« Je ne combats pas l’ennemi avec mots, je le soumets à mes mots » Béatrice Mendo.

« Je ne combats pas l’ennemi avec mots, je le soumets à mes mots » Béatrice Mendo.

Bonjour les amis. Aujourd’hui lundi, nous recevons pour vous une écrivaine camerounaise, Béatrice Mendo: « : Être, pour moi c’est s’interroger. Mille questions entourent notre capacité et notre qualité d’être et d’êtres. L’existence est un gros point d’interrogation qui s’épaissit à mesure qu’on s’interroge ».

BL : Bonjour, Béatrice Mendo, nous sommes heureux de vous accueillir sur Biscottes Littéraires. Veuillez vous présenter aux lecteurs.

BM : Je suis écrivaine camerounaise, qui n’a de cesse de repousser les limites du formidable territoire du mot. Je dis souvent aussi que je suis un fonctionnaire fantasque, qui délaisse volontiers l’écriture formelle et formalisée liée à son activité professionnelle, pour me laisser aller à une écriture dans laquelle s’épanouit mon goût pour l’ironie et autres tournures de style qui désarçonnent.

BL: Comment est née et a grandi votre passion pour la littérature?

BM : Ma passion pour la littérature est tellement liée à mon goût immodéré pour la lecture que je ne sais plus ce qui a engendré l’autre, c’est le dilemme de l’œuf et de la poule. Dès que j’ai su lire, je me suis mise à dévorer tous les écrits qui étaient à ma portée. C’est tout naturellement que je me suis mise à écrire.

BL : Le pont entre la lecture et l’écriture est ténu. Tout le monde ne saute cependant pas le pas. Vous, vous l’avez fait. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ?

BM : Peut-être qu’à force de lire les autres, on éprouve soudain le besoin d’écrire soi-même, je ne sais pas. Je dois quand même avouer que c’est ma mère, Caroline Meva, qui est elle-même écrivaine, qui m’a poussée à éditer l’un des nombreux textes que je gardais dans le disque dur de mon ordinateur.

BL: Écrire, qu’est-ce pour vous ? Une thérapie ? Un passe-temps ? Une mission?

BM : C’est forcément beaucoup de choses à la fois, mais surtout pas un passe-temps, parce que je prends l’activité d’écrire très au sérieux. Si je dis que c’est une thérapie ou une mission, il me faudra définir les contours de la thérapie et les termes de cette mission, alors même que dans ma tête, il y a autant de missions que de mots que j’agence dans un but précis, autant de thérapies que de mots que je charge d’une émotion particulière. Écrire, c’est donc faire vivre des mots qui à leur tour donnent du sens à l’existence. Écrire, c’est respirer par ces mots qu’on couche sur une page.

BL: Au commencement était La vie se moque d’être aigre-douce, un recueil de nouvelles qui, peut-on dire, prône le carpe diem. Parlez-nous de la genèse de ce projet.

BM : J’avais envie de partager des morceaux de vie, avec l’objectif d’expliquer que la vie ne choisit pas d’être joyeuse ou dramatique. Elle est telle qu’on la vit, selon la saveur que nous lui reconnaissons. Heureux celui qui connaît les mille saveurs de la vie, celui-là a une vie riche.

BL : Aigre ou douce, la vie se boira et se mangera quand même. Pour vous, on ne doit pas s’en rassasier. Il faut la vivre à chaque instant sans jérémiades et sans résignation.

BM : Effectivement, la vie se contente de nous être offerte et à nous de la consommer, sans jamais nous rassasier d’elle. Il n’y a donc aucune raison de faire la fine bouche devant la vie, il faut la croquer comme elle vient et puis laisser le soin à la mort de se rassasier de nous.

BL: Après votre recueil de nouvelles, vous signez Le sang de nos prières, un roman d’amour brisé, de sang et de feu où Boko Haram brûle et tue. Boko Haram, ce nom qui fait trembler le Nord Cameroun passe au crible de votre plume tapageuse. Peut-on y lire une volonté de l’auteure de combattre par les mots un ennemi que le plomb peine encore à abattre ?

BM : Je ne combats pas l’ennemi avec mots, je le soumets à mes mots. Mes mots disent la férocité de l’ennemi. Mes mots disent la détresse des victimes de cet ennemi. Mes mots révèlent le traumatisme de ceux qui ont affronté l’insoutenable, aussi fragiles que des fétus de paille dans un tourbillon de violence. Mes mots évoquent une probable rémission, une cicatrisation des plaies du corps en même temps que celles de l’âme. Enfin, mes mots disent comment l’espoir est tenu en même temps que sa présence est quasi miraculeuse. Là où il n’y a aucun espoir, il y a encore de l’espoir.

BL: Résilience, c’est le maître-mot de ce roman, son souffle et sa voix. D’où tire-t-on la résilience, selon vous, quand on a tout perdu et que la vie vous prive de toute énergie ?

BM : Souvent, les victimes constatent qu’elles ont survécu. À quelle source se sont-elles abreuvées de force et courage pour que la vie s’impose ? Elles n’en savent souvent pas grand-chose. Soit la mort n’a pas voulu d’elles, soit elles ont effectivement affronté et vaincu la mort. Les survivants ont tous fait preuve de résilience, qui est la continuation de la vie malgré la mort qui a déjà eu sa part, qui doit se contenter de cette part qui n’est pas la vie qu’elle aurait souhaité prendre.

BL : Vos livres ont ce fort parfum de révolte contre la vie et un destin « prêt-à-accomplir » qu’on reçoit d’un Dieu tout-puissant et paternaliste. En témoigne ce passage fort de Le sang de nos prières : « Je suis la cause de tout, la fin de tout, la naissance du néant, la justification du chaos. J’ai rendu tout possible, tout comme ce qui est désormais impossible l’est par ma faute.»p.58 Béatrice Mendo, disciple de Jean-Paul Sartre et de son existentialisme ?

BM : Être, pour moi c’est s’interroger. Mille questions entourent notre capacité et notre qualité d’être et d’êtres. L’existence est un gros point d’interrogation qui s’épaissit à mesure qu’on s’interroge. Qui suis-je et que puis-je être ? Voilà des questions qui me taraudent et auxquelles, paradoxalement, je n’aimerais pas avoir de réponse claire et définitive. J’aime à considérer l’existence comme une magnifique et perpétuelle découverte de soi et de l’autre. Quel ennui d’imaginer qu’on est arrivé au bout de ses découvertes. Une seconde avant sa mort, on se découvre encore, la vie se découvre encore. Il y a certainement quelque chose de sartrien dans ce que je viens de dire, mais il y a aussi beaucoup qui vient de l’existence telle que je la perçois personnellement.

BL : Même Dieu-Allah ne vous a pas survécu. Vous le tuez dans la bouche d’Ousmane. Dieu, mort depuis Nietzsche doit-il continuer à mourir aujourd’hui encore ?

BM : Dieu vit et meurt dans le cœur des Hommes, encore et encore, selon les contours de notre foi en lui. Il y a des jours où on Lui donne tout, des jours où on Lui refuse tout. Parce que nous sommes comme ça, imparfaits et insatiables. Dieu n’a donc pas fini de mourir et de vivre dans les cœurs d’Hommes, il a l’éternité pour ça. Évidemment, je ne parle pas comme le Zarathoustra de Nietzsche, je ne prophétise pas, je sensibilise.

BL : Le Kwatt est bien représenté dans vos livres. Français et parlures camerounaises se partagent les pages. Pourquoi un tel choix ?

BM : Je chéris la part du Kwatt qui est tapie en moi, que je convoque volontiers pour me rappeler d’où je viens. Autant je peux m’approprier un lexique digne de l’Académie française, autant j’aime à offrir des vacances de rêve à ma langue en la laissant arpenter les plages prolifiques des « camerounismes », parsemées de tournures géniales et savoureuses que j’aime à partager. Me couper du Kwatt serait une terrible amputation, à laquelle j’aurai peu de chance de survivre. Alors, je me délecte de mes deux amours, du parler du Kwatt, malicieux et ingénieux, et de l’élégance discrète des belles lettres.

BL : Peut-on y lire une fronde contre la langue du colon et un affranchissement de l’influence française ?

BM : Il est bien ridicule de fronder contre la langue du colon en utilisant cette même langue pour faire la guerre de la langue. La langue française est d’abord pour moi un outil de travail, alors je soigne mon outil de travail. Imaginez un maçon qui voudrait crépir un mur avec une truelle défectueuse. La langue française est ma truelle, je veille à ce qu’elle soit un outil efficace et maniable. Il y a une espèce de frustration, voire de complexe, qui gagne certains francophones, que je ne partage pas du tout. Certains voudraient même que vous éprouviez de la honte à pratiquer un français excellent. Ils vont jusqu’à glorifier les lacunes, présentant les baragouineurs comme des héros de je ne sais quoi. Pourtant, beaucoup baragouinent parce qu’ils ont eu un mauvais apprentissage et ont accumulé les lacunes, surtout pas parce qu’ils aimeraient défier la France et la langue française. Je parle parfaitement l’anglais et j’ai le même souci de parler un anglais excellent. Personne ne m’a jamais accusée de parler la langue du colon quand je parle anglais. Pourtant les Anglais ont eux aussi été des colons de la pire espèce, les Indiens d’Amérique et ceux d’Asie peuvent en témoigner. Anglais et français sont des langues de colons. Je ne comprends pas certains francophones qui chargent la langue française de toutes sortes de frustrations, la plupart stériles. Le plus navrant c’est ces personnes qui encouragent les autres à faire des fautes de langue, qui exigent qu’on soit complaisants envers les baragouineurs-gribouilleurs, sans s’autoriser elles-mêmes à faire la moindre faute, ne serait-ce que pour donner l’exemple.

BL : Qui dit Béatrice Mendo dit forcément burlesque et humour noir. Trivialités et sujets graves subissent la loi de votre plume toujours empreinte de dérision. Pourquoi ce choix de style ?

BM : Le style, c’est comme un condiment qui donne aux mots une saveur particulière. J’ai peu de goût pour les choses insipides, alors j’assaisonne, une pincée de dérision toute gentillette, de grosses louchées d’ironie, des cuillerées d’humour noir, un zeste de suspense, des larmes de philosophie, un trait de surréalisme, de l’impertinence, de délicieux imbroglios, je veux des choses qui bouleversent les papilles gustatives de mes lecteurs, qui à défaut de leur arracher la bouche, l’enflamment certainement.

BL : Grimper, vous aimez bien cela. Si vous n’escaladez pas les hauteurs de la littérature, vous êtes occupée à tutoyer d’autres sommets, ceux des collines du Cameroun. Dites-nous un petit mot sur votre autre passion qu’est l’alpinisme.

BM : Grimper est une véritable passion. Pousser mon corps dans ses derniers retranchements, ignorer la douleur, allier témérité et dextérité, voilà ce qui me porte quand j’affronte la montagne. Et puis au sommet, il y a toujours ce vif moment de bonheur, cet instant quasi extatique où on est fier de soi, fier de la performance réalisée. Ce moment-là, qui célèbre le dépassement de soi, nourrit mon corps et mon âme. J’imagine la vie comme une montagne qu’on a déjà vaincue dès le moment où on décide de l’affronter. Écrire, c’est aussi comme grimper, c’est aller aussi loin que la force de notre imagination nous porte. Une fois arrivé au sommet, on songe déjà à la prochaine montagne. Il y a toujours quelque part une montagne qui nous attend, qu’on grimpera avec détermination.

BL : Quel regard portez-vous sur la littérature camerounaise d’aujourd’hui ?

BM : J’imagine que la littérature camerounaise prend son élan pour effectuer un magnifique saut qui imposera son talent aux yeux du monde entier. J’aime lire les écrivains camerounais, j’ai des dizaines et des dizaines de romans écrits par mes compatriotes, des plus rébarbatifs aux plus géniaux, mais ils font tous partie d’un tout, des lettres camerounaises. Et je les respecte, les lettres camerounaises.

BL: Que nous réserve Béatrice Mendo pour les prochaines années ?

BM : Des romans, encore des romans. Peut-être m’essaierai-je à des genres particuliers, comme la science-fiction.

BL : Où et comment se procurer vos livres ?

BM :  La vie se moque d’être aigre-douce  et  Le sang de nos prières  sont disponibles sur Amazon.

BL : Votre portrait chinois à présent :

– Un héros ou une héroïne : Le juste qui goûte « la paix du cœur ». Un héros pour moi c’est celui qui a triomphé de lui-même

– Un personnage historique : La reine de Shaba

– Un auteur : Paulo Coelho

-Un plat : un bouillon de poisson frais savamment épicé

-Un animal : le chat

-Un passe-temps : tous les jeux qu’on regroupe sous la dénomination « sport cérébral », surtout le sudoku.

BL : Merci, Béatrice Mendo pour cet agréable moment d’échanges et de plongée dans vos univers littéraires. Votre mot de la fin.

BM : Tout est bien qui arrive à sa fin.

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Belles répliques dans cette interview qui donne envie de découvrir l’ouvrage de l’artiste.

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