« Africae Munus », un itinéraire africain de la foi.

« Africae Munus », un itinéraire africain de la foi.

En signant l’Exhortation apostolique post-synodale Africae munus le 19 novembre 2011 à Ouidah, le Pape Benoît confiait à l’Église en Afrique un trésor précieux pour l’aider et l’amener à « […] vivre, au nom de Jésus, la réconciliation entre les personnes et les communautés, et à promouvoir pour tous la paix et la justice dans la vérité »[1]. Cette Exhortation qui fut donc promulguée aux lendemains du cinquantenaire des indépendances de 17 pays africains célébré en 2010 se veut être une référence dans l’impulsion d’une nouvelle dynamique pour l’évangélisation en terre africaine. On peut se demander à raison comment l’Église en Afrique s’est appropriée cette Exhortation et même ce qui reste de la pertinence de ce document au regard des défis actuels de l’Afrique en ce qui concerne la réconciliation, la justice et la paix. 

Après réception et lecture de ladite Exhortation, il convient à notre sens de revenir sur certains points saillants et de portée majeure. Nous partirons d’abord des chantiers proposés par le pape pour la réconciliation, la justice et la paix afin d’en dégager quelques implications pour notre être-là chrétien en Afrique. Nous n’oublierons pas de procéder à une  relecture des principaux champs d’apostolat où évêques, prêtres, religieux et religieuses, séminaristes et fidèles laïcs engagés comme un seul homme doivent se dévouer  à l’instar du Père Borghero, l’un des premiers missionnaires qui « déploya une activité intense et affronta les difficultés de tous ordres »[2] selon les expressions de Jean Bonfils.

  1. Les chantiers pour la réconciliation, la justice et la paix (Africae Munus No 32-96)

Nou Non Jè Do Mè Hwénu Bo non nyi taan. C’est dire que ce dont nous avons été nous-même témoin ne peut plus nous être conté. L’on pourrait tenter un parallélisme entre ce dicton et la première lettre de saint Jean au chapitre 1 verset 3 « ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons afin que vous aussi soyez en communion avec nous ». Il ne s’agit plus alors d’une histoire à conter ni d’une éphéméride à retracer mais cette fois-ci d’une bonne nouvelle à annoncer. Si la foi entendue comme Nudidi (Chose crue ou ce que l’on croit) naît de ce que l’on entend[3], alors la démarche du pape Benoît en novembre 2011 au Bénin a une dimension salutaire pour la foi en Afrique. Certes elle ne s’inscrit pas dans une dynamique du don de la foi mais elle relève d’une croissance spirituelle dans la foi.

            A ce sujet, les chantiers proposés par le pape Benoît XVI ne s’inspirent pas d’une spiritualité désincarnée et désaxée. Ils sont les fruits d’une longue réflexion et analyse pour le combat de la foi en Afrique. Ils prennent leur enracinement dans des réflexions du synode africain tenu à Rome du 10 avril au 8 mai et qui avait pour thème « L’Eglise en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l’an 2000 : vous serez mes témoins (Ac1,8) ».  Vivre alors la réconciliation, la justice et la paix en Afrique et au Bénin, ce serait restaurer un patrimoine de l’Église en Afrique, une Église-famille, une Eglise-fraternité. De par le passé en effet, l’Afrique a connu des luttes fratricides entre les ethnies, des lois célébrates et liberticides, l’esclavage et la colonisation. Elle continue encore aujourd’hui à faire face à des situations de rivalité, à de nouvelles formes d’esclavage et de colonialisme. Appelant  de tous ses vœux un tel peuple à la trilogie Réconciliation-Justice-Paix, l’Exhortation apostolique Africae Munus s’est donnée pour tâche de « […] retrouver et promouvoir en Afrique une conception de la personne et de son rapport à la réalité fondée sur un renouveau spirituel profond »[4].

En effet, les premiers éléments sur lesquels il faudra insister relèvent d’abord d’une attention à la personne humaine en Afrique. L’attention ici est une invitation à la conversion authentique, la Metanoia ; à vivre la vérité du sacrement de la pénitence et de la réconciliation qui aidera à tendre vers la sainteté et qui conduira à une spiritualité de communion[5]. C’est dire qu’en Afrique, nous devons ôter nos masques avant que ne s’effacent nos visages. Nous devons de notre vie ôter tout ce qui ne répond pas aux exigences de la foi. Nous avons pour devoir de « renoncer aux tendances nocives dominantes et à aller à contre-courant »[6]. Il s’agit pour nous de préférer la nuit de la foi à la foi de la nuit. Éviter d’entrevoir un fossé entre la foi professée et la foi vécue. Il serait plutôt bien que notre être-là chrétien en Afrique bannisse les conceptions peu orthodoxes de la foi en Jésus-Christ : tchité do houidé hou[7]ou encore Yovo ton ko wa yi, ekpo minhwi ton[8]. Telles sont en contexte béninois par exemple, des expressions syncrétistes nocives qui ne conduisent qu’à la désarticulation spirituelle et même ontologique de ceux qui s’y adonnent. Au fond, il s’agit d’une prostitution spirituelle dont les fondements reposent sur une mauvaise acceptation, compréhension et intégration de la foi. La Metanoia que le pape propose ici s’inscrit parfaitement dans cette dynamique. Ce serait une erreur grave que de séparer parole et témoignage de vie. En nous imposant une certaine forma mentis dans notre être-là chrétien, nous aurons évité de faire retentir ce constat amer et désolant de Yahvé « Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes qui ne retiennent pas l’eau. » (Jr 2,13). Cette approche de conversion n’est pas seulement à prendre au niveau de la foi telle qu’on se doit de la vivre, elle s’étend bien évidemment à tous les secteurs de la vie en Afrique. Nous sommes donc invités à nous laisser réconcilier avec Dieu, à devenir justes pour construire un ordre social juste dans la logique des Béatitudes, en nous engageant dans le service fraternel pour l’amour de la vérité, source de paix. Les chantiers pour la réconciliation, la justice et la paix à savoir la célébration du sacrement de la pénitence et de la réconciliation, une spiritualité de communion, l’inculturation de l’Évangile, la protection de la vie, la bonne gouvernance, le dialogue œcuménique et interreligieux aideront à cette conversion authentique qu’est la Metanoia.

2. Revisiter certains champs d’apostolat en Afrique et au Bénin

Après l’euphorie suscitée par l’accueil du Souverain Pontife en novembre 2011, le constat d’analyse dix ans plus tard reste cependant moins reluisant. Les chrétiens quel que soit leur état de vie, laïcs, clercs, devraient être dans les missions de réconciliation, de justice et de paix au Bénin comme ailleurs sur le continent. Des foyers de tension cependant subsistent encore un peu partout. Les situations conflictuelles au Bénin, en Centrafrique, au Soudan, en Éthiopie, au Togo, au Niger, en Côte-d’Ivoire et en Guinée convainquent de ce que les projets de paix sont loin de connaître leur réalisation. Le pape en citant son Exhortation apostolique Sacramentum caritatis du 22 Février 2007, définit l’Église comme « une communauté où se vit le geste de paix »[9]. Malheureusement nos communautés ecclésiales en Afrique et au Bénin n’échappent guère aux pièges de la rancœur, de la méfiance et des préjugés de toutes sortes. La dissonance entre leur appel à la réconciliation, à la justice et à la paix et leur témoignage de vie se montre stridente. Faudrait-il encore le rappeler « la parole et le témoignage de vie vont de pair »[10]. C’est heureux par exemple pour l’Église du Bénin de vivre à l’occasion de ses 160 ans d’évangélisation continue un temps de synthèse et de réflexion. Ce temps lui a permis de prendre conscience de sa mission et de se donner des engagements à honorer face aux défis actuels qu’il urge de relever. Même si le courage d’être assez ferme, sur certaines questions sociales majeures en vient parfois à manquer, elle reconnaît, et c’est déjà-là sa prise de conscience, qu’elle doit avoir des prophètes capables de dénoncer le mal et éviter toute compromission. Des prophètes qui soient capables d’opérer contre l’option confortable du silence, le choix d’un engagement sans compromis ou, pour parler le même langage que Fabien Eboussi Boulaga, le choix du « témoin radical ». Aussi chrétiens et non-chrétiens se doivent-ils de s’investir à nouveau frais afin que les tensions soient jugulées de façon à travailler en vue d’une réconciliation qui ne soit pas de façade. Nous devons éviter d’entretenir des différends, d’attiser des conflits héréditaires dont nous maîtrisons à peine les contextes d’émergence et œuvrer tous, chrétiens et non chrétiens à nous réapproprier ce précieux document du Pape Benoît XVI dans l’optique d’un réel essor du continent africain.

Par ailleurs, l’autre champ d’apostolat qui se révèle très important est le monde de l’information et de la communication. En Afrique, ce monde constitue « […] un levier important pour le développement du continent et pour l’évangélisation »[11]. En la matière, il est vrai qu’il faut souligner les nombreuses actions qui se mènent dans ce sens au Bénin et ailleurs, mais il faudrait comme l’a souhaité le pape que « l’Église soit davantage présente dans les médias afin d’en faire non seulement un instrument de diffusion de l’Evangile mais aussi un outil pour la formation des peuples africains à la réconciliation dans la vérité, à la promotion de la justice et à la paix »[12]. Seulement qu’il faudra travailler à l’amélioration de la manière d’évangéliser par les médias pour éviter que les efforts soient traités de « bavardages » comme le dirait Paulin Hountondji au sujet des travaux de Cheick Anta Diop sur la négritude, mais pour faire la promotion des valeurs défendues par Africae Munus : la réconciliation, la justice et la paix[13].

Au regard de ces analyses, soulignons que l’Exhortation apostolique Africae munus, ouvre un horizon d’espérance à l’Afrique qui, en accueillant Jésus-Christ, doit s’émanciper des forces qui la paralysent. Elle s’inscrit dans la continuité de Ecclesia in Africa, fruit de la première assemblée spéciale pour l’Afrique qui a donné une grande impulsion au développement de l’Église en Afrique, en développant, entre autres, l’idée d’Église-famille au bénéfice de l’Église universelle. A notre sens, Africae Munus entend aussi renforcer ce dynamisme ecclésial et indiquer le programme d’activité pastoralede l’évangélisation du continent africaindans les prochaines décennies.

Edouard A. TONOU, Grand Séminaire Monseigneur Louis PARISOT de Tchanvédji. Deuxième année de Théologie


[1]Africae munusn°1

[2] Jean Bonfils, la mission catholique au Bénin. Des origines au Concile Vatican II, p 62.

[3] Rm 10,17

[4]Africae Munusn°11

[5] Ibid. n°34

[6]Ibid. n° 23

[7]Lève-toi et cours à ton salut. Sinon tu mourras au nom d’une foi qui ne sauve pas.

[8] Pour le blanc est passé, il reste pour le noir.

[9]Africae Munusn°133

[10]Ibid.n°32

[11]Africae munus n°142

[12] Idem n°145

[13] Idem p.146

2 comments

Merci M. Edouard pour cette relecture de  »Africae munus » après 10ans…Je m’émerveille à la lecture de cette réflexion.
Vous avez dépeint le tableau  » insalubre » de ce qu’a été au Bénin jusqu’à ce jour, la trilogie (réconciliation, justice et paix) tant souhaitée par le Pape pour que l’Eglise au Bénin réponde à sa vocation  »Eglise-Famille ». Et c’est justement là qu’il faudra taper le marteau…

Ce serait peut-être trop dit, mais je crois que le Bénin a besoin, qu’on le veuille ou non, d’un synode; non pas d’un synode des béninois à Rome… Mais d’un synode qui tient compte du béninois et de ses idéaux, d’un synode qui rassemble fils et filles de ce pays, du nord au sud sans distinction d’ethnies, chrétiens ou non,  »vodounsin ou vodounon  »etc. C’est à ce prix, me semble-t-il, se retrouver au tour d’une même table, qu’on pourrait dissiper les  »mémoires négatives  » qui nous maintiennent dans une impasse interminable où, règnent encore préjugés, méfiance, régionalisme violence et la liste peut être allongée.
Si ce seuil est franchi, l’Évangile trouvera, mieux qu’il l’ait aujourd’hui, dans le coeur du béninois ce ferment qui le fasse davantage lever. Merci encore M. Édouard

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