« Colorant Félix » de Destin AKPO: Si je te le dis, on ne me croira pas! Mais croyez-moi!

« Colorant Félix » de Destin AKPO: Si je te le dis, on ne me croira pas! Mais croyez-moi!

Comme le dit Ahouangan Toukpossᴐ, personnage de l’ouvrage à présenter : SI JE LE DIS, ON NE ME CROIRA PAS ! J’ai sous la main un livre difficile à présenter.  

La noblesse de la littérature africaine, celle béninoise surtout, c’est de se déconnecter peu à peu du prestige occidental tant adulé par le passé pour s’attacher au vestige africain, celui-là même qui continue, un temps soit peu, de révéler notre identité. A bien dire, l’audace de l’écrivain béninois est de se libérer de ces exigences méthodologiques et thématiques liées à chaque genre littéraire telles qu’on nous les enseigne à l’école jusqu’à présent dorlotées. Ainsi, l’auteur de ce Roman COLORANT FELIX paru aux éditions « Savane du continent », Destin AKPO prend sa liberté par rapport aux exigences romanesque. Son audace stylistique dans la rédaction de ce roman nous fait dire qu’il fait réapparaitre le roman burlesque et le réinvente à l’africaine ;ce qu’on peut appeler l’afro-burlesque. Le choix du cadre spatial qui rapproche son style de l’une des caractéristiques du roman pastoral mais qui, en même temps, traite des sujets graves avec des mots moins graves en est l’illustration.

COLORANT FELIX ! Avec un titre banal et évocateur mais aussi trompeur, l’écrivain tente de surprendre les lecteurs tant par le choix du genre, du cadre spatio-temporel, des personnages que par les thématiques ainsi que la progression du récit. COLORANT FELIX !   Quel est ce Colorant qui s’appelle Félix ? Les personnages mêmes du roman s’interrogent autant que nous futurs lecteurs. Et croyez-moi ! si vous vous mettez à deviner, et peut-être à deviner juste ; vous serez tombés dans le piège stylistique de Destin comme le fait d’ailleurs le destin qui reste toujours imprévisible. Car, par un prétexte, l’auteur assoit son texte dans un contexte unique qui lui permet de traiter de plusieurs thématiques même les plus insoupçonnées. Dans son style néo-burlesque qui mélange vrai et vraisemblable, grandeur et petitesse, drôlerie et sagesse, comique et pathétique, comique et lyrique, comique et didactique, l’auteur contemple les reliques de l’histoire africaine dans toute leur splendeur et fait parler les sages sur un ton nostalgique. Il fait choix d’un cadre spatio-temporel statique: SOUS L’ARBRE A PALABRES, CE GROS ARBRE A PALABRES OU CHAQUE SOIR VENU, AUTOUR DE LA BELLE DAME-JEANNE POSEE SUR SON TRÔNE AVEC L’EAU DE VIE, LES PERSONNAGES FONT SUCCEDER DES ACTIONS COMME AU THEATRE MAIS PAS COMME DANS LE THÉÂTRE.

Les personnages actifs sont, en réalité, passifs dans les récits qu’ils racontent ; en s’effaçant, l’écrivain AKPO agit tout comme le destin, invisible, il oblige ses personnages à continuer la rédaction de son histoire. Il s’agit alors d’une histoire qui raconte des histoires. QUELLE EST ALORS CETTE HISTOIRE ? QUELLES SONT CES HISTOIRES ? Comme le dit Ahouangan Toukpossᴐ, personnage du Roman, SI JE LE DIS, ON NE ME CROIRA PAS !

S’inspirant de la patronymie et de la toponymie africaine, l’auteur utilise l’onomastique béninoise pour inventer des personnages tels Ahouangan Toukpossↄ, Emouvi-Lekosto, Akotoé, Alikpa, Somahouhweviɖótomὲ pour raconter cette histoire. A la lecture, on voit bien le niveau de langue évoluer concomitamment avec la stature des personnages, alternant registre courant, familier et argotique. Ainsi, progresse un récit qui devient intéressant au fur et à mesure que le suspens dure et que les récits s’enchainent. La succulence que donne l’appétissant enchainement des mots provient des aphorismes, dictons, proverbes, chants et panégyriques africains qui colorent assez bien le roman d’une africanité originale. COLORANT FELIX ! Quelle est cette histoire ? SI JE LE DIS, ON NE ME CROIRA PAS ! Nostalgie heureuse qui ressasse le souvenir pour projeter l’avenir ; nostalgie satirique qui critique les travers de la société contemporaine sans s’emprisonner dans le passé ; nostalgie réaliste qui relève les errements, le snobisme et l’acculturation identitaire de l’africain tout en humour. L’écrivain fait raconter l’ordinaire de nos vies, enfin ! les personnages en portent la responsabilité. Ils défendent une africanité qui sait ou saura extraire l’essentiel pour retrouver l’Essentiel, stimuler le respect de nos vestiges. Vestiges parce que restes de nos valeurs. Par exemple, en faisant dire à l’un de ses personnages : « Pour se saluer ici, il faut prendre tout son temps, demander à l’autre s’il va bien, s’il a bien dormi, si sa femme, ses enfants, ses moutons, ses cabris et chèvres, poulets et poules, poussins et poussines ont bien dormi, demander si ses champs vont bien », Destin AKPO nous convie à une réflexion critique appropriée sur nous-mêmes, à revoir la sémiotique de nos signes, à reconsidérer le verbe, à redécouvrir la parole dans sa sacralité en la désintoxiquant de tout dépréciatif ; ces termes péjoratifs qui nous décrivent et décrivent nos réalités ; il nous invite à participer à l’évolution de l’histoire universelle ; il nous invite à reconstruire nous-mêmes l’histoire, notre histoire, votre histoire.

MAIS QUELLE EST CETTE HISTOIRE QUE RACONTE CET OUVRAGE ? COLORANT FELIX ! SI JE LE DIS, ON NE ME CROIRA PAS. MAIS CROYEZ-MOI SI VOUS ME LAISSEZ VOUS FAIRE DEGUSTER CECI :

« Notre longévité est fille de notre bonne humeur que nous cultivons chaque jour.

Que la mort vous oublie (auditeurs et futurs lecteurs) !

Panégyrique de celle qui est née avant l’aurore

Celle dont le soleil imite l’éclat et la lune triche la beauté

Brave femme née aux temps où la science et la sagesse habitaient la même case que les humains,

Rosée matinale qui apaise la soif nocturne de la terre et redonne vie au lombric

Pré doré qui nourrit même les langues prédatrices

Ecoute ton chant, écoute le chant de ton clan, la litanie de ta race, voici ton akↄmimlan

Kiko, kiko, kiko

Gla, gla, gla, gla, gla

Aucun morceau de viande n’est trop gros pour une marmite de sauce,

Si le couteau ne le peut, la hache s’en charge

Le lion est sorti et la forêt renoue avec le silence

Le baobab ne craint pas la sécheresse

Le chien qui désobéit à son maître revient à la raison, quand il sait que la pâte de la veille peut lui échapper

La beauté de l’arbre est due moins à ses fleurs

Qu’aux oiseaux qui l’ornent de leurs divers plumages

Le métal précieux ne craint pas les cales des mains de l’orfèvre

C’est la terre qui porte l’arbre dont la frondaison tutoie le sol

Le géant a beau être géant, il chie petit,

Si gros que soit l’éléphant, il ne chie pas plus gros que sa tête

C’est l’homme qui cherche la vie,

Mais c’est la femme qui lui donne le bonheur,

Troupeau généreux qui réjouit le cœur du berger

La chèvre du pauvre ne donne pas naissance à des boucs

Souris et fais pâlir de honte le soleil,

La reine des quatre coins de l’univers

Sors dans la campagne et fais parler tes atours

Souris et l’éclat de ton sourire chassera l’obscurité de la nuit

L’eau qui bout sur le feu,

Si on ne le descend pas du feu il s’évapore totalement

Vipère qui pardonne l’insouciance des enfants

Terre généreuse qui se souvient de la sueur du laboureur

Voici ton chant

Ecoute ton chant, écoute le chant de ton clan,

La litanie de ta race, voici ton akↄmimlan

Kiko, kiko, kiko

Gla, gla, gla, gla, gla

Eya, finissons le panégyrique comme prévu par l’ancêtre.

Je chante et tu danses

Sé, sé, séwélé, sawalakou sawala

Atↄ wé ɖe sawalakou sawala

Anon wé ɖe, sawalakou sawala

Ovi ji ɖo xwé ɖé mo non kou gan

Voilà. Je dépose ma parole. Ma voix tombe.

– Gboogliii».

Augustin KINNOUMIN

×

Aimez notre page Facebook