifie que rien de ce qui est arrivé ne serait arrivé si la dame ne l’avait pas permis. Si le prêtre est à blâmer, la responsabilité de la femme n’est pas non plus moins engagée.
APFB : Parlons à présent de la nouvelle « Bout de chair ». Vu son volume, et le nombre varié de personnage qu’il comporte, pourquoi n’avez-vous voulu l’isoler pour en faire un roman ?Et si on (un éditeur)vous demandait un jour de transformer l’une des nouvelles en roman, laquelle prendrez-vous et pourquoi ?
C A : Il y a des textes dont l’écriture vous donnent du fil à retordre. Qui fait de l’écriture créative sait ce dont je parle. C’est le cas particulièrement de ce texte « Bout de chair » qui est partie d’une anecdote qu’on m’a racontée : une femme qui a failli tuer sa gouvernante qui s’est avérée être sa fille.
Je voulais cette histoire émotionnelle, mettant un accent particulier sur le parcours à la Golgotha de la jeune fille domestique.
Pour ça, il me fallait transgresser les lois inhérentes à la nouvelle, notamment la brièveté. Il fallait que j’aille dans l’intimité de la jeune fille, dans sa genèse, dans les menus détails de son parcours victimaire des actes et décisions prises et posées par des gens en position d’être son géniteur.
J’avais donc un dilemme : comment intensifier tout ça tout en garantissant la brièveté. Je n’ai pas trouvé la solution et celle proposée par mes bêta-lecteurs, à savoir supprimer tout le passage de Madame Bayor, ne m’a pas convaincu. Car c’est là qu’elle a subi une tentative de viol, c’est là, en étant victime, qu’elle a pris le pouvoir sur son prédateur. Et c’est là qu’elle a été formée à la vie citadine. C’est grâce à cette parenthèse qu’elle a été expédiente pour gagner l’appel d’offres lancé par le couple Sébastien et Sally où elle découvrira sa mère.
J’ai donc laissé le texte tel quel. Entendu que la brièveté n’est pas vraiment ce qui caractérise fondamentalement la nouvelle. En témoignent les textes comme Carmen de Mérimée, La métamorphose de Kafka, Le Horla de Maupassant et même, tout près de nous ici, Partir ou rester, l’infâmante république d’Habib DAKPOGAN qui a été primé, non pas comme un roman, mais comme une nouvelle.
Par ailleurs, maintenant que vous le dites, peut-être envisagerais-je d’isoler ce texte pour le publier de façon autonome en tant qu’une novela (pas trop long pour être une nouvelle et trop petit pour être un roman)
APFB : Super ! Parlons un peu de votre style, les noms des personnages, les figures de style et le lexique que vous choisissez sans oublier la série de néologismes que vous créez et tout le reste. Qu’est-ce qui motive cette technique créative et pourquoi ? Quels lectorats visez-vous en écrivant ainsi ?
C.A : Le lectorat béninois.
L’onomastique est créée pour épouser le projet créatif, mon projet créatif. Puiser dans mon univers linguistique tout en maintenant une certaine universalité.
Lèlo est une apocope de Lèlonon, terme qui désigne dans ma langue, le saxwègbé, une péripatéticienne. À la différence qu’ici dans la nouvelle, sa prostitution est une prostitution sociologisée.
Le patronyme Yakamin de Martin est un mot mina, langue que je maîtrise également, qui signifie « ordures ou déchets ». Bref, c’est une insulte grave que de se faire injurier Yakamin en guingbé. Et quand on voit comment il s’est comporté avec Lèlo, il est vraiment le prototype de tous les hommes Yakamin qui abusent des femmes.
Les do-Santos ne sont utilisés que pour l’entregent de riches dont ils jouissent dans certains imaginaires.
Antonin est un prénom qui m’amuse, en cela qu’il évoque chez moi, comme chez tous les mina, Antovi, le singe en français. Il désigne généralement des gens empêtrés dans des problèmes rocambolesques, comme le personnage dans la nouvelle.
Ahovi, dans les langues du continuum gbé, s’entend. C’est le comprometteur. Le créateur des ennuis.
S’il y a des gens qui se prénomment effectivement Sally, la connotation phonétique de ce prénom est ce qui m’a intéressé. Il désigne ce qui est sale, comme le comportement ou les actes posés par le personnage dans la nouvelle. Quant à sa fille, Yébè, son nom signifie « celle qu’on a ramassée », vu qu’elle est une enfant abandonnée effectivement ramassée et élevée par un homme dont la femme n’arrivait pas à concevoir.
Je ne parlerai pas de Gbèmègnikou que tout le monde connaît déjà pour l’avoir lu dans 21 nouvelles du soleil.
Les néologismes relèvent d’un souci de vulgarisation de nos langues et de tropicalisation de la langue française. Je suis saxwè. Je pense et écris fondamentalement en saxwè d’abord avant de le transcrire en français, d’où les expressions comme « Combien d’âges as-tu ? », entendu que c’est ainsi qu’on le dit dans ma langue.
Le lectorat visé donc est fondamentalement béninois, et accessoirement celui du monde. Chaque écrivain a son univers de création. Au lecteur d’investir cet univers pour mieux le comprendre, comme nous l’avons fait pour les Hugo, Zola, Tolstoï, etc.
APFB : Voilà qui est bien dit et bien détaillé. Faisons une incursion dans l’univers de Hugo. A 14 ans, il disait : « Je veux être Châteaubriand ou rien ». Et 14 ans après, avec la première représentation d’Hernani, Châteaubriand disait : « Je m’en vais, monsieur. Et vous venez ».Qui vous-voulez être dans la littérature béninoise ou africaine ? Et pourquoi ?
C.A : Personne. J’aimerais juste avoir la liberté d’être moi. Moi transi de tous les meilleurs écrivains que j’ai lus et que j’ai encore à découvrir. Je ne rêve de devenir spécifiquement personne à part m’explorer davantage jusque dans les confins les plus éloignés de mon imaginaire. Parce qu’on ne se connait pas, jusqu’à ce qu’on commence à écrire. Et là, on découvre, stupéfait, ce qu’on est capable de faire quand on est seul avec la page blanche.
APFB : Je dirai donc que Chrys voudrait être lui-même ou rien. C’est donc une connaissance de soi avec vous. Dans sa préface à 60 millions, Éric AMAYIDI voit que vous écrivez le féminisme autrement. Idée que je ne partage pas en tant que lecteur lambda. Comment définissez-vous et concevez-vous le féminisme ? Établissez-vous une dichotomie entre le romantisme intimiste (dans lequel vous vous inscrivez selon moi) et féminisme ? Si oui, éclairez-nous.
C A : Le féminisme 2.0 tel qu’il fonctionne aujourd’hui est un féminisme victimaire, mercantile, mendiant, contradictoire et dolosif.
Victimaire parce qu’il se complaît à outrance plus dans la victimisation que dans les actions. Une victimisation d’ailleurs cynique, puisqu’elle exclut toute interrogation de la responsabilité des femmes dans les actes criminels dont elles sont victimes. Une femme se fait violenter par homme. Tout le monde est d’accord que l’homme a péché. Mais la doxa féministe interdira qu’on interroge la responsabilité de la femme dans ce délit. Si vous le faites, c’est que vous êtes forcément vous-même partisan des violences faites aux femmes. Et le cri ira crescendo dans toutes les chancelleries féministes.
Contradictoire parce que ce même cri ne se fait pas entendre quand c’est l’homme qui est victime de cette même violence. On dénonce les violences faites aux femmes. Mais on se tait quand il s’agit des violences faites aux hommes par les femmes. On s’en réjouit d’ailleurs. Certains y trouvent une certaine vengeance. Comme quoi, c’est bien fait pour cet homme-là qui a été ébouillanté à l’acide, qui a eu son pénis coupé ou qui a été injustement mis en prison. Et quand on leur reproche leur silence, on dit d’aller créer le masculinisme pour dénoncer cela. On a été témoins des haches girls ici, des hommes tués à l’acide par leurs femmes, etc. On sait comment cela a été dénoncé, comparé aux actes de viol sur les femmes. Aucun écho. Aucun cri. Par ailleurs, les mêmes qui dénoncent les violences faites aux femmes trouvent qu’il y a néanmoins des violences réparatrices quand ladite violence est commise pour les défendre. Là, c’est bien. Le cas Will Smith giflant un homme aux Oscars 2022 ayant manqué de respect à Jada en est éloquent.
C’est un féminisme mendiant parce que si elles se plaisent à dire que tous les hommes sont des chiens, ce sont ces mêmes hommes qu’elles sollicitent, financièrement pour promouvoir les mouvements ou autres opérations de sensibilisation féministes, oubliant de facto que ces hommes sont des chiens, qu’elles viennent elles-mêmes d’un père masculin, donc chien, et qu’elles ont des frères qui, par conséquent, sont aussi des chiens.
Il est mercantile ce féminisme parce que c’est un secret de polichinelle qu’il y en a qui font du féminisme alimentaire. Ils ou elles ne sont féministes que pour les prébendes que les ONG et autres organisations occidentales sont prêtes à déverser sur euxdans la promotion de la déstructuration de la société africaine. On crée donc, pour justifier ces fonds, des camps fantoches par-ci et par-là pour sensibiliser les jeunes filles sur comment refuser le sexe à leur mari pendant des mois alors qu’elles sont mariées, comment porter des tenues dévergondées et comment être libre de leur sexualité, au seul motif que c’est leur corps, qu’elles ont le droit d’en faire ce qu’elles veulent. Ou même, comment dire qu’une femme mariée doit être rémunérée par son mari pour le ménage qu’elle fait dans le foyer.
Pour finir, féminisme dolosif parce que les leaders trompent la masse, créent des divorces et des conflits dans les couples par leurs discours de rébellion contre l’autorité de leur conjoint, alors qu’elles sont bien soumises, vivent totalement autre chose dans leurs foyers respectifs.
60 millions nage en chassé-croisé, rompt avec cette figure de femmes pleurnichardes, victimaires, toujours saintes, diabolisant tout le temps les hommes, pour les mettre en face d’un miroir où elles contemplent enfin leurs propres laideurs.
Lèlo a été abusée par des hommes. Mais elle n’est pas moins responsable de ce qui lui est arrivé. Car, personne n’est allé la violer chez elle. Elle a ouvert ses cuisseselle-même. On ne peut pas, si on veut être sérieux, continuer de se prendre pour une victime alors qu’on a 3 enfants de pères différents. Un être humain est fait pour que les erreurs lui servent de leçon.
Sessi est le diable incarné, puisqu’elle gifle et traite son mari de tous les noms d’oiseaux pour l’avoir trompée alors qu’elle lui fait des enfants dans le dos.
Maman Junior a payé de sa vie ses propres turpitudes en abandonnant époux et enfants pour aller se jeter dans les bras d’un prêtre qui l’a utilisée à des fins ritualistes. Le prêtre est à blâmer. Mais il faut voir aussi ce qu’elle-même a fait.
Loubè, dont le nom signifie « bête » par connotation en saxwègbé, est victime de sa propre naïveté née de son obsession pour le paraître et l’argent.
Sally, une femme, est championne en violence faite aux filles et aux femmes et destructrice des vies par des pratiques occultes.
Et papa et maman Tigresse ont détruit la vie de leur fille au nom de leur gloire dans l’église.
Voilà les laideurs des femmes dont le féminisme 2.0 ne veut pas qu’on parle. Car le dire, pour elles, c’est être misogyne. 60 millions rappellent donc simplement que nous sommes tous des humains, qu’on soit femme ou homme, avec nos qualités et nos défauts. Et qu’on vivrait mieux à travailler, non pas contre les abus et les violences faites aux femmes, mais contre les abus et toutes les violences quelle que soit le sexe ou l’âge de la victime.
Donc, mon féminisme est un féminisme de responsabilité. Pas un féminisme victimaire et capricieux incapable d’assumer les conséquences de ses propres actes.
APFB : On ne saurait parler de littérature sans s’intéresser à la vie littéraire au Bénin. Nous souhaitons qu’un jour vous soyez lauréat de prix littéraires (béninois ou international).Que pensez-vous de la politique du Grand Prix littéraire du Bénin ?De la mission des lauréats dudit prix ?De l’industrie du livre? Et de l’état de la littérature béninoise d’aujourd’hui ?
C.A : La politique du GPLB est une politique orpheline de la volonté réelle de booster le secteur du livre au Bénin.
Je rêve de la mise en place d’un fonds de mobilité des écrivains au Bénin afin que ceux-ci puissent participer aisément à des activités littéraires à l’extérieur.
Je rêve de la mise en place d’un réseau souterrain d’activités littéraires dans tout le pays en prélude au Salon National du Livre du Bénin, pour que cela ne soit pas une rencontre sur invitation des amis aux plumes primées de la sous-région, mais quelque chose de vraiment inclusif où l’on réussisse à soulever tout le pays autour du livre à travers des concerts d’artiste prisés, avec des sons commandés, où l’accès à la salle est subordonné à l’achat d’un livre. Juste une piste.
Je rêve de voir le GPLB happé dans une tournée nationale littéraire, avec les moyens mis à sa disposition, pour vulgariser le contenu de son œuvre dans les contrées reculées du pays via des cafés littéraires. Que son livre soit le livre le plus vendu, le plus lu parce que le plus médiatisé jusqu’à ce que le prochain prix vienne le détrôner.
Quant à l’état général de la littérature béninoise, c’est une littérature vivifiante. Il reste à travailler pour qu’elle soit une littérature de qualité. Pour ça, il faut davantage de prix littéraires. Prix FCZ de la nouvelle par exemple. Prix Jean Pliya du théâtre. Prix Dominique Titus du Polar. Prix des éditeurs du Bénin. Prix Paul Hazoumè du roman. Prix tel de la poésie, etc.
Et pour l’industrie, ce qui nous manque cruellement, c’est une imprimerie digne du nom où l’on fabriquera des livres que l’Occident et le monde respecteront.
APFB : Chrys Amègan, merci.
C.A : C’est moi qui vous remercie pour l’honneur.
Propos recueillis par Larios AGBANGBE pour Biscottes Littéraires
[1] Les tresseurs de corde, Jean Pliya, Hatier, 1988.
[2] Western Tchoukoutou, Florent Couao-Zotti, Gallimard, 2018.
[3]Wigrum, Daniel Kanty, La peuplade, 2011.
[4]Très grande surface, André Benchetrit, Léo Sheer, 2004