Voici un livre qui ne laissera personne indifférent. Un livre différent des autres aussi bien par sa facture que par sa profondeur. Un livre qui, dans sa thématique, recentre et concentre sur l’essentiel, le débat des divers errements et rejets mutuels favorisés par ce qui devrait pourtant réunir le monde entier autour de sa commune soif et quête de Transcendant. S’il est vrai que la soif du numineux est inscrite au cœur de tout homme et que les intolérances religieuses ont engendré de par le monde des clivages et des nids de suspicion, il demeure évident que bâtir la civilisation de l’amour, gage de paix et de prospérité pour notre planète, c’est aussi confesser sa foi en ce principe inamovible du droit à la différence. L’unité dans la diversité passe aussi par la vérité dans la charité. Et quand l’auteur du « monde arc-en-ciel ose prendre à rebours certaines pratiques et mentalités stratifiées et solidement ancrées dans la roche dure des traditions et coutumes, il entend donner à la jeunesse les armes nécessaires à sa propre construction, une certaine anthropogenèse. Et c’est avec joie que nous accueillons son livre et nous aligner derrière Rodrigue ATCHAHOUE qui affirmait « Je suis contre tous ceux qui affirment, sans un développement convaincant, que la littérature béninoise se porte mal. Elle se porte bien, et très bien même. » Ainsi s’indignait Rodrigue ATCHAHOUE dans l’interview qu’il nous a accordée le 19 septembre 2017 ( http://biscotteslitteraires.com/2021/interview-de-monsieur-rodrigue-atchahoue/) Au dire de l’écrivain, le livre au Bénin connaît de plus en plus un essor, de nouvelles plumes apparaissent et convainquent de ce que le glas de la littérature béninoise n’est pas près de sonner. Et l’on peut se réjouir que Hervé K EZIN OTCHOUMARE fasse couler un sang neuf aux artères du corps littéraire béninois en signant « Le monde arc-en-ciel« , (roman jeunesse, 73 pages). L’œuvre est paru aux Editons La Doxa (France) en 2017. Dans ce travail, nous présenterons un bref résumé de l’œuvre avant d’en relever les grandes lignes et d’établir les comparaisons qu’elle nous inspire. Pour en savoir davantage sur l’auteur, cliquer sur le lien que voici : « http://biscotteslitteraires.com/2021/interview-monsieur-herve-ezin-otchoumare-heo/ .
I- Résumé de l’œuvre
Un roi sentant sa mort prochaine, fit venir près de lui son enfant et lui parla de l’urgence qui lui incombe de se préparer à sa succession à la tête du royaume. Le prince, Nicolas, confessa sa crainte de mener à bien cette entreprise. Il n’avait aucune expérience et ses narines n’avaient jamais humé un autre que celui du Royaume de Yorodidi. Il demanda et obtint du roi, son père, d’aller à la rencontre du monde et d’en savoir davantage sur les différentes religions qui peuplent la terre. En effet, à Yorodidi, il n’y avait que l’animisme dont le roi vantait les mérites en déplorant le mépris dont il a été l’objet de la part de l’Occident chrétien qui l’a diabolisé et vandalisé. Il lui parla de la balkanisation de l’Afrique. Nicolas partit. Son voyage connut quatre étapes au cours desquelles il s’instruisit respectivement sur l’Islam, le christianisme, l’athéisme et la communauté sans nom. Ainsi, la première étape le trouva en pays musulman. Il fit la rencontre d’Ahmed, le cordonnier qui lui servit de guide et l’introduisit auprès de son père. Ce dernier ouvrit les yeux de Nicolas aux fondamentaux de l’Islam, tel qu’il doit être pratiqué, contrairement aux vues étriquées des fondamentalistes qui veulent réduire et soumettre le monde musulman à un esclavage doctrinal basé sur la charia. Par ailleurs, il découvrit l’hypocrisie de cette mégapole où cohabitent misère déshumanisante et luxe arrogant. Le plus vieux métier du monde avait aussi son mot de passe. Il comprit que même sous le voile et contre la rigueur ou le rigorisme de la loi, la prostitution pouvait s’épanouir. Généreux, il sauva la fille « vendeuse de plaisirs », en lui payant ce qu’il fallait pour qu’elle ne soit plus obligée de troquer son corps contre l’argent que nécessitaient ses études. Sa découverte de l’Islam terminée, Nicolas mit le cap sur un autre pays. A la deuxième étape de son voyage, il entra en contact avec le christianisme. Ceci eut lieu dans le monastère où il atterrit et où il était atterré devant la splendeur et la profondeur du silence et de l’ordre qui y régnaient. Il ne comprenait pas comment les moines et les moniales fassent vœu de chasteté et de célibat. L’aumônier du monastère se chargea de son instruction. Devant le mystère de la Trinité et de Marie Mère de Dieu, le prince émit des réflexions qui scandalisèrent l’aumônier. La cuisinière du monastère, au détour d’une rencontre fortuite, lui enseigna les erreurs du christianisme, les autodafés, les conquêtes et autres barbaries perpétrées au nom de Dieu. Devant tout ceci, comme jadis en face des atrocités de l’Islam, Nicolas conclut, pensant aux dieux de son royaume : « Là-bas au moins, les dieux, à travers les fétiches, ne brûlent pas des gens. Ils sont certes édentés, volent des poulets, des chèvres et l’argent des pauvres. Mais… » (P.46). Le jeune prince fit voile vers une autre ville où il rencontra Nathalie, étudiante et chrétienne. Ils fraternisèrent rapidement et la jeune fille satisfit à son désir : en savoir davantage sur l’athéisme. Elle le conduit auprès de son professeur qui par force arguties et grandes démonstrations à partir du postulat de l’existence du mal dans le monde, convainquit rationnellement Nicolas de l’inexistence de Dieu. Selon lui, même l’origine de la création peut être démontrée scientifiquement sans aucun recours à Dieu. En quittant le monde athée, il échoua, accompagnée de Nathalie, dans la « communauté sans nom ». Il fut édifié par leur philosophie, mieux leur objectif commun : « former un monde arc-en-ciel où toutes les couleurs s’unissent et se complètent. » (P. 63). Nicolas était au terme de son périple. Il reçut de Nathalie la preuve de son amour. Il s’envola avec elle au royaume natal. Le prince eut la joie de voir son père avant qu’il ne s’éteignît. Les obsèques eurent lieu. Nicolas devint roi, épousa Nathalie et, dans son discours inaugural, fit lever sur le royaume de Yorodidi, une aube nouvelle, avec la conviction que le monde arc-en-ciel n’était pas une chimère : « Quelle que soit la couleur de ta peau, quelle que soit ta religion, quelle que soit ton ethnie, quel que soit ton sexe, tu es une valeur ajoutée à l’humanité. (…) » (P.71).
II- Les grandes lignes de l’œuvre
1- La tolérance religieuse
Le jeune Nicolas se rend compte, après le tour des religions côtoyées, que la terre serait plus vivable et un véritable havre de paix si les hommes s’acceptaient les uns les autres. La grande aberration, c’est de voir le monde divisé par ce qui devrait l’unir fondamentalement: la religion. L’auteur affirmait d’ailleurs ceci :
« La religion devrait être une source d’unité. Mais beaucoup en ont fait une source d’absurdité. Le mot religion a deux sources étymologiques : du latin relegere (rassembler) et religare (lier, relier). Ces deux sources donnent à la religion deux dimensions : la dimension verticale (la religion relie un homme à un Dieu) et la dimension horizontale ou ecclésiale (l’unité entre les croyants). Quand la dimension horizontale (l’unité) n’existe plus, celle verticale s’effondre et la religion n’a plus de sens. Le Dieu que certains ont façonné et placé dans des religions semble être un Dieu qui est contre l’homme. Et c’est l’un des phénomènes qui déchirent notre monde aujourd’hui. Nous devons accepter que le chemin pour aller à Dieu passe nécessairement par l’homme. Et celui qui respecte la dignité humaine peut être sûr qu’il n’est pas contre Dieu. » (http://biscotteslitteraires.com/2021/interview-monsieur-herve-ezin-otchoumare-heo/)
Etre authentiquement soi, n’implique pas nécessairement le rejet absolu de l’autre. Dans la logique du vivre ensemble et de l’être avec et pour les autres, il revient à chacun d’intégrer le respect des croyances et de la liberté religieuses de l’autre. Le fondamentalisme est une pauvreté mentale, un aveu de faiblesse, un échec inavoué : « Toute religion qui ne permet pas l’épanouissement de l’homme n’a pas sa raison d’être ». (P.58).
L’ouverture à l’autre est aussi enrichissement, c’est le début de la tolérance religieuse. Un proverbe Mina le dit bien : « C’est l’enfant qui n’a jamais traversé les limites de la case maternelles qui croit qu’il n’y a que sa mère qui sache préparer des mets succulents. » Sortir de soi, aller à la rencontre de l’autre, c’est apprendre à apprécier ce qui est Beau, Vrai et Bien chez lui. Cela est urgent pour l’Afrique.
2- La re-construction de l’Afrique par l’Afrique
Le livre s’ouvre sur un long réquisitoire aux occidentaux, réquisitoire construit sur fond d’atavisme et de relents de négritude. Certes, l’Afrique a fait une expérience douloureuse dans sa rencontre avec l’Occident. Aimé Césaire a dit que c’est un malheur pour nous d’avoir rencontré sur notre chemin cette France-là. (Cf. Discours sur le colonialisme). Mais il nous faut nous réveiller pour re-bâtir notre histoire et tracer la route pour notre avenir. Les pleurs n’ont jamais éloigné le malheur, ni conjuré le sort. L’Afrique longtemps diabolisée, balkanisée, spoliée, dominée, infantilisée, est appelée à aller au large et sans se refermer sur elle-même ni se diluer dans le néant. Ne l’oublions pas : « Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’universel », écrivait Césaire dans sa Lettre à Maurice Thorez. Trouver son propre chemin, c’est aussi aller à l’école de la tigritude et convenir avec Frantz Fanon qui dit dans la conclusion du livre « Les damnés de la terre » Non, nous ne voulons rattraper personne. Mais nous voulons marcher tout le temps, la nuit et le jour, en compagnie de l’homme, de tous les hommes. Il s’agit de ne pas étirer la caravane, car alors, chaque rang perçoit à peine celui qui le précède et les hommes qui ne se reconnaissent plus, se rencontrent de moins en moins, se parlent de moins en moins. » Il faut le dire, « Felwine Sarr a raison : «L’Afrique n’a personne à rattraper».
III- Quelques recoupements
Le livre se laisse apercevoir comme construit sur les contes philosophiques de Doestievsky (Les frères Kamarazov). L’itinéraire de Nicolas (dont le nom signifie la victoire du peuple) a quelque chose de russe. Volontiers on la compare au personnage principal des Récits d’un pèlerin russe. Mais fondamentalement, on y lit l’aventure du prisonnier du mythe de la caverne de Platon, qui a pu quitter la caverne et y est revenu après avoir contemplé le monde des Idées. La même courbe est présente chez Nicolas. Mutatis mutandis, on pourrait dire que Le monde arc-en-ciel, est une « adaptation » du mythe de la caverne. Nicolas sort de Yorodidi, comme l’esclave de la caverne (dialectique ascendante). Comme lui dans le monde des idées, il va à la recherche de la vérité sur les notions jusque-là ignorées de lui (dialectique contemplative). Il retourne dans son Yorodidi comme le prisonnier dan sa caverne : la boucle est bouclée (dialectique descendante). Ces recoupements philosophiques réjouissent davantage quand on comprend qu’ici nous sommes en face d’un roman pour la jeunesse et que le parcours de Nicolas est un parcours initiatique. Sous la plume de l’auteur, il s’initie à la science, s’ouvre à l’altérité, rejette le mythe et la conjoncture de la négation de l’autre et de son rejet. Mais sur un autre côté, il s’agit de voir dans le parcours de Nicolas, la démarche fondamentale qui devrait être celle des africains: ne pas s’installer en Occident au terme des études. Il faut revenir au pays natal pour mettre les expériences acquises au service du développement du monde noir. On le voit dans l’intention de La Grande Royale. Il s’agira d’apprendre de l’autre ce qui nous manque pour notre développement. Et l’expérience a été concluante avec Nicolas: ses nombreuses découvertes lui ont permis de mettre son règne sous le signe du renouveau. L’œuvre se veut en réactualisation de la pièce de théâtre « Le Respect des morts » d’Amadou KONE qui y écrit : « Je ne dis pas de vivre aussi comme le Blanc. Je dis de prendre chez lui les armes qui lui permettent de nous dominer.« . Il faut nécessairement revenir re-construire le royaume natal. Voltaire n’a pas tort : « Il faut cultiver son jardin« . Notre jardin a besoin de nous, revenons y déployer nos râteaux et binettes.
IV- Mes impressions
Elles vont du fond à la forme. Dans le fond, les thématiques abordées sont actuelles et poussent à la réflexion. Elles bousculent et dérangent. Comment assumer notre passé et nous positionner face à l’avenir dans ce concert des nations où les guerres de religions et d’idéologies ne sont pas près de tirer leur révérence? Telle est la question fondamentale qui domine l’œuvre.
De la forme, l’on dira sans conteste que le style est agréable, accessible et dynamique. L’on est surpris agréablement de la dextérité de l’auteur à faire comme le résumé de l’histoire de l’islam et du christianisme, à repeindre le choc culturel entre l’Afrique et l’Europe et les rapports de domination de celle-ci vis-à-vis de celle-là et à aborder des questions graves sur le vécu des consacrés en si peu de pages et dans un style agréable. On notera que le roman est écrit comme un conte, avec des personnages au nom populaires mais habitants des pays imaginaires. La réalité et de la fiction s’imbriquent et nous laissent tantôt vivre des choses qui nous sont propres, tantôt dans un monde édénique qui constitue en réalité la finalité que vise l’auteur : « La communauté sans nom ». Le paradis terrestre où règnent la paix et l’amour.
Le livre est didactique et pédagogique car il donne au jeune les outils nécessaires à la connaissance de son histoire et des armes pour l’assumer en cherchant à l’anoblir. L’œuvre fourmille d’enseignements magistraux et généraux, rendus accessibles à tous. Il faut la lire absolument et le recommander.
Conclusion
Comme dit dans l’introduction, » Voici un livre qui ne laissera personne indifférent. Un livre différent des autres aussi bien par sa facture que par sa profondeur. Un livre qui, dans sa thématique, recentre et concentre sur l’essentiel, le débat des divers errements et rejets mutuels favorisés par ce qui devrait pourtant réunir le monde entier autour de sa commune soif et quête de Transcendant. » Le livre est agréable et profond. Le jeune qui le lit se rencontre et se re-définit par rapport à son histoire personnelle et celle de l’Afrique. Nicolas demeure un exemple d’ouverture et de curiosité intellectuelle. Avec lui, le proverbe acquiert tout son sens : « La connaissance, c’est comme le feu qu’on prend chez l’autre« . Le livre est bref et on peut l’emporter partout. Sa portée théologique et philosophique se mesure à l’aune des différentes réflexions menées par les personnages qui se questionnent et s’étonnent. Facile à lire. Facile à comprendre. Tolle, legge : prends, lis. Lis, partage, parles-en autour de toi.
Destin Mahulolo
Quelle que soit la couleur de ta peau, quelle que soit ta religion, quelle que soit ton ethnie, quel que soit ton sexe, tu es une valeur ajoutée à l’humanité. (…) » Je dormirai plus valorisé humainement ce soir.
Merci Destin Mahulolo pour ce Grand lu pour vous, tellement riche et détaillé. Je retiens que le livre de Hervé Ezin Otchoumaré est agréable à lire et donne des leçons de vie. Il aura donc tout à fait sa place dans ma bibliothèque.
Merci, frère Désy Ray, pour tes passages bienfaisants. Avoir ce livre dans sa bibliothèque, ce n’est pas mauvais.
Tu as raison, frère Désy Ray de chercher à avoir « Le monde arc-en-ciel » dans ta bibliothèque. Livre bien riche. Séduisant aussi bien dans la forme que dans le fond. Vrai régal assuré. Beau roman pour jeunes. A consommer sans modération…
Merci pour vos appréciations. Grâce à ce que vous faites, je peux dire avec conviction que la littérature béninoise a de l’avenir
Merci à vous M. Désy Ray. La joie d’un auteur s’agrandit quand il voit le cercle de ses lecteurs s’agrandir. Vous pouvez commander Le monde arc-en-ciel sur Amazon, fnac ou sur le site de La doxa Éditions. Pour cela, il suffit de taper sur Google Hervé K. EZIN OTCHOUMARÉ. Et vous verrez les différents liens. Par ailleurs, les démarches sont en cours pour rendre le livre disponible dans les bibliothèques du Bénin, ma chère patrie. Encore merci pour l’intérêt que vous portez au monde arc-en-ciel.
L’auteur
On s’en prie, frère Désy Ray