« Colorant Felix »: Colorer l’Afrique

« Colorant Felix »: Colorer l’Afrique


Colorant Félix est sans doute le nouveau joyau littéraire incontestable qui s’intègre aussi aisément qu’on ne peut le contester et même de manière extravagamment insolente dans les sphères littéraires béninoises et africaines. « Sous l’arbre à palabre », emblème expressive et générique qui nous plonge dans les profondeurs abyssales des traditions et des cultures africaines, l’Africain a la possibilité de revivre l’âge passé, révolu mais désormais actualisé, l’âge intrinsèque à son être mais que l’histoire, éludée depuis longtemps dans les mailles de l’oubli lui a voilé. L’on peut alors crier toute la portée de cet ouvrage littéraire qui conserve l’Africain chez lui, sur les sentiers originaux du village et ce, de façon admirable et dont l’image est inhérente à l’Afrique désormais envahie par les apparences de développement tels que les pavés, les bitumes, etc. Destin Akpo sur les traces des grandes figurines et icônes de la littérature africaine et surtout celles béninoises comme Jean PLIYA, Olympe-Bhêly QUENUM, Félix COUCHORO, Paul HAZOUME, etc., offre une œuvre romanesque qui nous aide à découvrir les vestiges et la structure sociétale béninoise autour du pot commun et transversal, « l’éternelle eau-de-vie », le vin originel noir, le Sodabi, que ne saurait connaitre de façon évidente l’être non africain. Sa particularité indéniable réside dans l’ambiance humoristique dans laquelle baigne toute la trame de cet ouvrage. Sur le coup, on crie : Merci à Destin. C’est du ‘’jamais vu déjà vu mais à la fois nouveau et neuf’’ qui avait disparu des horizons africains même quand on parcourt le legs littéraire africain. Les trente (30) palabres ou péricopes offrent une série de rencontres matinales et vespérales entre vieux en grande partie comme c’est la tradition dans l’Afrique antique et même contemporaine ; entre et jeunes, enfants et adolescents et même les femmes désormais associées, signe d’une culture dynamique, et ce, sous le gros arbre du soir pour écouter les belles histoires instructives comme didactiques. Dans les pages parsemées de contes, d’apophtegmes voire d’aphorismes populaires autour de Colorant Félix. Ainsi, voit-on des personnages aussi énigmatiques qu’exceptionnels : Ahouangan toukposso, le tout-puissant combattant qui gagne tout avec son imbattable fifobo, Emouvi-Lekosto, Nana Zota).


Les premières pages de ce roman, livre le contraste nouveau et ressuscite l’éternel débat de la civilisation et du développement de la vie contemporaine. « Aujourd’hui, c’est du n’importe quoi », lit-on avec l’avènement d’un certain Coovi does not produit de la Chine et qui, selon la sagesse des vieillards imbibés dans l’eau-de-vie, est nécessairement du frelaté et donc de mauvaise qualité. Avec Colorant Félix, le briefing de l’histoire revient à la page avec ces grands anciens affairés à boire le long de la journée le Dékpomè pur, le Kangni-kangni origigi qu’on ne trouve que chez Nana Zota. Ces instants de consommations sont meublés par des histoires aussi insolites que vraisemblables qui jaillissent des gosiers réchauffés. Cette attitude des hommes du troisième âge ne laisse pas indifférents les belles et fortes dames laissées à la maison : « Oui, je vois que tu m’as garée ici comme un ornement. Monsieur quitte le matin. Il revient le soir blindé de Sodabi. Il m’abandonne dans la solitude ici jusqu’à la nuit tombante. Il débarque et son premier geste, c’est de manger à la hâte et de se coucher » (p.67) Ainsi, si l’individualisme s’origine sous d’autres cieux dans l’urgence des activités quotidiennes qui absorbent dans l’optique de la réalisation de soi et du développement, chez nous seul le culte sotonique peut empêcher un homme de rester avec sa femme. Condamnées à passer des jours sans les soins adéquats, elles réussirent à changer le paradigme traditionnel qui prohibe l’accès des femmes aux cercles des palabreurs garants et mémoires de la tradition. Une histoire des plus ridicules reste celle du dispensaire où il a fallu une main pour sortir scorpions, scolopendres, petits crabes, tessons de bouteille, épines et cactus des culottes du médecin (p.204).


Il est donc obvie de vanter la parenté de Destin Akpo avec les auteurs comme Jean PLIYA, Olympe Bhêly-Quenum, etc. qui, à travers leurs œuvres romanesques ont ressuscité les valeurs africaines qui s’évaporent au profit d’une acculturation suicidaire. Ainsi, le mérite de notre auteur est d’avoir livré son message avec clarté, lucidité et un niveau de langue exquis. Cette grande facture reste donc les raisons qui donnent et donneront une certaine pérennité à l’œuvre et son actualité toujours aussi indiscutable. Avec une pertinence notable, Colorant Félix, rejoint donc les annales des œuvres romanesques à tenir en très haute estime, car il colore bellement la littérature africaine. Voilà pourquoi, il faut affirmer joyeusement Colorant Félix, Colorer l’Afrique.


Hermas A. GUIVI

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