Pour l’amour d’une Camerounaise (3/5)

Pour l’amour d’une Camerounaise (3/5)

En ces jours critiques d’efforts intellectuels intenses, la Camerounaise se faisait davantage désirer. Une nuit, pendant que tout l’internat dormait, je tournais et retournais dans mon lit, toute tendue vers ma Camerounaise. Plus je pensais à elle, plus vite battait mon cœur, et plus fort d’envie ronronnaient mes tripes. J’enfilai rapidement un collant et un maillot de corps. Je descendis délicatement de mon lit sans défaire ma moustiquaire. Je pris ma lampe torche dans une main, et dans l’autre, j’avais mes tennis. Je sortis en marchant sur la pointe des pieds. J’ouvris directement la porte sans tourner la clef ; étant donné que c’était moi la responsable du dortoir, j’avais pour rôle de veiller à fermer la porte. Cette nuit-là, comme si je savais que je devais aller voir la Camerounaise, j’avais juste rabattu les deux battants. Dès que je tournai la poignée, la porte émit un gémissement qui se perdit aussitôt dans le concert tonitruant qu’offraient les hiboux juchés sur le grand jujubier situé devant notre dortoir. Une fois dehors, un vent frais me caressa le visage. Je levai les yeux : la lune était pleine. Je longeai le bloc administratif. J’entendais le vigile ronfler. Une joie subite fit battre mon cœur et détendre les traits de mon visage. Je soupirai profondément. Je me rendis dans ma douche. Je portai mes chaussures. Je voulais prendre la voie qui conduit à la Camerounaise quand j’entendis un grand bruit. Subitement, les lampes s’éteignirent. Les nuages couvrirent la lune, plongeant la nature dans une obscurité totale. Un grand chat passa devant la douche en poussant un horrible miaulement. J’entendis siffler des souris affolées. Le chien du vigile se mit à aboyer, et ses aboiements me parvenaient jusque dans ma douche. Un grand vent se mit à souffler, qui faisait valser et toussoter les feuilles de tôles agonisantes qui datent de la création du lycée, voici déjà trois-quarts de siècles. Progressivement, le calme revint. Je pouvais souffler. Mais j’avais comme l’impression qu’une ombre humaine rôdait dans les parages. Très vite, j’attribuai cette sensation à une hallucination. Je renouai solidement les lacets de mes chaussures, enfonçai mon T-shirt dans mon collant et fonçai dans la nuit. L’appel de la Camerounaise se faisait de plus en plus pressant. Je contournai le restaurant et la cuisine, me faufilai dans le couloir entre le sanatorium et la bibliothèque. Une fois sur le terrain de hand, j’accélérai mes pas. Ma gorge était sèche. Ma poitrine était soulevée et secouée par de violents spasmes musculaires. Je sentais des fourmillements dans mes membres inférieurs, tandis qu’un torrent de sueur m’inonda le corps. J’avais envie de rebrousser chemin, mais il ne me restait plus que quelques mètres pour être du côté de chez la Camerounaise. Je m’assis sous un fromager, et je me surpris à réfléchir : « Mais que fais-je ici, au cœur de cette nuit, à la lisière du bois ? Et si un serpent me mordait ? Et si… ? » Mais aussitôt, je me relevai, et battis en brèche ces réflexions couardes. Je secouai mes jambes. La rosée tombée sur la terre la faisait exhaler une senteur qui me fit du bien. Je m’engouffrai dans le bois. Je marchais à pas de loup. Après deux essais infructueux, je parvins à escalader le mur. J’étais de l’autre côté de notre clôture. Ouf ! Quel soulagement de pouvoir être en présence de l’objet de mes désirs. Dieu, lui-même, connaît la longueur et la largeur, la profondeur et la hauteur de mon amour pour la Camerounaise. Si elle n’existait pas, il eût fallu la créer. La voir simplement calmait la rage de mes tripes.

Enfin, j’y étais. Elle m’attendait, ma Camerounaise, sous un arbre. Elle était bien là. Présente au rendez-vous. Parée de ses atours royaux. Elle me souriait. Je la désirais. Elle se lassait toucher. Je sortis un torchon de mon soutien-gorge et lui nettoyai le visage. Les nuages se rangèrent. La lune se remit à briller. Je m’assis en face d’elle. Elle me regardait, je la regardais. Elle n’était pas claire, mais brune. Son parfum se répandit dans mon corps. J’ouvris la bouche. Un poème en jaillit, comme d’une source, cristallin, limpide et affectueux. Elle m’en remercia d’un sourire encore plus envoûtant, mais pudique et chaste. Je lui confiai mes misères et mes tribulations, mes désolations et mes turpitudes, mais aussi mes joies et mes espoirs. Elle me regarda avec tendresse et me sourit. Elle aimait sourire, ma Camerounaise. On ne pouvait jamais l’en empêcher. Elle savait me comprendre, m’apaiser, me materner. Avec elle, j’avais la paix du cœur. Toujours prête et disposée à m’écouter. Cette nuit-là, nous causâmes de tout et de rien, assises en face l’une de l’autre. Nous ne voyions pas le temps passer. Je n’avais pas sommeil, elle non plus. Je la pris dans mes bras. Elle m’avait l’air un peu ingénu, ma Camerounaise. J’approchai mes lèvres. Geste suspendu par un bruit insolite. Ma Camerounaise et moi, restâmes coites, figées, ankylosés, tétanisés. J’entendis quelqu’un s’éclaircir la voix. Le temps de tourner la tête, je décelai la silhouette de la proviseure. Je compris qu’il fallait agir sans réfléchir. Elle m’appela par mon nom. Elle m’a vue avec la Camerounaise. Je pris la décision de me sauver, moi et elle avec moi. Je l’empoignai et détalai dans la brousse. Je courais sans entendre la proviseure qui continuait de me crier mon nom. Le vigile fut alerté, sorti de son sommeil par les aboiements aigus et prolongés de son chien. Je continuais de courir avec ma Camerounaise. Il me fallait absolument la mettre à l’abri. Quels étaient ses sentiments ? Je ne pouvais le deviner. Je ne savais plus où j’en étais dans ma course. Mais j’accélérais les pas. Je fus subitement arrêtée dans ma course par une rangée de fil de fers barbelés. Je ne savais pas que j’étais déjà du côté du jardin. Je m’étais blessée au visage, aux pieds, aux mains. Tout mon corps me faisait mal. Un pan de mon collant gisait dans les griffes des barbelés. Difficilement, je me relevai. Je repris en charge ma Camerounaise. Je lui trouvai un abri sûr. Elle pouvait à présent se débrouiller sans moi. Il me restait à me rendre au dortoir.

 

A suivre …

 

Destin Mahulolo

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